Le 20 mars 2012 par Valéry Laramée de Tannenberg
La précarité énergétique explose en France. Une situation dramatique imputable à la crise, à la hausse des prix de l’énergie et au manque de courage des politiques.
Encore un sujet de société dont ne s’emparent pas les candidats à la présidentielle. Ce matin 20 mars, à l’occasion de la présentation du bilan annuel de son activité, le médiateur de l’énergie a mis le doigt sur le sujet qui fâche: la précarité énergétique. Officiellement, plus de 3,8 millions de foyers (soit 8 millions de personnes) consacrent plus de 10% de leurs revenus au paiement de leurs factures d’énergie. «En 2011, et c’est un chiffre en augmentation constante, plus de 15% des saisines que nous avons reçues relevaient de difficultés de paiement, avec une dette moyenne de 1.900 euros», rappelle Bruno Léchevin, le délégué général.
Sous le triple effet de la crise, de l’envolée des prix (+25% en deux ans pour le gaz et +8% pour l’électricité) et d’un marché de l’énergie où la concurrence n’est qu’illusion, «la situation financière fragile des foyers monoparentaux, retraités aux faibles pensions, titulaires des minima sociaux, salariés licenciés, personnes en surendettement» s’est détériorée, déplore l’ancien syndicaliste.
Et cela ne devrait pas cesser de sitôt. «La hausse du prix de l’énergie est inéluctable, confirme Denis Merville, le médiateur. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) estime que le prix de l’électricité pourrait grimper de 30% d’ici 2016. En effet, l’accroissement de la demande énergétique, le vieillissement du parc de production français et le retard pris dans le renforcement des réseaux nécessiteront des investissements conséquents.» Un pronostic régulièrement battu en brèche par le ministre de l’industrie.
Le 20 janvier dernier, Eric Besson a réfuté, au micro de RTL, les pronostics du régulateur des marchés français de l’énergie: «L'énergie va augmenter de façon raisonnable, comme elle le fait depuis 2007, mais pas dans les proportions qui ont été indiquées».
L’ancien secrétaire national à l’économie du PS porte pourtant une certaine responsabilité dans le fait que 12% des Français soient à la peine pour se chauffer, s’éclairer ou se nourrir. Peu d’effort ont été faits, ces dernières années, pour informer les usagers des arcanes des marchés de l’électricité et du gaz. «Seuls 42% des Français savent qu’ils peuvent changer de fournisseur d’électricité, 27% de gaz», confirme Denis Merville. Un tiers des consommateurs savent qu’EDF et GDF sont deux entreprises distinctes (et concurrentes). Et 42% ignorent l’existence et le rôle des distributeurs d’énergie. Pas simple dans ces conditions de faire valoir ses droits. Comme celui de la réversibilité qui permet à tout un chacun de revenir aux tarifs régulés (souvent les moins chers) après avoir testé des offres de marché.
Le gouvernement n’a rien fait non plus pour faire avancer le dossier du compteur communicant. Certes, Eric Besson a annoncé le 28 septembre dernier la généralisation des compteurs Linky en France; 7 millions devaient être déployés avant la fin 2013. Depuis, le dossier est au point mort. Ni le financement, ni la propriété des 35 millions de nouveaux compteurs d’électricité ne sont bouclés. Par ailleurs, le gouvernement a refusé, malgré les conseils de l’Ademe, que le Linky permette une lecture directe de la consommation. Or c’est précisément un tel dispositif qui déclenche les gestes économes; jusqu’à 15%, estime l’agence présidée par François Loos.
Autre boulette: les tarifs sociaux de l’électricité. Certes, la législation a récemment été modifiée pour automatiser l’attribution des «tarifs sociaux» d’électricité et de gaz [JDLE]. Tel quel, le texte oblige les clients des concurrents d’EDF à quitter leur fournisseur pour rejoindre l’opérateur historique, s’ils souhaitent bénéficier du «tarif de première nécessité». Raison pour laquelle l’Autorité de la concurrence a appelé, le 8 mars dernier, le gouvernement à revoir sa copie, déjà parue au JO.
Mais le plus scandaleux réside, sans doute, dans la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Instaurée en 2003, cette taxe que paie chaque consommateur d’électricité sert à financer la péréquation tarifaire dans les zones insulaires, le développement de la cogénération et des énergies renouvelables et… les dispositifs sociaux en faveur des clients en situation de précarité.
Par manque de courage politique, le législateur, cette fois, a limité la progression de la CSPE. Résultat: depuis 2009, la taxe ne suffit plus à financer toutes les charges qu’elle est censée couvrir. Fort naturellement, sénateurs et députés considèrent normal qu’EDF supporte directement une partie du rachat de l’électricité produite par les centrales photovoltaïques et éoliennes, laquelle devrait, en principe, être payée en totalité par la CSPE (42% de la CSPE est consacrée aux ENR en métropole).
Toujours normal que 35% de cette taxe soient utilisées pour subventionner la consommation d’électricité en Outre-mer. Laquelle ne baisse pas. Ce qui oblige à augmenter régulièrement les capacités locales de production et… les subventions. Enfin, alors que le nombre de «précaires énergétiques» augmente chaque année, le législateur continue d’allouer 1,4% de la CSPE «aux charges de solidarité». En 2012, chaque foyer devra débourser 67 € au titre de la CSPE. Ce qui reste très insuffisant.
«De 9 €/MWh au premier semestre 2012, la CSPE passera à 10,5 €, au 1er juillet. Selon la CRE, la taxe aurait dû être de 13,7 € pour refléter les coûts réels supportés par EDF, ce qui se traduirait par une hausse de la facture», rappelle Denis Merville.
Faute de cohérence politique, le médiateur doit se contenter d’un cautère sur une jambe de bois. Bruno Léchevin propose ainsi la mise en place d’une trêve hivernale pour les coupures de courant des clients précaires, entre le 1er novembre et le 15 mars. Selon le médiateur, 500.000 foyers ont fait l’objet d’une réduction ou d’une suspension de fourniture d’énergie, l’an passé.
Source Gaspare