Voici les trois articles publiés dans Le Monde daté du 3 janvier sous le titre générique
"les maires soucieux de leur lien avec le PS" ("le communisme municipal tient bon dans ses bastions " en accroche en une).
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Les communistes jugent compatible la critique du gouvernement et l'alliance avec
les socialistes pour les municipales
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Comme l'a récemment illustré la parodie de voeux envoyée par le Parti communiste à François Hollande,
les relations entre PS et PCF sont tendues. Mais, sur le terrain, communistes et socialistes travaillent ensemble. Et, dans la perspective des municipales de 2014, les maires PCF veulent
maintenir cette entente, notamment dans la quarantaine de villes de plus de 20 000 habitants qu'ils dirigent, et où la plupart ont été élus sur des listes d'union de la gauche.
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A l'image de leur direction, ces maires jugent sévèrement la politique
menée par le gouvernement et approuvent l'attitude de leurs sénateurs qui s'opposent de plus en plus frontalement aux socialistes. Une stratégie qui pourrait cependant leur valoir quelques
difficultés pour faire naître de futures listes d'union. " Je comprends qu'on puisse se poser la question mais il faut être pragmatique, répond Gaby Charroux, maire de Martigues et député des
Bouches-du-Rhône. Je n'aurai aucun état d'âme : j'ai bien l'intention d'avoir le même rassemblement que les années passées. "
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C'est d'ailleurs la ligne
choisie par la direction du parti.
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" Ces élections municipales avec un mode de
scrutin à deux tours, sur liste proportionnelle avec forte prime majoritaire, appellent à nos yeux, de la part des communistes et du Front de gauche, une stratégie de large
rassemblement (...) afin d'être majoritaires face à la droite et à l'extrême droite ", était-il recommandé en novembre aux
fédérations. " C'est un passage
incontournable pour gagner les villes et les garder ", dit Lydie Benoist, chargée des élections.
" Ce serait dommage qu'à cause de désaccords sur la loi de finances
on ne puisse pas travailler ensemble localement, soutient Marie-France Beaufils, sénatrice et maire de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire). Aujourd'hui, rien ne me fait penser qu'ici les socialistes ne
sont pas dans cette démarche-là. "
Et si les membres du PS, agacés par l'attitude des communistes au
niveau national, décident de faire cavaliers seuls ? " Si c'est leur position, cela signifiera qu'ils sont dans une posture de renoncement à porter le changement dans ce
pays, juge Gilles Poux, maire de La
Courneuve (Seine-Saint-Denis). S'ils ne
s'allient pas avec nous, ils le feront avec qui ? L'UDI ? "
" Pour être élu, Hollande a eu besoin des 4 millions de voix de
Mélenchon, insiste Bernard Genin,
maire de Vaulx-en-Velin (Rhône). Les
socialistes devront s'en souvenir et nous sommes là pour le leur rappeler. "
Convaincre le Parti de gauche D'autant que ces élections de mi-mandat
s'annoncent compliquées pour les socialistes. " Les sondages ne sont pas extraordinaires pour le PS, souligne Sébastien Jumel, maire de Dieppe
(Seine-Maritime). Si nous pensons que
pour gagner des villes, il faut être rassemblé, le PS a la même conviction. A moins que certains souhaitent engager un divorce avec le peuple de gauche. "
M. Charroux pointe les trois récentes législatives partielles, où le
PS a vu ses scores nettement baisser : "
Elles n'ont pas de portée générale, mais on peut s'attendre qu'avec de telles décisions nationales, ce soit très difficile pour le gouvernement lors des élections municipales mais aussi
cantonales et régionales. Du coup, la majorité au Sénat pourrait aussi rebasculer à
droite. "
En attendant, les communistes devront convaincre leurs partenaires du
Front de gauche de l'utilité de repartir avec le PS. Notamment le Parti de gauche, qui défend le principe de listes autonomes. " Il n'y a pas de frictions mais un débat
", assure M. Genin. Moins diplomate, Michèle
Picard, maire de Vénissieux (Rhône), juge que " sur certaines villes, le PG ne représente rien ". " Ce n'est pas le PG qui va décider de la ligne des maires communistes ", rétorque M. Jumel. Que ce soit avec le PS ou avec leurs propres
alliés, la tâche s'annonce ardue pour les communistes.
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R. B. D.
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A Gennevilliers, " si le PS s'y retrouve, il n'y a aucune raison de ne pas y
aller ensemble "
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Gennevilliers (Hauts-de-Seine) Envoyée spéciale
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Meurtrie par la désindustrialisation, Gennevilliers (Hauts-de-Seine) tente de tourner la
page.
Thales Communications y a inauguré en août des bureaux flambant neufs pour plus de 4 000 salariés.
Avant elle, c'étaient Prisma Media et Chèque Déjeuner qui avaient choisi de s'implanter dans cette commune de 43 000 habitants, bien desservie par les transports en commun et qui accueille le
Port autonome de Paris, importante zone d'activité économique. Une ville communiste depuis 1934.
Peu à peu, les anciennes friches industrielles, souvent préemptées par
la mairie, sont remplacées par des entreprises ou des immeubles modernes. Le long de l'avenue Gabriel-Péri, là où les usines Chausson faisaient autrefois la fierté de la ville, 1 700 habitations
sortiront de terre d'ici à 2016, dont la moitié en logement social et l'autre en accession à la propriété. Une règle que la mairie a instaurée pour les nouvelles constructions qu'elle
entreprend. " Cela permet de mieux répondre
aux droits des Gennevillois sans exclure la population en place ", explique le maire PCF, Jacques Bourgoin.
Gennevilliers a la spécificité
de jouir d'un budget annuel très confortable - 190 millions d'euros - tout en accueillant une population fragilisée.
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En 2009, le revenu moyen par foyer fiscal ne dépassait pas les 17 000
euros par an quand la moyenne du département était près de deux fois supérieure, et le chômage atteignait déjà plus de 16 %. Les ressources de la ville lui autorisent une politique sociale
d'ampleur. Dans une commune où le prix du mètre carré a triplé en dix ans, 65 % de logements sont sociaux. La mairie, qui fait travailler 1 200 personnes, est aussi un des plus gros employeurs de
la ville. Même Isabelle Balkany, maire-adjointe UMP de Levallois-Perret et ancienne vice-présidente du conseil général des Hauts-de-Seine, reconnaît que les communistes sont de " bons élus locaux ". " Bourgoin n'est pas un mauvais maire, car il est pragmatique ", ajoute-t-elle.
A Gennevilliers, l'UMP n'a que
deux conseillers municipaux.
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L'opposition est aussi représentée par Isabelle Guichard, conseillère
municipale Nouveau Parti anticapitaliste, pour qui " les communistes disent des choses en tant que militants et en font d'autres en tant que gestionnaires ". Elle en veut pour preuve le travail du dimanche. A l'Assemblée nationale, Roland Muzeau, premier adjoint au maire et alors député, s'y était
vigoureusement opposé. Mais, sur place, la ville l'a autorisé. " Nous sommes pour son interdiction totale, mais il faut tenir compte des réalités locales,répond M. Muzeau. A partir du moment où tout est ouvert à côté, cela crée une situation incompréhensible pour les salariés genevillois. "
En quatre-vingts ans, le PCF a
eu le temps de tisser des réseaux importants.
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" L'appareil est bien huilé, bien implanté, notamment dans les
associations, constate Mohamed
Bellouch, maire adjoint à la solidarité (PS). Les socialistes ont du mal à exister en tant que tels. " " Tout est toujours contrôlé ", assure aussi Mme Guichard, qui parle de " clientélisme ". " Pour ça, il faut avoir des choses à offrir, des logements, de l'emploi, juge-t-elle. Et ils font bien le travail. " Des accusations que conteste formellement la
mairie.
En 2008, M. Bourgoin a été réélu dès le premier tour, sur une liste
d'union de la gauche, avec près de 75 % des voix, mais aussi près de 50 % d'abstention. A 60 ans, il a décidé de passer la main. C'est Patrice Leclerc, conseiller général de 49 ans, qui prendra
la relève pour les prochaines municipales. Lui aussi souhaite travailler au rassemblement de la gauche. " L'idée est de construire un programme avec les
habitants, explique
l'élu. Si le PS s'y retrouve, il n'y a aucune
raison de ne pas y aller ensemble. "
Jusqu'à présent, les socialistes n'ont jamais tenté de conquérir la
ville. Et ne semblent pas prêts à se lancer pour 2014. " La difficulté, c'est qu'on a fait plusieurs mandats ensemble, explique M. Bellouch. Se présenter face à la population en se tirant dessus, ça va
être un peu difficile. " Ce dernier met tout
de même en garde sur " les limites à ne pas
dépasser " après les critiques des
communistes qui se multiplient au niveau national contre le gouvernement.
Il faudra aussi, glisse M. Leclerc, laisser " cicatriser " la défaite de M. Muzeau, qui a perdu la circonscription en juin au
profit d'un jeune socialiste. S'il n'a obtenu que 29,7 % des voix au premier tour sur l'ensemble de la circonscription, l'ancien député a en revanche dépassé les 50 % des voix sur Gennevilliers.
De quoi mettre du baume au coeur au PCF pour 2014.
R. B. D.
" Il y a une ambivalence entre le PCF, aux positions souvent radicales, et ses
maires "
Questions à Emmanuel Bellanger, historien chercheur au CNRS ainsi qu'au Centre d'histoire sociale à Paris-I. Il a coécrit avec Julian
Mischi Les Territoires du
communisme (Armand-Colin), à paraître
en mars 2013.
Quelles sont les caractéristiques du communisme municipal ?
Le communisme municipal n'a jamais été reconnu par la direction du PCF pour qui l'action municipale n'est qu'un pâle supplétif à la vraie Révolution. Dans les faits, il se caractérise par la
promotion du logement social et la constitution de réserves foncières qui marquent l'emprise de la municipalité sur le territoire. Il promeut le tissu associatif affilié au PCF, des services de
proximité et des politiques d'encadrement social, en particulier de la jeunesse, autour du patronage et des colonies de vacances. Il se distingue par sa politique d'emploi, jugée pléthorique et
clientéliste, mais qui permet l'insertion sociale d'un personnel peu qualifié. Dès l'origine, il y a une ambivalence entre un PCF aux positions souvent radicales, et ses maires qui, pour
maintenir leur assise et servir les besoins de leur population, collaborent avec l'Etat.
Les habitants votent-ils par adhésion à l'idéal communiste ou par reconnaissance du travail mené par les équipes ?
Aux municipales de 1965, dans de nombreuses villes rouges, seule la liste du PCF était en compétition. Les autres partis ne pouvaient que constater l'emprise des maires communistes, qui
fidélisaient sur leur nom le vote banlieusard. A défaut d'une adhésion au PCF, ce vote exprimait une reconnaissance à l'égard de ses militants devenus des maires bâtisseurs.
A partir de quand constate-t-on une perte d'influence du PCF dans la banlieue rouge ?
Depuis les municipales de 1989, le PCF a perdu une dizaine de bastions, comme Montreuil, Drancy, Aubervilliers ou Romainville. Au choc de la désindustrialisation des années 1970 ont succédé la "
crise des banlieues " et la gentrification de quartiers proches de Paris. La concurrence avec le PS est de plus en plus vive. L'ancien bastion qu'est la Seine-Saint-Denis reste aujourd'hui le
plus disputé. La banlieue rouge a aussi été marquée par des luttes fratricides.
De nombreux élus, à Aubervilliers, Saint-Denis, Pantin ou Montreuil,
ont pris leur distance dès les années 1980 avec leur parti qui renouait avec une ligne d'opposition. Mais l'empathie pour le communisme municipal n'a pas totalement disparu. A la présidentielle
de 2012, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ou Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), le Front de gauche a totalisé plus de 25 % des voix, alors qu'en 2007, Marie-George Buffet ne dépassait pas les 8 %.
Cette banlieue ne sera peut-être plus communiste, mais elle peut rester rouge.
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Propos recueillis par Raphaëlle Besse
Desmoulières