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5 novembre 2012 1 05 /11 /novembre /2012 08:49
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MERMET Elise 1er novembre 2012
  

Le 9 novembre 1932, l’armée ouvre le feu à Genève, faisant treize morts et une centaine de blessés. Jean Batou, tente d’expliquer pourquoi en partant d’archives négligées ou insuffisamment exploitées. Une démarche scientifique qui n’empêche pas de tenir le lecteur en haleine. Presque un roman noir.


Tout commence par la pose d’une affiche provocatrice de l’Union nationale, un parti d’extrême droite, dans la nuit du 5 au 6 novembre 1932, qui revendique la «  mise en accusation publique  » des deux principaux leaders du Parti socialiste genevois. L’État mobilise tous les moyens à sa disposition pour garantir la tenue de ce meeting et le protéger d’une contre-manifestation du mouvement ouvrier. Dans la soirée du 9 novembre, le chef du Département de justice et police, jugeant les gendarmes débordés, fait appel à la troupe, dont les officiers engagent leurs hommes dans la foule, avant de les faire reculer pour les regrouper et faire feu sur un public clairsemé, tuant treize personnes et en blessant une centaine, dont une majorité de curieux.

Des questions sans réponse

Qui a donné l’ordre de feu  ? Pourquoi, durant ces années de crise, aucun autre canton suisse, ni aucun autre pays démocratique européen, n’a connu une telle répression des classes populaires  ? S’il s’est agi d’une erreur d’appréciation ou d’une «  bavure  » regrettable, pourquoi cela n’a-t-il pas été reconnu rapidement, au moins en partie, comme ce fut le cas à Adalen, en Suède, un an et demi auparavant (cinq morts dans une manifestation de soutien à une grève)  ? Comment se fait-il que la justice militaire ait pu conclure à l’absence de faute du commandement, tandis que la justice civile condamnait sept organisateurs de la manifestation populaire à quelques mois de prison pour incitation à résister aux injonctions de l’autorité  ? Comment expliquer que l’abandon rapide de la thèse du complot révolutionnaire par l’instruction et les Assises fédérales n’ait pas conduit à une critique sans complaisance des moyens mis en œuvre et de la succession des décisions prises par le pouvoir civil et militaire  ?


Le livre de Jean Batou propose une relecture approfondie d’un sujet controversé, à partir de nouvelles sources d’archives et d’une grille de questions inédite  : une enquête historique sur fond de luttes sociales, qui n’a rien à envier à un roman noir. D’un côté, une caste patricienne calviniste, endogame, enrichie par la finance et l’immobilier, soudain hébétée par le krach de la Banque de Genève et les menaces du fisc français. De l’autre, des classes populaires, recomposées par l’afflux de jeunes travailleurs du reste de la Suisse, précaires et stigmatisées, qui se reconnaissent dans un quotidien, Le Travail, et dans des hommes comme le dirigeant du Parti socialiste Léon Nicole, et le militant anarcho-syndicaliste Lucien Tronchet. Entre les deux, un monde rural trop étroit et une petite bourgeoisie trop divisée pour servir d’arbitre.

La face cachée du 9 novembre

L’auteur nous fait découvrir les réseaux du «  camp de l’ordre  » à Genève. Rassemblées essentiellement autour du Parti démocratique et de la récente Union de défense économique, les élites protestantes de la haute ville ne peuvent plus se contenter d’une alliance avec le Parti radical, discrédité par les affaires. C’est pourquoi, elles font appel aux secteurs les plus conservateurs des Églises, notamment à l’aile marchante du corporatisme catholique, et prennent langue avec l’extrême droite, organisée au sein de l’Ordre politique national, puis de l’Union nationale.


En suivant à la trace le 1er lieutenant qui a commandé le feu, l’auteur nous fait découvrir la face cachée de novembre 1932. Raymond Burnat va jouer en effet un rôle de premier plan dans le développement d’une organisation secrète, Les Equipes, issue des réseaux de sociabilité de la jeunesse dorée. Au soir du 9 novembre, tandis que ce commandant de Compagnie confond le Palais des expositions de Genève avec le Palais d’hiver de Petrograd, croyant briser une révolution en marche, ses jeunes amis, Théodore de Gallatin, Robert Hentsch, Renaud Barde, etc., sont en mission d’observation dans la foule. Ensemble, au lendemain du drame, ils vont s’efforcer de former la relève d’une droite autoritaire, corporatiste et fédéraliste, qui luttera pied à pied contre l’administration socialiste au pouvoir, entre 1933 et 1936.

Vers le consensus helvétique

Au lendemain de la fusillade, tandis que les chefs de l’armée, dont le corps des officiers est travaillé par l’extrême droite, se préparent à mater les troubles sociaux, les autorités politiques de Berne et la magistrature fédérale font le choix d’une répression sélective de la gauche, ciblant tout particulièrement les communistes, l’action directe et la grève, tout en misant sur l’intégration des courants dominants du Parti socialiste et de l’Union syndicale en vue de la défense commune de l’ordre bourgeois.


De leur côté, le PSS et l’Union syndicale refusent d’appeler à la grève générale. Comme le note l’Attaché militaire français, «   Ce manque de réaction s’explique si l’on songe que (…) les municipalités socialistes des villes telles que Zurich, Bâle, Berne, tiennent à l’honneur de montrer qu’elles ne sont pas un parti de désordre ; la répression des troubles de Zurich l’a bien prouvé  ». En effet, le 15 juin de la même année, la police de la Ville sociale-démocrate de Zurich a tué un manifestant en tentant de disperser un rassemblement de solidarité avec des grévistes.

Enfin, entre le 9 novembre 1932 et le procès de Nicole et consorts, au printemps 1933, Hitler a pris le pouvoir en Allemagne. C’est dans ces conditions, que l’écrasante majorité du mouvement ouvrier suisse s’oriente vers le compromis avec la politique d’austérité de la Confédération (1934), avant de se rallier à la Défense nationale (1935) et de signer la paix du travail (1937), faisant ainsi de la fusillade de Genève une ligne de partage dans l’histoire sociale et politique du pays.


Elise Mermet


Jean Batou, «  Quand l’esprit de Genève s’embrase  », Editions d’En Bas, Lausanne, 2012.

En librairie dès le 9 novembre (34 CHF / 28 €).

MERMET Elise
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