8 décembre 2010 - Le Télégramme
Si les élèves de 15 ans ont des résultats dans la moyenne des pays de l'OCDE, les inégalités scolaires se sont accrues en France depuis 2000. Le système élitiste est montré du doigt tout comme le redoublement.
La note est tombée: les élèves français de 15 ans ont des résultats dans la moyenne des pays de l'OCDE, selon les résultats de
l'enquête «Pisa» (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) rendue publique hier. Comme en 2006, la France se situe en effet dans la moyenne pour les trois compétences étudiées
(21een compréhension de l'écrit, 22e en mathématiques et 27e en sciences, sur 65 participants), loin derrière la tête du classement composée de Shanghai, de la Corée du Sud et de la
Finlande.
Un signal d'alarme
Si la place de l'Hexagone est peu enviable, les résultats révèlent en plus de fortes inégalités, qui se sont accrues dans les années 2000. Par rapport à «Pisa»
2000, la proportion des élèves de 15 ans «les moins performants en compréhension de l'écrit» est passée de 15% à 20%, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques.
Parallèlement, le pourcentage des plus performants a augmenté de 8,5% à 9,6%. De la même façon, la proportion des élèves les plus faibles en mathématiques a crû, de 16,6% en 2003 à 22,5% en 2009,
alors que la proportion des meilleurs restait sensiblement identique. «Il y a de plus en plus d'élèves en échec scolaire, les inégalités se sont creusées. C'est un signal d'alarme pour la France,
qui avait déjà été tiré par l'OCDE en 2006», a commenté Éric Charbonnier, expert à l'Organisation. C'est qu'en France, l'école ne parvient pas à corriger les inégalités de départ: «L'impact du
milieu socio-économique sur la performance» y est plus grand que la moyenneOCDE.
«Pas de fatalité»
Les comparaisons relèvent ainsi que la France gagnerait à faire du soutien plus individualisé dans les écoles ou à réduire les redoublements. «Il n'y a pas de
fatalité», assure l'expert, car la Corée du Sud, le Japon ou le Canada, par exemple, parviennent à concilier performance et équité. Outre ces pays, les plus performants sont Shanghai, la
Finlande, l'Australie ou les Pays-Bas. Globalement, l'Allemagne, la Pologne et le Portugal s'améliorent, mais la Suède, l'Irlande ou la République tchèque reculent. Partout, les filles devancent
les garçons. On apprend aussi que la France se classe parmi les paysoù la discipline est la moins respectée. Les enseignants français tirent par contre leur épingle du jeu: ils encouragent leurs
élèves à lire plus que la moyenne OCDE. Sur le net:
Des enseignements à tirer
Ces comparaisons internationales peuvent permettre à la France de tirer des enseignements.
Ce qui marche
- Le soutien individualisé. Il est au coeur de la lutte contre l'échec scolaire. Mais à certaines conditions qui ne sont pas vraiment remplies en France depuis la
réforme du primaire de 2008, estime l'expert Éric Charbonnier. Il prône des horaires allégés et un soutien qui «encourage» sans stigmatiser. - L'autonomie et l'évaluation des établissements.
L'évaluation «leur permet de voir ce qui ne marche pas, pour corriger le tir». - La formation des enseignants. Elle doit être «un mélange de compétences académiques et de capacités pratiques à
enseigner», selon l'expert. Or, la France a réduit la formation pédagogique à la portion congrue. - Des réformes à moyens constants.
Ce qui ne marche pas
- Les redoublements. Les pays, où le redoublement est une pratique courante, affichent de moins bons résultats que les autres, selon l'OCDE. Or, la France est
championne du monde en la matière, avec 37% d'élèves de 15 ans ayant redoublé au moins une fois (13% en moyenne dans l'OCDE). - Les notations-sanctions. Les mathématiques rendent les élèves
français parmi les plus anxieux du monde, selon l'OCDE, notamment parce que la notation est vécue comme une sanction. - De trop grands écarts entre établissements. En France, selon Éric
Charbonnier, les établissements de l'éducation prioritaire «ne sont pas équipés pour aider les élèves, avec des enseignants trop jeunes et trop de turnover».
«Un système qui laisse tomber ceux qui ne suivent pas»
Pour les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet, auteurs de «L'élitisme républicain», la France doit se donner comme cap de réduire le nombre des enfants
en grande difficulté. Leur constat est sans appel. Les résultats français «ne sont pas très étonnants: la situation ne s'améliore pas, car rien n'a été fait, les gouvernements ayant mis les
enquêtes Pisa sous le tapis». À l'inverse, «l'Allemagne, le Japon ou la Pologne ont scruté les résultats et pris des mesures en conséquence: la Pologne a supprimé ses filières et favorisé le
tronc commun, les résultats ont été immédiats. En Allemagne, le système a été amélioré au niveau de la maternelle».
Pour la mixité scolaire
Les experts pointent le système élitiste français, «qui favorise la sélection et laisse tomber ceux qui ne suivent pas». «Le nombre d'enfants en grande difficulté
scolaire a augmenté de 15% en 2000 à 20% en 2009, c'est énorme». Faut-il choisir entre école de masse et école d'élite? «Ce que montre Pisa - et c'est révolutionnaire -, c'est que l'un et l'autre
vont de pair: les pays qui ont beaucoup de bons élèves sont aussi ceux qui ont réussi à diminuer l'échec scolaire. Le Japon et la Finlande font des efforts énormes pour ne pas laisser les plus
faibles à la traîne.» Alors que faire? Il faut revoir la philosophie de l'enseignement. Les deux sociologues citent «La main à la pâte», opération lancée en primaire par le prix Nobel Georges
Charpak. «L'idée est de prendre les enfants comme ils sont et de trouver, par l'expérimentation, des moyens d'apprentissage qui leur conviennent. Ce que montre aussi Pisa, c'est que ce qui marche
le mieux, c'est la mixité scolaire à tous les niveaux.»