31 mars 2010 -
La cour d'appel de Paris a confirmé, hier, la responsabilité pénale de Total dans le naufrage de l'Erika, ainsi que la notion de «préjudice écologique», à la grande satisfaction des parties civiles, mais a créé la surprise en exonérant le groupe pétrolier du paiement des nouvelles indemnités.
En confirmant la notion de préjudice écologique dans l'affaire de la marée noire de l'Erika, la cour d'appel de Paris a considéré que la nature a un prix et que les atteintes à l'environnement constituent «une agression pour la collectivité des hommes». En janvier2008, en première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait accordé, pour la première fois, un prix au vivant, reconnaissant un préjudice écologique au même titre que le préjudice moral ou matériel.
La cour d'appel a repris cette position et reconnu que les collectivités territoriales et certaines associations avaient subi un préjudice «résultant de l'atteinte portée à l'environnement». «Ce préjudice objectif, autonome, s'entend de toute atteinte non négligeable à l'environnement naturel, notamment à l'air, l'atmosphère, l'eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l'interaction entre ces éléments, qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime», définit-elle dans son arrêt.
En polluant 400km de côtes, le pétrole déversé par l'Erika a «causé une catastrophe écologique comme la France n'en avait jamais connue», estime la cour. «L'homme
et son milieu naturel sont interdépendants, rappelle-t-elle. Il découle de cette interdépendance que tout atteinte au milieu naturel constitue une agression pour la communauté des hommes (...) et
que cette agression doit trouver réparation».
Dommage écologique
Toute collectivité territoriale a pour mission d'améliorer le bien-être de la population. En voyant leurs côtes souillées, elles subissent un préjudice écologique «personnel» et sont en droit de
réclamer réparation. Tout comme les associations de protection de l'environnement, comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO), qui voient reconnaître le dommage écologique comme une attaque à
leur raison d'être. Sur les 200 M€ d'indemnisations accordés par la cour, environ 13 millions le sont au titre du préjudice écologique. Cette décision ouvre la possibilité aux collectivités et
associations de se constituer parties civiles lorsqu'elles estimeront qu'une atteinte à l'environnement a été commise, même si aucun intérêt économique n'a été lésé.
Total responsable au pénal, pas au civil
Comme en première instance, Total, la société de classification Rina, l'armateur Giuseppe Savarese et le gestionnaire Antonio Pollara ont été condamnés aux amendes maximales pour pollution:
375.000 € pour les deux premiers, personnes morales, et 75.000 € pour les derniers. La cour a légèrement augmenté les indemnisations accordées aux parties civiles, les portant de 192,5 M€ à 200,6
M€.
Mais, coup de théâtre, elle a considéré que Total, en tant qu'«affréteur véritable» de l'Erika, était exonéré du versement de ces dommages et intérêts, du fait d'une convention internationale.
Celle-ci, baptisée «CLC», concentre la responsabilité d'une pollution par hydrocarbures sur le propriétaire du navire. La décision a provoqué l'indignation de
plusieurs parties civiles. «La cour dit que Total a été imprudent mais pas téméraire, c'est une bataille de mots», a estimé Me Jean-Pierre Mignard, qui conseille huit collectivités, dont les
régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Pour lui, l'affaire risque fort de se régler devant la Cour de cassation.
Rina et Savarese se pourvoient en cassation
Total a rappelé en fin de journée avoir versé «définitivement» aux parties civiles qui avaient accepté la transaction, après le premier jugement, 171,5M€ d'indemnités.
En y ajoutant les sommes dépensées pour le nettoyage des côtes, le pompage de la cargaison et le traitement des déchets, «plus de 370millions ont été consacrés par Total» à la réparation des
dommages. Les indemnisations restantes, près de 30M€, seront à la charge de Rina, Savarese et Pollara. Les deux premiers ont déjà annoncé leur intention de se pourvoir en cassation. Total a cinq
jours pour se décider.