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Par le Mardi, 12 Mars 2013
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La triple catastrophe du 11 mars 2011 constitue un tournant majeur dans l’histoire contemporaine du Japon – sa portée politique n’est cependant pas univoque.
Elle a provoqué une rupture radicale dans la façon dont bien des Japonais perçoivent les autorités et les institutions de leur pays. Elle a nourri une révolte citoyenne profondément progressiste. Mais elle s’est produite alors que la situation géopolitique en Asie orientale s’avère de plus en plus instable : le sentiment populaire d’insécurité se double ainsi d’une grande incertitude quant à l’évolution régionale des rapports de forces entre puissances ; ce qui suscite un dangereux renouveau de mouvements militaristes et nationalistes réactionnaires.
Le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 ont eu d’importantes implications sociales et économiques, avant tout dans le nord-est directement frappé.
Or, une population massivement sinistrée se retrouve en situation d’impuissance, de dépendance. Les réseaux institutionnels, sociaux et familiaux traditionnels sont dévastés. Le choc psychologique est profond, alimenté par la disparition physique d’espaces communautaires (villages, quartiers…), la perte des proches, le manque d’information fiable, la solitude, le sentiment de n’avoir plus prise sur son avenir. Face à l’incroyable impotence administrative dont à fait preuve l’Etat en ces temps d’urgence, des organisations militantes régionales (syndicats, associations...) ont fait un travail remarquable pour porter les premiers secours et offrir des cadres d’activité collective aux réfugiés. Elles ont bénéficié à cette fin de réseaux d’aide nationaux et internationaux, mais leurs moyens sont restés sans commune mesure avec l’ampleur de la catastrophe. Quant au mouvement ouvrier japonais dans son ensemble, il était trop affaibli (et bureaucratisé) pour porter dans l’ensemble du pays les enjeux sociaux révélés ou provoqués par le désastre. De ce fait – et vu aussi vu l’extrême gravité de l’accident dans la centrale de Fukushima –, c’est la question nucléaire qui a dominé la scène politique dans la période qui a suivi le 11 mars.
Le consensus pronucléaire qui prévalait jusqu’alors au Japon a été brisé.
Les aveux de personnalités impliquées dans ce secteur économique et la publication de documents inédits ont montré comment, à chaque étape, ce consensus avait été construit sur le mensonge, la corruption, la connivence privé-public ; sur la négation des risques liés à la radioactivité et de la possibilité d’accidents majeurs. Cette politique du mensonge s’est perpétuée pendant et après la catastrophe – au point que les mères, dans les zones contaminées, ne savent plus quelles précautions doivent être prises pour protéger leurs enfants (plus sensibles que les adultes aux rayonnements à relativement faible dose).
Hier avant tout local (un collectif citoyen contre chaque centrale), le mouvement antinucléaire a pris une dimension nationale, mobilisant parfois des dizaines de milliers de personnes, ce qui ne s’était jamais vu dans l’archipel. Pour des raisons diverses, les centrales ont été mises à l’arrêt l’une après l’autre, si bien qu’en mai 2012 aucune n’était plus en service ! En juillet, Naoto Kan, Premier Ministre au moment de la catastrophe, s’est déclaré pour un Japon libéré du nucléaire. En 2012, nombre de sondages donnaient une très large majorité en faveur d’une sortie du nucléaire. Pourtant, début février 2013, les sondés se sont déclarés à 56% en faveur de la politique de relance des centrales prônée par le nouveau gouvernement de Shinzo Abe. Comment expliquer ce retournement ?