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Par Jean-Michel Krivine Publié par Alencontre le 14 - avril - 2013
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Le souvenir de la révolte du ghetto de Varsovie en avril 1943 ne doit pas s’estomper.
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Rappelons d’abord (pour la jeune génération…) ce qu’était un ghetto. Le terme est d’origine italienne probable et désigne le quartier où les juifs étaient obligés de
vivre. Son institution est médiévale et a survécu, en Europe, jusqu’à la révolution française. L’émancipation des juifs a été proposée par l’abbé Grégoire et votée en 1791 par l’Assemblée
nationale.
L’occupation d’une partie de la Pologne par l’Allemagne nazie, aussitôt après la signature du pacte germano-soviétique (23 août) entraîne, en 1939, la reconstitution
du ghetto. Alors que la plupart des 450 000 juifs de Varsovie avaient déjà été déportés et gazés dans les camps d’extermination de Treblinka et Maïdanek, une poignée de quelques centaines de
combattants sont parvenus à défier l’occupant nazi et à l’affronter pendant sept semaines.
Il lui faudra des tanks et de l’artillerie pour en venir à bout.
Les combattants juifs n’avaient aucun espoir de gagner, leur seul objectif était de «témoigner», de clamer au monde que la population juive de Varsovie ne se
laisserait pas passivement mener à l’abattoir et d’inciter d’autres opprimés à agir de même, ce qui eut lieu dans d’autres ghettos polonais.
Très rapidement, après l’occupation, des mesures avaient été prises contre la population juive qui comptait alors plus de 3 millions d’habitants en Pologne:
confiscation de biens, interdiction de travailler dans les institutions publiques et les organismes de l’État, interdiction de voyager, rémunérations limitées, interdiction pour les médecins de
soigner des non-juifs, port de l’étoile jaune à partir de 12 ans etc.
En novembre 1939 les nazis recréent le ghetto de Varsovie où doit se rendre toute la population juive de la ville avec interdiction d’en
sortir.
Une ceinture de 18 km de mur et de barbelés l’entoure. L’isolement est total. La misère devient telle que des gens meurent de faim en pleine rue ; sans parler
des épidémies de typhus. Un Conseil juif de 24 membres (Judenrat), aux ordres de l’occupant, gouverne le ghetto et dispose d’une police juive en uniforme. Malgré la brutalité de la répression, la
majorité de la population essaie de survivre et au début, ne croit pas aux informations alarmistes qui surviennent de temps à autre.
Dès février 1941 pourtant, quelques rescapés avaient raconté comment les nazis avaient gazé des juifs à Chelmno après en avoir gazé 40 000 à
Lodz.
Seules les organisations ouvrières y accordent du crédit et commencent un travail de propagande et d’organisation. Elles comprennent essentiellement le Bund, créé en
1897, (majoritaire, socialiste et non sioniste), l’Hashomer Hatzaïr (socialiste et sioniste), les syndicats et des organisations de jeunesse. Quant au Parti communiste polonais qui avait été
liquidé par Staline en 1938, il commence lentement à se reconstituer et réapparaîtra en janvier 1942 sous un autre nom : Parti Ouvrier Polonais (PPR). À partir de la mi-1942, suite aux
nombreuses exécutions de résistants et aux fusillades nocturnes, la population commence à comprendre que son avenir est des plus incertain.
C’est le 20 juillet 1942 que le Judenrat sera mis en demeure (et acceptera) de signer un Appel avertissant la population juive que, sauf exceptions, elle devra
quitter la ville. Bien entendu la destination n’est pas précisée. C’est la première vague de déportation : les rafles commencent aussitôt et au deuxième jour le président du Judenrat,
l’ingénieur Adam Czerniakow, se suicide. Lui savait parfaitement ce que signifiait le prétendu «départ à l’Est» et ne pouvait amoindrir sa responsabilité qu’en disparaissant.
C’est alors que les rafles se succèdent, opérées par les gendarmes, les Ukrainiens et la police juive, au rythme de plusieurs milliers par jour (de 1600 à 13 000
selon les auteurs…). Les partants sont rassemblés sur l’Umschlagplatz (devant la gare) et pendant un moment on leur distribuera 3 kg de pain et 1 kg de confiture, de telle sorte qu’il y aura des
milliers de volontaires affamés, persuadés qu’on ne leur donnerait pas ça si on voulait les massacrer.
Pourtant la vérité commençait à se savoir : un envoyé avait été expédié du côté «aryen» et avait contacté un cheminot. Avec lui il se rend sur la ligne
ferroviaire qu’empruntent les convois de déportés se rendant à Treblinka. Les cheminots de l’endroit leur apprennent que «tous les jours un train de marchandises, rempli de gens en provenance de
Varsovie, emprunte cet embranchement et revient vide. Aucun convoi alimentaire ne passe par là et la gare de Treblinka est interdite à la population civile. Preuves tangibles que les gens qui y
sont conduits sont exécutés».
Au mois de septembre 1942 il reste moins de 60 000 habitants dans le ghetto et en juillet les organisations résistantes se réunissent (sauf les sionistes de droite)
et créent l’Organisation Juive de Combat (OJC) avec un commandant de la Hachomer [mouvement de jeunesse juive, créé en 1913, en Pologne], Mordechaï Anielewicz, et un adjoint du Bund, Marek
Edelman.
L’OJC ne comprend que quelques centaines de combattants (de 500 à 2000 selon les auteurs). Elle a très peu d’armes: quelques dizaines de revolvers en mauvais état,
des grenades et des cocktails Molotov fabriqués sur place, quelques fusils et un seul pistolet-mitrailleur. Des groupes de combat sont formés qui pratiquent des attentats, attaquent les SS et
libèrent des prisonniers. L’OJC règne dans le ghetto qu’elle couvre d ‘affiches, avec le soutien de la population restante. C’est alors que les nazis décident d’en finir et va commencer la
deuxième vague de déportations.
Le 19 avril 1943, à 4 heures du matin, 2000 à 3000 Waffen SS, auxiliaires ukrainiens, lettons et policiers polonais commencent à pénétrer dans la place. Ils
seront rejoints par des troupes motorisées, des blindés et de l’artillerie. A leur grande surprise ils seront accueillis par un déluge de feu venant des quatre coins des rues. Il y aura d’assez
nombreux morts et deux chars seront incendiés. Après quelques heures de combat acharné, les assaillants s’enfuient et à 14 h il n’en reste plus un. Ils referont une tentative le lendemain mais
sans plus de succès. Ce n’est qu’au troisième essai qu’ils parviendront jusqu’au ghetto central qui sera incendié et littéralement rasé. La moitié des combattants juifs périra pendant les
combats.
De nombreux survivants décideront de se suicider collectivement et parmi eux Mordechaï Anielewicz qui était à la tête de l’OJC, après avoir tué son amie, répétant
ainsi le geste des Hébreux, en lutte conte les Romains, à Massada, au premier siècle après J-C. Quelques combattants parviendront à s’enfuir par les égouts, rejoindront la Résistance polonaise et
participeront à l’autre insurrection de Varsovie en août 1944.
Parmi eux Marek Edelman qui a rapporté ultérieurement de façon émouvante et vivante l’histoire de l’insurrection du ghetto. En conclusion, nombre d’auteurs font
remarquer que cet événement unique jusque-là dans l’Europe occupée a été pratiquement passé sous silence par les futurs vainqueurs occidentaux. La radio et la presse anglo-saxonnes en parlèrent
très peu, après quelques jours de tractation entre le Foreign Office et le gouvernement polonais en exil à Londres.
Les Britanniques voulaient « vérifier l’exactitude des faits » et souhaitaient ménager leur allié polonais pas particulièrement philosémite. Il fut
également ignoré par la majorité des Polonais dont l’antisémitisme traditionnel leur permit de supporter gaillardement l’assassinat de 3 millions de juifs de chez eux. Il ne s’agissait pas de
Polonais «collabos», car ceux qui auraient pu les aider, les résistants de l’Armia Krajowa (Armée de l’intérieur), dépendant du gouvernement en exil à Londres, disposaient de dizaines de milliers
de fusils, de grenades, et de milliers de pistolets dont ils eurent la générosité d’en offrir 9 aux combattants du ghetto…
Quant aux Soviétiques, ils étaient encore à mille km de Varsovie, mais un an plus tard, en août 1944, alors qu’ils s’y trouvaient à deux pas, au bord de la Vistule,
et que les résistants avaient déclenché l’insurrection, ils ne bougèrent pas et laissèrent les nazis l’écraser au bout de 63 jours. Les communistes français ont alors raconté que l’insurrection
avait été déclenchée sans contact avec l’armée rouge, qu’il s’agissait d’une décision criminelle des dirigeants polonais de Londres, que les nazis y avaient poussé et que les Russes,
heureusement, ne sont pas tombés dans le piège. On imagine ainsi ce qui se serait passé si les Soviétiques avaient atteint Varsovie un an auparavant…
En ce qui concerne l’insurrection du ghetto et la discrétion des futurs libérateurs, un autre suicide eut lieu mais à Londres: le 17 décembre 1943, pour protester
contre l’indifférence des puissances occidentales au massacre des juifs polonais, Artur Zygelboïm mettait fin à ses jours. Il représentait le Bund auprès du gouvernement polonais en exil.
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