blog du Npa 29, Finistère
« Finalement, Gaston Defferre aura réussi à faire croire à la France entière, dès les années 60, que Marseille était une ville socialiste. » Jean-Victor Cordonnier s'en étonne encore. « La vérité, c'est que Gaston Defferre a réussi à fédérer autour de lui les anticommunistes, qu'ils soient socialistes ou de droite », ajoute celui qui fut le premier adjoint du Vieux Lion. Les années 60 à Marseille, dominées de la tête et des épaules par Gaston Defferre, commencent en... 1953.
Cette année-là, Jean Cristofol, qui fut le premier maire de Marseille élu au suffrage universel après la Libération, communiste jusqu'au bout des ongles, espère bien récupérer le fauteuil que lui a ravi à la surprise générale l'avocat de droite Michel Carlini. « A la quasi-totalité, les députés de Marseille sont alors communistes, ce qui en dit long sur la composition de l'électorat phocéen. D'ailleurs, le PC restera puissant jusqu'en 1981 : au premier tour de la présidentielle, Georges Marchais devancera François Mitterrand », explique l'historien Jean Domenichino, spécialiste de l'histoire des mouvements ouvriers et des entreprises au XXe siècle. Mais Cristofol trouvera sur son chemin Gaston Defferre, qui propose à la droite une alliance contre le PC. « Le destin de Defferre, c'est celui d'un homme de génie placé dans des circonstances historiques exceptionnelles », résume Jean-Victor Cordonnier.
De fait, Gaston Defferre a la légitimité pour faire cette proposition : ce protestant n'est peut-être pas né à Marseille - il est cévenol et a longtemps vécu avant guerre à Dakar -, mais il est auréolé des combats qu'il a menés ici dans la Résistance à la tête du réseau Brutus. Il est le personnage central de la SFIO. Et le journal que les milices socialistes ont pris pour lui les armes à la main, Le Provençal, lui est dévoué corps et âme. Le quotidien diffusera la pensée defferriste et avancera même les frais de campagne électorale de ses candidats. « Pour la droite, il n'est alors qu'un pape de transition », indique Jean-Victor Cordonnier.
Une transition qui durera... trente-trois ans. Car « Gaston » est réélu à la mairie en 1959 et il commence dès lors à écrire sa légende. Les années 60 vont lui servir à asseoir un pouvoir tout juste conquis. Il sort d'épreuves terribles. Le PC a voulu faire payer très cher au maire social-démocrate sa trahison - d'autant que la blessure du congrès de Tours n'est toujours pas refermée. Le PC marseillais, alors très stalinien, actionne la CGT, sa courroie de transmission : grève des ouvriers du Livre au Provençal, dans le propre journal de Gaston Defferre, grève des traminots de la Régie autonome des transports de la ville de Marseille (RATVM), grève des dockers du port... Mais, au bout du compte, « Defferre a mis la CGT à genoux, reprend Jean Domenichino. A cette époque, la guerre froide bat son plein à Marseille. Le PC ne jure que par Moscou, tandis que la CIA fait le forcing pour aider Force ouvrière à faire pièce à la CGT. »
Dans ce contexte, Gaston Defferre écrit au président du Conseil pour se plaindre des agissements d'un syndicaliste - Irving Brown, membre du comité méditerranéen anti-Kominform de l'AFL-CIO ! - envoyé par le gouvernement américain. « Son action gêne considérablement les efforts que j'ai moi-même entrepris pour contrecarrer l'influence du Parti communiste. »
Il va extirper manu militari la CGT du Provençal en faisant venir des rotativistes de Lyon, il met en place Force ouvrière au journal, ainsi qu'à la mairie. De la même manière, il crée au lendemain de la guerre, sur le port, une coopérative ouvrière d'acconage, la Socoma, avec ses « barons » Charles-Emile Loo et Antoine Andrieux. Des barons qui, avec Bastien Leccia, Jean Massé et d'autres, seront bientôt chargés d'aller à la conquête des fauteuils de députés détenus par les communistes Marie-Josée Cermolacce, Georges Lazzarino, Edmond Garcin.
Le patron des communistes, François Billoux, conservera le sien. C'est l'époque où les gros bras des taxis Tupp sont envoyés jouer les perturbateurs dans les manifestations de la CGT ou sont invités, les jours d'élection, à aller chercher les électeurs impotents qui sauront glisser le bulletin « Defferre » dans l'urne. C'est l'époque, aussi, où la droite siège dans la majorité du conseil municipal. Ainsi l'actuel maire UMP, Jean-Claude Gaudin, entre-t-il au conseil municipal en 1965 sur les listes Defferre-Rastoin. « Nous, les démocrates-chrétiens, nous étions sur les mêmes listes que les socialistes au conseil municipal, mais pour les législatives nous nous retrouvions avec les gaullistes et, le plus souvent, on se faisait ratatiner par les candidats de Defferre », se souvient Jean-Claude Gaudin.
A l'époque, Marseille est en pleine reconstruction. Les quartiers derrière la mairie ont été dynamités par les nazis, 11 000 personnes vivent encore dans des bidonvilles. Au sud, mais surtout au nord de la Canebière, de grands ensembles HLM vont bientôt relier entre eux les 101 noyaux villageois entourés de champs de la Marseille d'avant-guerre. Des écoles, des collèges, des lycées, l'hôpital Nord et ses 1 000 lits sortent de terre.
L'arrivée massive des pieds-noirs chassés d'Algérie, en 1962, prend le maire de court. Dans un premier temps, effrayé par le nombre et sans aide aucune du gouvernement ( « Pour moi, jusqu'à preuve du contraire, ce sont des vacanciers », avait déclaré le ministre Robert Boulin), Defferre se montre franchement hostile à ces nouveaux arrivants. Mais très vite son pragmatisme prend le dessus. Tous ces gens sont des électeurs. Alors, le maire qui a quadrillé sa ville par zones géographiques, par communautés ethniques et strates sociologiques, crée au sein du conseil municipal une délégation aux rapatriés.
Réaliste à Marseille, il se fait fin diplomate à Paris. Il a été, sous la IVe République, ministre de la Marine marchande et on lui doit la loi-cadre de 1956 qui a permis la décolonisation sans effusion de sang de l'Afrique noire - l'Algérie n'était pas une colonie, mais un département français. Croit-il vraiment qu'il peut être un adversaire à la hauteur du général de Gaulle ? Toujours est-il qu'il s'avère être le fameux Monsieur X, portrait idéal du candidat de la gauche à la présidentielle brossé dès 1963 par L'Express, le journal de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Gaston Defferre, finalement candidat à l'élection présidentielle de 1969 - les événements de 68 n'ont pas été très marquants à Marseille, ne recueillera, en formant un ticket avec Pierre Mendès France, que 5 % des voix au niveau national et 12 % à Marseille. C'est décidé, il ne quittera plus sa ville.
Néanmoins, il jouera encore un rôle déterminant lors de la transformation de la vieille maison SFIO en Parti socialiste au congrès d'Epinay, en 1971. Et, alors qu'il tient d'une main de fer la fédération PS des Bouches-du-Rhône, il sera avec son homologue du Nord Pierre Mauroy le « faiseur de rois » du PS - les mauvaises langues critiquent alors le diktat des « Bouches-du-Nord ». Cela lui vaudra d'entrer comme ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, en 1981, dans le premier gouvernement de François Mitterrand, qui compte aussi quatre ministres communistes. Une répartition des portefeuilles qui découle de la stratégie d'union de la gauche et de son corollaire, le Programme commun de 1974. Ce qui n'a pas été sans retombées locales. Ainsi, alors que Defferre avait conduit aux élections municipales de 1977 une liste sans les communistes, incluant des représentants de la droite flanqués de l'étiquette « socioprofessionnels », il conclura avec le PC un accord électoral en 1983. Son dernier accord, puisqu'il décédera en 1986, trente-trois ans après sa première élection à la mairie
En savoir plus:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Milieu_marseillais
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Defferre