blog du Npa 29, Finistère
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L'affaire Cahuzac n'est pas seulement un puissant révélateur de la collusion entre direction de l'Etat et milieux d'affaires.
Elle traduit également ce "relâchement du contrôle sur les classes dominantes" dont parle Alexis Spire dans son dernier livre : Faibles et puissants devant l'impôt (Raisons d'agir, 2012). Pour Contretemps, celui-ci revient sur les principaux résultats de son enquête.
Alexis Spire, chercheur au CNRS, est un spécialiste de la sociologie de l’Etat et des administrations. Après avoir enquêté sur les politiques d’accueil et de traitement des étrangers (Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, Paris, Raisons d'agir, 2008 ; Etrangers à la carte. L'administration de l'immigration en France (1945-1975), Paris, Grasset, 2005), il s’est intéressé à l’administration fiscale.
Son ouvrage (Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raison d’agir, 2012) nous conduit au cœur de la collecte des impôts – comment s’opère en pratique le contrôle fiscale ? – et démonte les mécanismes par lesquels les classes dominantes sont parvenues à domestiquer l’impôt et à échapper, en partie, au contrôle fiscal.
En lien avec la crise de 2007 mais aussi avec plusieurs « affaires » médiatiques (Bettencourt, Depardieu, etc.), la question de la fiscalité et notamment de la contribution des plus riches à l’impôt s’est de nouveau invitée dans le débat public. Au-delà du thème de l’évasion fiscale souvent repris par les médias, tu insistes sur les transformations du contrôle fiscal et ces effets sur la moindre progressivité de l’impôt en France. Peux-tu expliquer en quoi et comment ce contrôle s’est modifié depuis les années 1970 ?
Les modalités du contrôle de l’impôt ont connu une véritable révolution depuis les années 1970 : pour le dire vite, on est passé d’un contrôle à la gomme et au crayon à une mise en réseau systématique de toutes les données dont dispose l’administration.
Ce changement dépasse d’ailleurs largement le seul cas de l’administration fiscale : l’outil informatique a totalement bouleversé l’emprise de l’Etat sur les populations placées sous sa surveillance. Dans l’ouvrage, je montre que cette révolution technologique s’est accompagnée dans les années 1990 d’un redéploiement du contrôle sur les catégories populaires, à la faveur de deux évolutions concomitantes.
D’un côté, la mise en accusation des « assistés », soupçonnés d’« abuser » des subsides de l’État, a mis à la mode le thème de la « fraude sociale ».
De l’autre, les progrès de l’informatique ont démultiplié les capacités de surveillance des contribuables percevant des revenus facilement identifiables (salaires, retraites, allocations de chômage et indemnités journalières de maladie).
Désormais, tout allocataire ayant déclaré un montant différent de celui enregistré sur sa feuille d’impôts est sommé par l’organisme lui versant les prestations de rendre cohérentes ses déclarations, sous peine d’en être privé.
La généralisation de la transparence des données a toujours été présentée aux personnels et au grand public comme un moyen d’améliorer la qualité des services rendus. En réalité, cette mise en réseau de toutes les administrations disposant d’informations sur les populations touchant des prestations sociales, s’est traduite par l’instauration d’un contrôle par capillarité auquel il est de plus en plus difficile d’échapper.
Ce recentrage de l’Etat fiscal est davantage motivé par des raisons politiques que par des considérations budgétaires, les vérifications de comptabilité des entreprises restant de loin les contrôles aux résultats les plus importants.
Mais tandis que se renforçait le contrôle sur les catégories populaires, plusieurs évolutions sont venues bouleverser le rapport de l’administration fiscale aux classes dominantes. Pour ceux dont la richesse et le patrimoine sont plus dispersés, les progrès induits par la généralisation de l’informatique ont été compensés par une injonction à privilégier négociations et transactions.
Comme il s’agit de contribuables qui savent s’orienter dans les méandres de la procédure et choisir les bons intermédiaires du droit, ils ont pu tirer le meilleur parti des instances de conciliation que l’administration fiscale a mis en place ces dernières années.
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