Un jour Chávez dit à Obama qu’il « veut être son ami », un autre il le traite de « clown » et de « honte pour le peuple noir », plus tard il affirme que s’il était nord-américain il voterait pour lui…
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Cela, tout en réitérant à intervalles réguliers ses condamnations de l’impérialisme US, « plus grand terroriste de l’Histoire du monde ». Où est la logique de telles prises de position – et d’autres, parfois encore plus surprenantes ?
Les relations entre les Etats entraînent des contraintes pour le plus progressiste des gouvernements, et chaque accord économique n’a pas nécessairement une signification politique. Il reste que les grands choix de politique étrangère entrent toujours en résonance avec les objectifs poursuivis à l’intérieur du pays. Ceux du gouvernement vénézuélien doivent donc être pris en compte pour analyser son cours politique. Commençons par les orientations mises en œuvre en Amérique latine.
L’ALBA (« Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique ») visait, dans l’esprit de Chávez, à offrir une alternative continentale au projet étatsunien (mis en échec par les mobilisations populaires) d’une « Zone de libre-échange des Amériques ». C’est en avril 2005 qu’elle a été portée sur les fonts baptismaux, à travers la signature d’un « Traité commercial des peuples » entre le Venezuela et Cuba. Outre les deux pays fondateurs, l’ALBA réunit aujourd’hui la Bolivie, le Nicaragua et l’Equateur, ainsi que trois petits Etats de la Caraïbe [1].
Si elle loin d’avoir atteint ses objectifs initiaux, l’ALBA présente des traits progressistes inédits, qui la différencient de tous les autres blocs économiques régionaux.
A l’opposé du néolibéralisme dominant, elle est fondée sur des principes de coopération et de solidarité, mis en œuvre à travers une série d’accords bilatéraux ou multilatéraux qui, peu ou prou, bénéficient aux peuples concernés. Ainsi, le Venezuela met à la disposition d’autres pays ses moyens de transport et leur fournit du pétrole à des prix préférentiels, Cuba développe chez ses partenaires d’importants programmes d’aide médicale, etc. Quant au commerce interne à la zone, il s’efforce de tenir compte des inégalités de développement en appliquant des mécanismes de compensation.
Cependant, un an après la fondation de l’ALBA, Chávez présentait également la candidature du Venezuela au Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et – à l’époque – Paraguay). Après une longue attente, il a fini par l’intégrer en juillet 2012 [2]. Et là, c’est tout autre chose, car ce marché commun sud-américain est fondé sur les mêmes principes que l’Union européenne ou que l’accord de libre-échange de l’Amérique du Nord : la libre circulation des marchandises et des capitaux. Un membre du Parti communiste argentin, pourtant pas un critique forcené, estime que « face au modèle d’ouverture, concentration et exclusion imposé par le néolibéralisme, le Mercosur n’a pas été un mur de contention de l’avancée libérale mais plutôt une forme idiosyncratique ou ‘‘autonome’’ pour administrer l’austérité » [3]. En termes moins ampoulés : c’est un espace néolibéral autonome et relativement indépendant de la superpuissance étatsunienne, dominé par la puissance montante du capitalisme brésilien.
D’où des interrogations, pour le moins, sur l’impact que cette adhésion aura sur l’économie vénézuélienne. Chávez parle d’une « bénédiction » qui permettrait de créer des centaines de milliers d’emplois, grâce à l’installation d’entreprises brésiliennes et argentines, attirées par l’énergie et les matières premières bon marché mises à leur disposition aux portes de la Caraïbe. Mais d’autres observateurs, y compris certains chavistes de gauche, estiment que la faible structure industrielle du pays pourrait ne pas y résister et que le gagnant sera dans tous les cas le grand capital brésilien. Beaucoup s’interrogent aussi sur le sort des accords passés dans le cadre de l’ALBA et craignent que celle-ci ne soit désormais menacée.
Le 13 septembre dernier à Caracas, Chávez adressait « (son) salut et (ses) vœux au président Bachar al-Assad et au peuple syrien qui résistent à une agression impérialiste. » Le 9 octobre, il rendait d’abord hommage à Khadafi : « J’étais très ami avec Mouammar Kadhafi, le chef de l’Etat libyen. Il a été torturé, assassiné. Les derniers mots de Kadhafi ont été : « Je mourrai comme le Che. Je vais au martyr » » (Où a-t-il trouvé cela ?) Puis il revenait sur la Syrie en déclarant : « Est-ce que quelqu’un peut être d’accord avec l’agression que subit la Syrie (…) J’aimerais bien faire quelque chose mais que peut faire le Venezuela ? (…) Nous devons défendre la souveraineté de tous les pays (…) Comment ne pas appuyer le gouvernement si c’est un gouvernement légitime (…) Le monde est entré dans une nouvelle guerre impériale. C’est lamentable. »
Mais la relation la plus « spectaculaire » est sans doute celle engagée de longue date avec le régime des mollahs. Chávez s’est rendu treize fois en Iran depuis le début de sa présidence, tandis qu’Ahmadinejad a été reçu six fois à Caracas depuis 2005. Et ils ne parlent pas que de commerce ou de coopération technique. L’un et l’autre s’apprécient et se qualifient réciproquement de « frères ». Lors de leur avant-dernière rencontre, en janvier 2012, Chávez a rappelé sa « volonté de continuer à travailler ensemble pour freiner la folie impérialiste qui se déchaîne aujourd’hui comme jamais depuis longtemps avec un pouvoir terrible, menaçant (…) L’une des cibles que vise l’impérialisme yankee est l’Iran, et c’est pourquoi nous montrons notre solidarité. »
L’un des supporteurs français de Chávez les moins critiques, le secrétaire national du PG François Delapierre, relevait récemment que « pour le Venezuela, les relations internationales ne sont pas un à côté de la politique gouvernementale. Elles sont une condition matérielle de l’indépendance nationale visée par le pouvoir bolivarien. » [4] Mais une chose est de combattre les ingérences et menaces impérialistes, autre chose, totalement différente, est d’accorder son soutien politique et son amitié à des directions bourgeoises qui figurent parmi les dictatures anti-ouvrières les plus féroces de la planète.
L’absence dans la diplomatie vénézuélienne de tout critère de classe, le fait qu’elle ne se préoccupe en rien du combat des travailleurs iraniens ou chinois, ni même de celui des peuples en dehors du continent latino-américain, confirment en tout cas que le discours socialiste de la direction chaviste est purement rhétorique. Delapierre, à sa manière, à raison : de l’ALBA et du Mercosur aux relations avec la Chine, la Russie, l’Iran ou la Syrie, le seul objectif poursuivi est l’indépendance nationale. Encore faut-il signaler que les relations avec les Etats-Unis ne sont pas exactement ce qu’il en est dit. Chávez a beau dénoncer périodiquement l’impérialisme US comme le mal incarné (que certainement il est), les relations avec lui empruntent des chemins plus tortueux... et pragmatiques.
Il est prouvé, de notoriété publique, que l’administration Bush avait au moins soutenu (si ce n’est encouragé ou provoqué) le coup d’Etat de 2002. Mais aujourd’hui, et contrairement à ce que la gauche chaviste se plait à répéter, ce n’est plus la politique des Etats-Unis. Parce que la mobilisation des peuples latino-américains les a fait reculer, que la puissance impériale a d’autres sujets de préoccupation, prioritaires (Moyen-Orient, Asie…), mais aussi que ses dirigeants considèrent désormais qu’ils peuvent s’accommoder pour un temps de Chávez. Après tout, celui-ci ne s’en est pris que marginalement aux intérêts de leurs entreprises. Le Venezuela reste un pays capitaliste où elles continuent de faire leurs affaires, la situation n’y a rien à voir avec les expropriations sans indemnités et la nationalisation totale de l’économie cubaine, il y a maintenant plus de 50 ans.
Les relations commerciales n’ont jamais été interrompues. En lui livrant un peu un peu moins de 10 % du total de ses importations, le Venezuela est le quatrième fournisseur de pétrole des Etats-Unis. Et, quand bien même le pays caribéen tente de réduire cette dépendance (en particulier par de nouveaux contrats avec la Chine), ses livraisons à l’Oncle Sam représentent toujours la majeure partie de ses exportations. De même ce dernier reste-t-il, et de loin, le principal fournisseur du Venezuela. [5] La page Internet du Département d’Etat (ministère des affaires étrangères) étatsunien sur le Venezuela rend compte de cette approche plus apaisée : « Indépendamment des tensions dans les relations bilatérales, les Etats-Unis continuent de rechercher avec le gouvernement vénézuélien des engagements constructifs, en se concentrant sur les domaines dans lesquels la coopération est de l’intérêt des deux nations. Des exemples de tels intérêts communs sont la coopération dans la lutte contre le narcotrafic et le terrorisme, ainsi que les relations commerciales. » [6].
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