6 janvier 2013
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L’auteur et dessinateur de BD Jacques Tardi a eu la surprise le jour du Nouvel An d’apprendre qu’il venait de recevoir la Légion d’Honneur… qu’il s’est empressé de refuser "avec la plus grande fermeté".
Le fonctionnaire qui lui a accordé cette breloque ne devait sans doute connaître ni Tardi ni son œuvre (on imagine bien le genre de gratte-papiers qui a eu cette idée lumineuse sous les traits d’un de ses collègues du début du siècle dernier, tel que Tardi adore les représenter).
Pour remettre les pendules à l’heure, Tardi s’est fendu d’un communiqué bien senti dans lequel il écrit notamment :
"J’ai appris avec stupéfaction par les médias, au soir du 1er janvier 2013, que l’on venait de m’attribuer d’autorité et sans m’en avoir informé au préalable, la Légion d’Honneur !"
"Etant farouchement attaché à ma liberté de pensée et de création, je ne veux rien recevoir, ni du pouvoir actuel, ni d’aucun autre pouvoir politique quel qu’il soit. C’est donc avec la plus grande fermeté que je refuse cette médaille."
« Je n’ai cessé de brocarder les institutions. Le jour où l’on reconnaîtra les prisonniers de guerre, les fusillés pour l’exemple, ce sera peut-être autre chose."
Et il termine par ce commentaire assassin :
"Je ne suis pas intéressé, je ne demande rien et je n’ai jamais rien demandé. On n’est pas forcément content d’être reconnu par des gens qu’on n’estime pas."
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Tardi est un des plus grands auteurs et dessinateurs actuels. Ses lieux et périodes de prédilection sont le Paris des débuts du 20e siècle (ce qu’on a appelé fort légèrement la « Belle Epoque » que parcourt son « héroïne » Adèle Blanc-Sec) et les faubourgs de cette même capitale durant les années ’50 (dans lequel vit et enquête Nestor Burma, le célèbre enquêteur créé par Léo Malet dont il a adapté en BD plusieurs romans).
S’affichant clairement comme libertaire, Jacques Tardi n’a en fait pas du tout le culte du héros. Ses personnages principaux sont souvent des anti-héros, des gens qui se prennent les problèmes de la vie sur le coin de la gueule et qui tentent de s’en sortir avec les moyens mis à leur disposition (et même quelques autres).
Tardi a une saine détestation des bourgeois, des curés et des militaires (dans l’ordre et dans le désordre, suivant les histoires) qui se retrouve dans toutes ses BD.
Dans sa magnifique adaptation en BD du roman Le cri du peuple de Jean Vautrin, il raconte l’épopée de la Commune de Paris en 1871, vue du côté des Communards qui ont toute sa sympathie.
Pour moi, ses meilleures réalisations – et les plus explicitement politiques - sont incontestablement celles qui ont la Première Guerre Mondiale comme cadre. Il faut dire qu’avec un grand-père gazé dans les tranchées, il sait de quoi il parle. Dans la plus forte, C’était la guerre des tranchées, il retrace la vie d’une série de simples soldats pataugeant dans l’enfer quotidien de la boue, des privations, des explosions d’obus, des mutilations et des brimades, qu’il met en contraste avec autant de déclarations de généraux et de politiciens glorifiant le patriotisme et les sacrifices de tous ceux qu’ils envoyaient crever dans les tranchées et les batailles.
L’opposition de Tardi à la guerre ne repose pas sur un pacifisme humanitaire et consensuel. Elle est au contraire clairement antimilitariste et anticapitaliste, rappelant à ceux qui l’auraient oublié cette formule d‘Anatole France « On croit mourir pour la patrie. On meurt pour des banquiers et des industriels. »
2014 s’annonçant d’ores et déjà comme une interminable année de commémoration du début de la Première Guerre Mondiale (1914-18) et de la fin de la Deuxième (1940-44), on peut parier qu’on nous fera souffrir une longue et lourde orgie de patriotisme et de fausse compassion pour les « malheureuses victimes ». Les BD de Tardi seront un antidote précieux pendant cette année. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas les (re)découvrir dès maintenant.
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