Palais de justice de Paris, hier : le président de la chambre criminelle parle. On entendrait une mouche voler. Pourtant, que de monde dans la vaste salle de la Cour de cassation aux murs ornés de boiseries ! Avocats, élus politiques, responsables d'associations, journalistes, tous l'oreille aux aguets, le souffle court.
Le haut magistrat commence : même en dehors des eaux territoriales, « le droit international justifie l'exercice par la France de sa compétence juridictionnelle pour sanctionner un rejet involontaire d'hydrocarbures ».
En cinq minutes, il réduit à néant les arguments développés, en mai, par son avocat général. Non, ce n'est pas l'État du pavillon, mais bien la justice française qui est compétente pour juger la marée noire de l'Erika, consécutive au naufrage du tanker, le 12 décembre 1999. Oui, Total, simple affréteur, est coupable.
« Nous les victimes, eux les coupables »
La compagnie pétrolière a même commis « une faute de témérité » en faisant transporter son fioul sur un navire mal entretenu. Elle est donc aussi responsable au plan civil, ce que n'avait pas retenu la cour d'appel, dont l'arrêt était attaqué. Le propriétaire et le gestionnaire du navire, et la société de classification voient eux aussi leurs condamnations pénales confirmées. Ils avaient versé 200,6 millions d'euros aux victimes.
Dans l'assistance, passé le moment de surprise, ce ne sont que visages épanouis. Jacques Auxiette, président de la Région Pays de la Loire, affiche une banane de soir d'élection. À son côté, Jacques Priol, son directeur de cabinet, lève les deux bras, en étouffant un « on a gagné ! ».
L'audience n'a duré que dix minutes, le temps de lire le résumé des 300 pages de l'arrêt. Dans le couloir, c'est le temps des commentaires. En entérinant la notion de préjudice écologique, la Cour de cassation confirme un principe capital. Désormais, une collectivité locale peut aussi en demander réparation, ce qui était loin d'être acquis. « C'est la reconnaissance de ce que nous sommes les victimes et, eux, les coupables », résume le Brestois Pierre Karleskind, vice-président de la région Bretagne.
Me Tordjmann, avocat des collectivités locales de l'Ouest, insiste sur la portée « exceptionnelle » de l'arrêt, car il a été rendu en assemblée plénière, « en présence de ses trente magistrats ». Bruno Retailleau, président du conseil général de Vendée, souligne le « signal important adressé au transport maritime : il ne pourra plus y avoir un bateau qui pollue nos côtes sans risquer d'être poursuivi devant nos tribunaux ».
Une mine sombre : celle de Me Soulez-Larivière, avocat de Total. Il a perdu, mais il met en garde : si chaque pays se met à appliquer son droit en dehors des eaux territoriales, naviguer va devenir bien compliqué ! Total pourrait se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.