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Les blouses n'ont pas eu le temps d'être refaites. Tant mieux. « Competence, personne connaît. On est des ex-Jabil et des ex-Alcatel ». Ils espèrent encore un soutien de ces groupes qu'ils soupçonnent d'avoir sous-traité la fermeture de l'usine.
En grève depuis huit jours, les salariés ne croient plus en l'usine et encore moins à son actionnaire fantôme Mercatech. Paroles de salariés déboussolés.
En juillet, le fonds d'investissement américain Mercatech a repris l'usine d'électronique Jabil, rebaptisée « Competence ». Les salariés ont voté pour à 90 %. Leur sentiment cinq mois plus tard : « C'était que du vent. Il a fallu se décider en dix jours. La direction a fait pression. Si on refusait le projet, c'était qu'on refusait le travail. Les gens ont le sentiment d'avoir été manipulés. On nous a promis la diversification dans les panneaux solaires. On avait envie d'y croire. C'est un scénario mafieux. Aujourd'hui, on nous a tellement menti qu'on n'a plus confiance en personne ».
La direction dans le viseur
La direction de Competence France a fait une demande de conciliation au tribunal de commerce pour retrouver 12,75 millions d'euros, apparemment détournés par Mercatech, son actionnaire unique. « La direction voyait bien les comptes depuis juillet, les fournisseurs qu'on ne pouvait plus payer. Pourquoi ont-ils attendu la grève pour réagir ? Nos dirigeants ne pouvaient pas ne pas savoir. Ils ont même perçu des bonus quand l'entreprise perdait de l'argent. C'est la même direction depuis des années. Plus on a changé de nom, plus l'argent est allé aux dirigeants. Qu'ils rendent leurs bonus ! C'est un énorme gâchis ».
Interminable chute
« En 1973, quand je suis entrée, je gagnais le double par rapport à mon travail précédent dans les chaussures. J'avais 15 ans et demi. J'ai connu l'usine sous Ericsson, Thomson, Thomson CSF, Telic, Telic Alcatel, Alcatel, Alcatel Business System, Jabil et maintenant Competence. Au début, c'était une entreprise qui embauchait en masse, parfois 20 ou 30 personnes par semaine. On a été plus de 1 000 ici. Il y avait les trois huit et même des gens du week-end. » Une collègue complète : « On était fier de travailler chez Alcatel. »
En 2002, quand Jabil a repris le site à Alcatel, restaient 692 salariés. En huit ans, 500 sont partis au gré des plans sociaux. « Mais dans des conditions correctes. Jabil est un groupe mondial. Ses dirigeants sont connus. Avec Mercatech, on ne sait pas qui ils sont. L'avocat de la direction nous a même dit que Mercatech n'existait pas ! »
Vivement la fin
« Maintenant, on a peur d'être mis dehors sans prime, sans formation. On est les derniers et des moins que rien. » Avant de partir, Jabil a renfloué les caisses et recapitalisé l'entreprise (70 millions d'euros en tout). L'argent a fondu en quatre mois ! « Si tout avait été délocalisé d'un coup en Chine, on aurait mieux compris. Qu'on nous reprenne ou pas, l'issue est fatale sous deux mois. En plus, on essaie de nous rendre coupable. Nous, on veut une fermeture digne et propre. Qu'on en finisse et qu'on puisse partir la tête haute. » « Les gens sont au bout du rouleau. »
Et à la maison ?
« Tout le monde en a marre. Les conjoints ne demandent plus comment ça se passe. Mon mari me dit « ne me parle plus de ça». Ils ont hâte que ce soit fini. On n'a pas un sommeil convenable. Les enfants n'osent plus rien demander. Ils se disent qu'il n'y aura pas assez de sous. » Un autre : « En septembre, j'avais lancé l'achat d'un terrain et la construction d'une maison. J'ai tout annulé. »
Sébastien PANOU