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Dans cet article il ne s’agira pas de revenir sur le déroulement des événements de la Commune mais de se concentrer sur deux questions particulières. Etant donné que la Commune de Paris n’était pas seulement un événement mais aussi une institution issue directement du suffrage universel est-ce que ce ne serait pas un argument pour soutenir la thèse de la « Révolution par les urnes » chère à Jean-Luc Mélenchon avec ses références aux processus au Venezuela ou au référendum ?
Deuxièmement, sur la question de la démocratie « directe » et des organes de pouvoir ou de contrepouvoir, nous avons souvent en tête les conseils ouvriers qui ont surgi lors des révolutions du début du 20e siècle (Russie, Allemagne, Hongrie, Italie, Espagne ou plus tard au Chili, en Iran, etc.) mais quelle forme le pouvoir des travailleurs prenait-il lors de la Commune ? Et du coup, en quoi le retour sur cette question est-il utile pour le débat aujourd’hui sur les formes que ce pouvoir pourrait prendre à l’avenir (conseils d’entreprise, comités de grève, coordinations, AGs ou conseils de quartier, etc.) ?
Revenons donc sur les deux élections marquantes de février et de mars de cette année 1871 et à l’énorme évolution des consciences dans l’espace de 7 semaines. Après la défaite de l’armée de Napoléon III face à la Prusse le 4 septembre 1870, le Second Empire s’effondre, le peuple parisien se soulève et les députés modérés de Paris proclament la République et mettent en place un gouvernement « de défense ». Ce gouvernement continue à mener la guerre, alors que Paris, assiégée, connait la famine, mais il finit par capituler le 28 janvier. Afin que cette capitulation soit validée par un gouvernement légitime la Prusse exige de nouvelles élections en France.
Le 8 février une nouvelle assemblée nationale est élue.
Sur 750 députés, 450 sont des monarchistes (sans compter les bonapartistes). La seule exception est Paris où sur 43 députés 33 sont des républicains plus ou moins radicaux et quatre des révolutionnaires. Le 26 mars les Parisiens élisent la Commune de Paris.
On a souvent parlé de ses décrets mais, pour mémoire, citons-en quelques uns des plus frappants :
- l’armée permanente est supprimée. Paris aura « une milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir au lieu d’une armée permanente qui défend le pouvoir contre les citoyens ».
- les expulsions de locataires sont interdites et les dettes depuis octobre annulées
- les élus sont responsables et révocables à tout moment
- les élus et fonctionnaires (du plus haut au plus bas de l’échelle) sont payés le même salaire qu’un ouvrier
- toutes les Eglises sont dissoutes et expropriées dans la mesure où elles constituent des corps possédants et les prêtres sont renvoyés « à la calme retraite de la vie privée »
- les magistrats et les juges sont élus, responsables et révocables
- les établissements d’instruction sont ouverts à tout le peuple et gratuits
- le travail de nuit des boulangers est interdit
Ce changement entre les deux élections s’explique-t-il par un simple débat d’idées, par la force d’une belle campagne électorale ? Bien évidemment que non. Mais comment expliquer alors la transformation d’un Paris républicain en un Paris rouge et révolutionnaire ? D’abord, une partie importante de la population des quartiers riches de Paris, soit fuit la capitale pour rejoindre la réaction à Versailles, soit s’abstient. Si les quartiers populaires votent massivement pour la Commune (le 20e à 76 %) la moyenne est à peine 50 % car dans certains quartiers bourgeois à peine 25 % des inscrits se déplacent. Mais la raison principale se trouve dans l’incroyable intensification de la lutte des classes entre les deux élections.
Au lendemain du 8 février le gouvernement Thiers lance une attaque des plus brutales contre le peuple parisien qui, à son tour, résiste avec des formes d’organisation et de représentation très particulières. Avant d’examiner ces formes rappelons-nous quelques éléments de l’offensive du gouvernement.
- Le 15 février, sous prétexte que la guerre est terminée, l’Assemblée décide d’arrêter la solde des 180 000 gardes nationaux. Pas de solde et pas de travail de remplacement signifie la précipitation dans la misère de dizaines de milliers de familles.
- Le 6 mars, le général bonapartiste Vinoy, devient gouverneur militaire de Paris et suspend six journaux révolutionnaires et ferme les clubs.
- Le 10 mars l’Assemblée supprime le moratoire sur les loyers et les effets de commerce. Le résultat de cette provocation calculée est un chômage dans toutes les branches industrielles, 40.000 commerçants en faillite et 300.000 locataires menacés d’expulsion.
Adolphe Thiers est à la tête d’un véritable gouvernement de classe aux ordres des riches mais pour assurer leur victoire définitive ils ont besoin de désarmer le peuple parisien comme le confirme très clairement Thiers dans sa déposition plus tard à l’enquête parlementaire sur la Commune : « Les gens d’affaires allaient répétant partout : vous ne ferez jamais d’opérations financières si vous n’en finissez pas avec ces scélérats et si vous ne leur enlevez pas les canons. Il faut en finir, et alors on pourra traiter d’affaires. » S’ils ne ripostent pas, la victoire de l’ordre est immédiate, dans le cas contraire tout est prêt pour les mater, pour « en finir »
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Le 18 mars il manque l’incident qui doit créer l’état de conflit – la reprise des canons déplacés sur les hauteurs de Montmartre et de Belleville.
Le 18 mars Thiers tente le coup mais grâce à la résistance et la fraternisation entre les soldats et le peuple de Montmartre, le plan échoue. « Depuis le 18 mars, Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon mais par des ignorants, ce qui est pire »Victor Hugo, dans une lettre.
La résistance à cette offensive ne surgit pas de nulle part car depuis des mois ça bouillonne dans tous les quartiers populaires de Paris – l’installation du gouvernement Thiers à Versailles plutôt qu’à Paris à partir du 10 mars est d’ailleurs le signe de la crainte qu’il ressentait. Ceci nous permet d’aborder la deuxième question posée au début puisque la résistance se développe à travers plusieurs types d’organisation, au niveau local – les clubs populaires et les comités de vigilance dans les quartiers et au niveau parisien - le comité des vingt arrondissements et surtout la Garde nationale et son Comité central élu par les différents bataillons parisiens.
Comme bien d’autres aspects de la Commune (comme le nom même et la reprise du calendrier révolutionnaire) les clubs trouvent leur inspiration dans ceux de la Révolution de 1789.
Les clubs se réunissaient le soir et souvent dans des églises, les seuls endroits assez grand pour tenir tout le monde. Occupées par le clergé dans la journée ces églises se transformaient le soir. Le compte rendu d’une de leurs réunions, paru dans le Journal officiel , nous donne une idée de cette démocratie directe.
« (à) L’Église St Nicolas-des-Champs, chaque soir (...) le spectacle est saisissant. Citoyennes et citoyens, les premiers le chapeau sur la tête et le cigare aux lèvres, les secondes s’appuyant sur les piliers, achevant leur repas du soir, sont entassés dans un épais désordre.
De la chaire, au lieu du prêtre en surplis blanc, (…),un homme est debout qui, la main sur la garde de son sabre, le képi au front, l’écharpe rouge autour des reins, adresse à la multitude un sermon d’un genre nouveau. (…)
On entre, on sort, on circule, on s’attroupe. Le rire du gamin de Paris interrompt les discussions politiques. Approchez-vous des groupes, écoutez. Tout un peuple s’entretient de choses graves : pour la première fois, on entend les ouvriers échanger leurs appréciations sur des problèmes qu’avaient abordés, jusqu’ici, les seuls philosophes. De surveillants, nulle trace : aucun agent de police n’obstrue la rue et ne gêne les passants. La sécurité est parfaite. »
Ce sont les mêmes scènes qu’on retrouvera dans les descriptions de toutes les grandes révolutions du 20e siècle comme celles de la Révolution russe par John Reed ou de l’Espagne par George Orwell. C’est l’image même de ce « festival des opprimés » : les débats, la libération de la parole, la prise de confiance et de conscience qui caractérisent une révolution.
Pour aller plus loin :
- Le numéro spécial de TEAN la Revue, n°19, mars 2011.
- Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871, La Commune de Paris, Éditions Sociales.
- C.Talès, La Commune de 1871, Spartacus.
- Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de Paris, La Découverte.
- Jacques Rougerie, Paris insurgé, La Commune de 1871, Découvertes Gallimard.
- DVD, La Presse de la Commune de 1871, www.association-radar.org.
Voir aussi: