26 juin 2010 -Le Télégramme
Laurent Ruiz et Luc Delaby, chercheurs à l'Inra, sont formels: on n'éradiquera pas les algues vertes dans la baie de Saint-Michel-en- Grèves sans changer de système de production agricole au profit de l'herbe.
A lire également
> Le cri
d'alarme d'Isabelle Autissier
> Manifestation ce matin à
Lamballe
> L'amendement Le Fur et les réactions
Pourquoi changer de système?
Modifier les pratiques au niveau de la parcelle ne suffit plus. Grâce à des agriculteurs très engagés, la moyenne du bassin-versant est tombée à 28mg/l de nitrate dans l'eau. Mais si on veut
stopper la prolifération des algues vertes, il faut tendre vers les 10-15mg/l. Ce qui impose de changer de modèle de production au profit du système herbager. C'est possible dans ce bassin de
20.000 ha dont les 150 exploitants élèvent essentiellement des bovins.
Pourquoi l'herbe?
C'est une des clés pour résoudre le problème des fuites de nitrate tout en permettant une agriculture économiquement viable et écologiquement efficace. Le pâturage permet de faire tourner de
façon équilibrée l'azote produit entre le sol et les animaux. Nous y travaillons, dans notre programme Acassya, avec les techniciens de la chambre d'agriculture et les agriculteurs, depuis
2009.
Quel est l'avantage face au maïs?
L'herbe, présente toute l'année, outre le fait de limiter l'érosion des sols nus, permet d'éviter l'importation d'aliments (type tourteau de soja) pour compléter le maïs-fourrage, pauvre en
azote. De plus, les légumineuses, type trèfle, qui fixent l'azote atmosphérique, limitent le recours aux engrais minéraux ou organiques (lisier, fumiers).
Cela impose-t-il de réduire les cheptels?
L'herbe impose de réduire le nombre d'animaux nourris à l'hectare. Mais cela ne signifie pas une diminution du cheptel à partir du moment où on réduit les surfaces en céréales (il y en a beaucoup
trop dans ce bassin, aujourd'hui). On peut même imaginer une légère augmentation du cheptel, s'il y a assez de surfaces en herbe. Le principe est d'adapter la charge animale au potentiel des
prairies. En fait, nous avons voulu un cadre assez souple pour que chaque éleveur module sa façon de valoriser l'herbe selon la structure de l'exploitation.
Les structures sont-elles toutes adaptées au système de l'herbe?
Quand toutes les terres se trouvent autour de l'exploitation, ce n'est pas trop dur de concilier économie et fiabilité écologique. Mais quand l'exploitation est morcelée et que des prairies se
trouvent à 5-10 km, il n'est pas question d'y envoyer les vaches tous les jours. La clé de la réussite du programme passe donc par des restructurations foncières, soit à l'amiable, soit par de
vrais échanges de terres ou par des systèmes de réserves de terres.
Les agriculteurs sont-ils partants?
Ils le sont d'autant plus qu'ils travaillent depuis des années dans ce sens. De plus, depuis deux ans, depuis la mort du cheval, la pression sur la profession est énorme. D'autant plus dure à
supporter qu'ils sont plutôt vertueux sur le plan environnemental dans le bassin. Et puis, ils ont pris conscience qu'en matière de revenus, on ne peut plus raisonner en termes de chiffre
d'affaires mais de valeur ajoutée et de réduction des charges, ce que permet l'herbe.
Les résultats seront-ils rapides?
Il ne faut pas s'attendre à voir disparaître les algues vertes dans les deux ans. En revanche, on sait que les éleveurs qui sont prêts auront changé de système dans trois ans. On demande du
temps. En attendant, on va suivre plus particulièrement six fermes pilotes et s'en servir pour faire une évaluation permanente.
- Propos recueillis par Hervé Queillé
Moins de maïs...
Réduire la part des céréales et du maïs et augmenter les surfaces en herbe, tel est le nœud du système proposé par l’Inra. En cultivant des prairies avec des mélanges de graminées et de légumineuses, les éleveurs apporteront une ration complète à leurs animaux et l’azote restera fixé dans le sol. L’Inra ne prône pas pour autant « le zéro maïs », car cette plante offre une garantie de nourriture pour les vaches pendant l’hiver.
... et plus de prairies
L’Institut veut en revanche « une herbe maxi » quitte à restructurer en profondeur le foncier des exploitations afin que les troupeaux puissent au maximum pâturer des prairies autour de l’exploitation. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, car les fermes sont plutôt morcelées. La Chambre d’agriculture, le conseil général, Lannion Trégor Agglomération et les agriculteurs se sont lancés dans cette refonte foncière qui promet d’être particulièrement longue et difficile car la terre agricole est un sujet extrêmement sensible. « Cette restructuration foncière est une des clés de la réussite du programme », insiste Luc Delaby. L’Inra prône également l’arrêt de l’engraissement des taurillons avec du maïs.
Un temps long
« N’espérez pas avoir des résultats du programme dans les trois ans, expliquent les scientifiques. Nous sommes dans une échelle de temps long, entre 10 et 20 ans pour avoir une réduction sensible des flux de nitrates ». Les agriculteurs ont bien accueilli les mesures proposées par l’Institut de recherche agronomique. Un premier groupe de 20 fermes a été créé avec « 6 qui ont pris d’ores et déjà un engagement de changement. Elles feront l’objet d’un suivi renforcé et d’expérimentations ». Le travail de l’Inra et des agriculteurs s’inscrit dans le volet préventif du plan anti-algues verte du gouvernement. Pour l’instant, aucun financement spécifique n’a été programmé. Lannion Trégor Agglomération doit se charger des dossiers de financement.
Jean-Paul LOUÉDOC.