blog du Npa 29, Finistère
24 octobre 2010 - Le Télégramme
Qu'il est loin le temps du gendarme mobile de mai 68, en vareuse et cravate. Aujourd'hui, quand l'air se charge d'électricité, le «moblo»
porte casque et carapace. Un vrai Robocop. Ses armes et tactiques aussi évoluent. Revue de paquetage de forces de l'ordre mises à l'épreuve ces temps-ci.
Vous avez aperçu leurs fourgons bleus? C'est déjà un avertissement. Les gendarmes mobiles - les «moblos» - veulent être vus. Le deuxième consiste à faire descendre
les gars des fourgons et à les aligner, en tenue légère de service d'ordre. Pantalon bleu, veste noire et calot. À ce stade, ils peuvent d'ores et déjà bloquer une rue ou un boulevard, pour
canaliser la foule. S'il y a menace, le gendarme mobile usera d'une faculté qu'il est le seul à partager, avec les CRS de la police... et l'incroyable Hulk: il gonfle. Sa tête se coiffe d'un
casque lourd avec visière. Mains, pieds, tibias, genoux, épaules, avant-bras et coudes se couvrent de plastique à l'épreuve du feu et des coups. Il faut alors en convenir: le gendarme mobile
impressionne.
Fusées rouges: offensive imminente!
À cet instant, un constat: le «moblo» n'aime pas rester seul. Il cherche toujours la compagnie, au moins, d'un autre de ses semblables. Le premier, généralement le
plus charpenté, tient un gigantesque bouclier rectangulaire. Et si vous vous montrez belliqueux à son égard, vous provoquerez invariablement la même réaction de la part de son compagnon, situé
juste derrière. Une bien étrange danse, qui consiste à agiter un bras, à l'extrémité duquel, vous le remarquerez, a jailli une excroissance dont le contact est à éviter à tout prix. Ils appellent
cela un «tonfa» ou un «bâton de protection à poignée latérale». Une matraque, quoi. À ce stade, le «moblo» a épuisé toutes ses techniques de dissuasion. Il va détester tout contact et toujours
chercher à garder son adversaire à distance. S'il sent que sa mission ou son groupe sont menacés, ou s'il en a reçu l'autorisation du préfet ou de son représentant, commissaire de police, il
risque de passer à l'offensive. Sauf urgence, il vous le fera d'ailleurs savoir: avec un haut-parleur, il vous lancera deux fois «On va faire usage de la force» ou il tirera deux fusées
rouges.
30.000 euros de lacrymogènes
Première arme des «moblos» à ce stade: le «bond offensif». Une brève avancée, au pas de course, allant de cinq à 20 mètres, pour «donner de l'air». Celle-ci est
toujours suivie d'un recul à la position initiale. Le gendarme a ainsi rétabli l'espace tampon entre lui et son adversaire. C'est généralement au cours de cette étape, ou juste après, que le
«moblo» achève sa mutation. Son visage disparaît derrière une pellicule étanche de caoutchouc et de plexiglas. C'est le signe que tout va basculer. Il s'apprête à «perturber» vos sens. Les
projecteurs de ses fourgons vont chercher à vous aveugler. Et ses «cougars» (huit par escadron) vont commencer à cracher, de 50 à 200 mètres, des lots de six ou sept pastilles, qui dégageront une
fumée blanche très très désagréable. Leur nom: grenades lacrymogènes. Coût unitaire: 40 euros. Chaque escadron en transporte 30.000 euros...
Rouleau compresseur
Vous êtes encore là? Au choix, on vous enverra un fourgon-pompe (puissant canon à eau), et/ou on fera charger la troupe. Sa mission: prendre et occuper votre place.
Pour y parvenir, l'escadron (quatre pelotons de 18 hommes) va utiliser une technique bien huilée. Un peloton avance comme un rouleau compresseur. Un autre bloque les rues latérales. Un troisième
assure les arrières. Et le quatrième - le peloton d'intervention - intervient en renfort. Il est spécialement entraîné aux opérations coups-de-poing: en un éclair, jaillir du dispositif pour
interpeller dans la foule. C'est ce qu'on leur demande de plus en plus. Dans les rues parallèles, les autres escadrons progressent de la même manière, agissant comme des pistons, refoulant
l'adversaire par blocs.
Ariane au décollage
Vous êtes toujours là? Agressif et/ou armé? Vous ne devriez pas. Nouvelles sommations après un nouvel accord de l'autorité civile, sauf urgence, avant l'usage...
des armes: grenades explosives (vous êtes sonnés), ou mi-explosives mi-lacrymogènes (poudre invisible très irritante); grenades de désencerclement (18 projectiles de caoutchouc projetés dans un
bruit de 165 décibels, soit presque autant que le vacarme de la fusée Ariane au décollage); balles de défense (flash-ball amélioré permettant d'asséner l'équivalent d'un uppercut de boxeur
jusqu'à 50 mètres de distance); balles Bliniz, qui se déforment à l'impact. Vous aurez également probablement croisé un blindé de la gendarmerie et goûté au parfum de son diffuseur lacrymogène.
Un jet équivaut à 200 grenades lacrymo qui arrose un terrain grand comme le Stade de France. Vous avez perdu. Game over (1).
1. Au-delà, ultime recours, l'usage d'armes à feu est possible, en légitime défense. Mais la réponse des gendarmes est «toujours graduée et proportionnée»,
allant crescendo. Elle varie aussi selon l'urgence, le rapport de forces, l'environnement (foule, groupes isolés, espace, etc.)... et la volonté politique.
Quelque 120 hommes sont répartis dans trois pelotons de marche et un peloton d’intervention, soit environ 72 hommes sur le terrain, et un peloton hors rang pour la logistique et l’administration. Pour être plus mobile, l’escadron peut s’éclater en 16 équipes de quatre hommes, pour les violences urbaines. La France compte 123 escadrons, soit environ 17.000 hommes qui connaissent 180 à 200 jours d’engagement (hors caserne) par an. Moyenne d’âge : moins de 30 ans. Paie : environ 2.500 euros net mensuel, jusqu’à 4.500 euros avec les opérations extérieures.
24 octobre 2010 - Le Télégramme
Impératif pour les forces de l'ordre: bien connaître les adversaires. La gendarmerie les a classés en quatre familles:
-les altermondialistes (du pacifiste au black-bloc en passant par le désobéissant civil),
-les ravers (signe particulier: «insensibles aux gaz lacrymogènes» en raison des prises d'alcool et de drogues,
-les professionnels (syndicats, salariés...) et
-l'adversaire périurbain lors d'émeutes dans les cités sensibles.
Profils, capacités de rassemblement et attitudes sont répertoriés dans le détail.
L'oeil des gendarmes
Ensuite, pour chaque manifestation, les gendarmes sont briefés. Pourquoi les gens manifestent? Dans quel contexte?... Les informations et consignes (réquisitions du
préfet précisant le cadre d'usage de la force et éventuellement des armes) sont ensuite répercutées «jusqu'au gendarme derrière son bouclier».
Deuxième impératif: s'adapter. Le mot d'ordre est désormaisd'interpeller les fauteurs de troubles. Et de verrouiller les procédures (preuves). Pour cela, les forces
de l'ordre se mettent à la vidéo. Dans chaque escadron, assisté d'un ange gardien, un gendarme est désormais chargé de filmer les rassemblements. Il s'agit d'identifier les fauteurs de troubles
(tout le monde est filmé dès le début, quand personne n'a encore le visage masqué). Filmer les interventions offre aussi une parade aux éventuelles mises en cause des forces de
l'ordre.
Jets de gélatine
Plusieurs autres dispositifs sont testés. Ainsi, pour les gendarmes, une caméra perchée sur un mât monté sur un véhicule - l'oeil, pour Observation et
enregistrement d'images légales - permet de zoomer sur un visage à 120 mètres de distance.
La police, elle, passe par les airs, expérimentant l'emploi de drones. Dans le passé, la gendarmerie a testé plusieurs armes collectives destinées à immobiliser des éléments agressifs: jets de gélatine (agresseurs figés comme des statues) et de filets (comme dans les combats de gladiateurs).
Les résultats étaient «assez concluants», mais ils n'ont pas été adoptés, principalement pour des raisons de coût. La gendarmerie a même été approchée pour tester un fourgon équipé d'un système israélien bombardant l'adversaire d'ondes sonores (l'équivalent d'un avion de chasse au décollage).
Le niet a été «catégorique». Avec un marché des ventes d'armes morose, les grands constructeurs s'intéresseraient de plus en plus au marché de la sécurité intérieure.