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Ce vendredi, Thierry Lepaon succédera à Bernard Thibault comme leader de la centrale. Au congrès à Toulouse, plongée chez les syndicalistes qui se heurtent au chacun pour soi. Toulouse. De notre envoyé spécial
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Devant les délégués du congrès, il lâche : « On a été liquidés. » Sébastien Ozor, militant de 32 ans, tout intimidé, a deux minutes chrono pour dire ce qu'il a sur la patate. Il raconte comment son entreprise de mobil-home, ShellBox, a fermé au début du mois, dans le Gard. Comment le patron est parti en laissant onze millions de dettes. Comment lui et ses « camarades » se démènent pour trouver des repreneurs.
« Sur les soixante salariés, on est à peine une vingtaine à se battre. C'est comme si c'était pas leur boîte, aux autres (soupirs). Il y a dix ans, ce n'était pas comme ça. L'impression qu'il y a une nouvelle génération qui s'en fout. » Au congrès, seuls quatre délégués ont moins de 25 ans. Sur un millier. Signe de la difficulté des syndicats à accrocher les jeunes.
Poussées de violence
La crise mine le socle social, allonge les files à Pôle emploi. Elle fait aussi de sérieux dégâts dans les têtes. « Il y a beaucoup de fatalisme, confirme Valérie Besnard, déléguée dans les télécommunications dans le Nord. Pour que les salariés se battent, faut vraiment les convaincre ! » Jeune métallo de 31 ans à Arcelor Méditerranée, en Lozère, Grégory Rolland fait le gros dos et serre les dents. « Chaque jour, on se bagarre pour essayer de garder ce qu'on a. En quelques années, on a dû perdre cent ans de lutte. »
Thomas Baudouin, 32 ans, chez PSA depuis l'âge de 18 ans, ne dit pas autre chose : « On a perdu plein de petites choses. Les grilles de salaires ont été 'remastérisées' et les nouveaux embauchés sont moins bien payés. Aujourd'hui, les gars sont démotivés. Mais nous, les délégués, on n'a pas le droit d'avoir du ras-le-bol. » Parfois compliqué, comme en témoigne Ghyslaine Raouafi, depuis trente ans à l'hôpital de Nice où elle est entrée à 18 ans.
« Tout a été individualisé, les solidarités ont été cassées.
Plutôt que de se battre pour des augmentations de salaires, les gens cherchent des solutions individuelles, les heures sup' par exemple. On vient nous voir, comme une assurance, mais ce n'est pas pour autant qu'on en fait des militants. »
Alors, de temps en temps, sous la cendre de la résignation, il y a ces poussées de violence.
Comme chez Goodyear, chez PSA. « Ce qui me choque, c'est qu'il n'y a pas de discussion possible, insiste Didier Triquoire, 52 ans, militant à Toulouse. Quand vous n'êtes pas écoutés, quelle possibilité il reste ? » Ghyslaine Raouafi enfonce le clou : « C'est violent ce qui se passe. Heureusement que le syndicat est là. C'est le dernier rempart ! »
Dans ce contexte, l'accord du 11 janvier sur la « sécurisation de l'emploi » est souvent revenu sur le tapis du congrès. Et les oreilles de la CFDT, qui a signé avec le Medef, ont dû siffler. « Une trahison, tranche Alexandre Borla, militant dans les Bouches-du-Rhône. Avec la CFDT, on a l'habitude. Mais, en même temps, on en a besoin. Sur le terrain, les salariés veulent l'unité d'action. Faut faire avec. »