Certains, comme le maire UMP d’une commune de Seine-et-Marne, décident de leur interdire l’école.
D’autres, comme dans plusieurs lycées professionnels de Rennes, font tout pour que leur scolarité se déroule correctement. Les élèves sans papiers sont toujours
confrontés à des situations kafkaïennes, et à l’incertitude face à la menace de l’expulsion. Et ce, tant que la loi ne changera pas. Reportage auprès de ces enseignants et proviseurs qui ont
choisi le camp de la solidarité.
Quand le proviseur lui a annoncé que sa classe comptait une élève sans papiers, Catherine* [1], professeure en lycée professionnel à Rennes, n’était guère enchantée. « Je me suis demandé comment
j’allais faire. J’étais convaincue qu’elle ne serait jamais là, qu’elle n’aurait pas le niveau, qu’elle ne pourrait pas suivre. J’étais inquiète pour la cohésion de la classe. Je ne savais pas
si les autres élèves allaient bien l’accueillir. Et j’ai prévenu mon proviseur que, de toute façon, elle n’aurait pas de traitement de faveur ! »
Cinq ans plus tard, Catherine et son élève s’appellent régulièrement. Pour s’assurer que tout va bien et pour régler, encore et toujours, des histoires de papiers.
« Elle vient de se voir refuser un visa pour Hong-Kong, où elle devait aller faire un stage dans le cadre de son BTS commerce international. Il faut que je m’occupe de ça. »
Recherche d’un logement, bataille pour avoir une place en crèche, renouvellement annuel de la carte de séjour… Les démarches administratives ne s’arrêtent jamais. « Je serai tranquille
quand elle aura fini ses études », sourit Catherine. Ses préjugés ont volé en éclats. L’enseignante a été conquise en quelques mois par l’assiduité de sa jeune élève et la rapidité
avec laquelle elle a appris le français, tout en déménageant de squat en squat, alors qu’elle n’avait pas encore de logement stable.
« Un peu comme ma mère »
« Cette professeure, c’est un peu comme ma mère, ici en France, sourit la jeune élève. Sans elle, et sans le soutien de mes collègues lycéens, qui
m’ont toujours encouragée, jamais je n’aurai pu réussir. » Aujourd’hui inscrite en BTS dans un lycée général, elle regrette l’ambiance de fraternité qui régnait dans le lycée pro où
elle a débarqué, alors qu’elle parlait à peine le français. « Là, je dois vraiment faire mes preuves toute seule. Personne ne me tend la main. C’est un peu dur
parfois. »
« Quand ils s’inscrivent, on ne sait pas forcément qu’ils sont en situation irrégulière, indique Jacques*, proviseur. Sauf s’ils sont envoyés par un
foyer, ou une association. » Ce sont généralement les professeurs ou les conseillers pédagogiques qui s’en aperçoivent. Au détour d’une conversation avec les élèves, ou bien sollicités
par eux à l’occasion d’une convocation au tribunal administratif, qui signifie souvent qu’ils risquent d’être expulsés.
L’ombre de l’expulsion
Le Réseau éducation sans frontières (RESF) a dès 2009 alerté sur la
situation de ces jeunes majeurs sans papiers. Arrivés en France adolescents, ils y poursuivent leur scolarité mais, à leur majorité, le titre de séjour leur est refusé. « Ils peuvent
alors être interpellés, internés en centre de rétention administrative (CRA), puis, malgré les fortes mobilisations de leurs camarades, de leurs professeurs et de tous ceux que leur sort
indigne, expulsés au premier contrôle vers des pays où ils n’ont parfois plus ni attaches ni famille », rappelle RESF [2].
« Quand mon élève m’a dit tribunal administratif, je me suis dit "ça urge", se souvient Catherine. J’ai discrètement parlé du sujet à des élèves
majeurs, que je savais sérieux et posés. Et ils se sont organisés : tractage au lycée et sit-in devant le tribunal. Je me savais évidemment soutenue par le proviseur. Je suis
fonctionnaire, je dois obéir, mais rien ne m’empêche de toucher aux limites du cadre. »
La solidarité des proviseurs
Un cadre que le proviseur aussi se permet d’adapter en fonction des situations. Il y a quelques mois, averti par une conseillère principale d’éducation (CPE)
affolée, Jacques a ainsi téléphoné à la préfecture pour s’enquérir du cas d’un élève convoqué au tribunal administratif, et qui risquait l’expulsion. Les enseignants du lycée l’ont ensuite aidé
à rassembler toutes ses pièces administratives. Et tout est rentré dans l’ordre… jusqu’à la prochaine fois.
« C’est mon rôle de chef d’établissement, que de m’occuper des élèves, dit-il simplement. Je ne sais pas si cela a une influence au niveau du
traitement du dossier. » Dans la mesure où là préfecture appelle parfois les proviseurs pour avoir leur avis sur tel ou tel dossier, on peut imaginer que oui, leur parole compte.
Jean*, un autre proviseur en lycée professionnel, a de son côté fourni un certificat d’assiduité pour compléter le dossier d’une jeune élève menacée d’être renvoyée au Maroc.
L’école, dernier sanctuaire ?
« La scolarité se construit dans la durée, rappelle Jean. On passe notre temps à demander aux jeunes ce qu’ils veulent faire. Comment peuvent-ils
répondre s’ils ne savent pas s’ils seront encore là le mois prochain ? » Cette incertitude peut bien sûr influer sur leur capacité à s’intégrer et à réussir leur parcours
scolaire. « Cela dit, même si cette question des papiers les obsèdent, cela reste pour eux une insécurité toute relative. Ces jeunes ayant bien souvent vécu des choses très dures, très
violentes. D’ailleurs, on ne mesure pas toujours l’ampleur de leur traumatisme. Nous ne sommes pas armés pour ça », confie le proviseur.
« J’ai la conviction que l’école est le dernier sanctuaire, un endroit où l’on peut se reconstruire et se voir dispenser de l’affection. L’accueil des
élèves en situation irrégulière est une évidence pour moi. Je considère d’ailleurs que, en tant que chef d’établissement, je représente la permanence des valeurs de l’État, garant de l’absolue
nécessité de protéger les enfants », explique-t-il.
Un élu UMP empêche toute scolarité
Une position qui tranche avec celle de Jacques Baumann, maire UMP de Rubelles, en Seine-et-Marne. Pendant des mois, il a refusé l’inscription scolaire de 18 enfants étrangers, âgés de 3 à 12 ans.
Pour leur barrer la route, son conseil a même voté un arrêté interdisant l’admission scolaire sans le certificat d’inscription délivré par la mairie. Et lors d’une des tentatives d’inscription
des enfants à l’école, il est carrément intervenu avec la police pour les en empêcher ! Mais l’élu et ses conseillers municipaux ignoraient sans doute qu’en France l’instruction est
obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, de 6 à 16 ans !
Pour Jean, « il semble normal de faire porter par la solidarité de l’établissement l’hébergement d’un gamin qui, sinon, se retrouverait à la
rue ». Pour les périodes d’été, durant lesquelles ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, il arrive que le conseil d’administration vote une aide des fonds sociaux (réduits comme peau de
chagrin aux cours des cinq dernières années). « Cela peut les aider à ne pas tomber dans la délinquance. »
Déjouer la spirale de la pauvreté
« Quand ils doivent faire un stage en entreprise, on les aide à se procurer des vêtements adaptés, pour qu’ils présentent bien. Ce sont des petites choses
importantes pour eux. Qui les aident à ne pas se sentir abandonnés », raconte Jacques. Ces élèves se retrouvent souvent pris dans la spirale infernale de la paupérisation de leur
famille, étrangères ou pas, qui ne cesse de croître depuis quelques années. Dans l’enceinte du lycée, certains gamins ne mangent que quatre jours sur cinq. Sachant qu’ils se débrouillent
certainement pour manger à deux sur une carte…
« Nous sommes incapables d’organiser la solidarité. Alors cela se fait autrement. Mais ce serait bien de structurer tout ça, et de donner du sens et de la
cohérence », espère le proviseur. La régularisation des jeunes lycéens étrangers, qui se retrouvent dans l’illégalité au lendemain de leur majorité, pourrait peut-être aussi leur
simplifier la vie. Réunis à Paris le 21 mai dernier, ils ont d’ailleurs répété à François Hollande
qu’ils comptaient sur lui.
Nolwenn Weiler