Affirmant notre engagement dans la révolution de notre peuple qui a combattu pour son droit à la liberté et à la dignité
nationale et a fait de grands sacrifices dont des dizaines de martyrs et des milliers de blessés et de détenus, et afin d’achever la victoire contre les ennemis intérieurs et extérieurs et de
s’opposer aux tentatives avortées pour écraser ces sacrifices, s’est constitué « le Front du 14 Janvier » [1] comme un cadre politique qui s’emploiera à
faire avancer la révolution de notre peuple vers la réalisation de ses objectifs et de s’opposer aux forces de la contre-révolution. Ce cadre comprend les partis, les forces et organisations
nationales progressistes et démocratiques.
Les tâches urgentes de ce Front sont :
1 – Faire tomber le gouvernement actuel de Ghannouchi ou tout gouvernement qui comprendrait des symboles de l’ancien régime, qui a appliqué une politique
antinationale et antipopulaire et a servi les intérêts du président déchu.
2 – La dissolution du RCD et la confiscation de son siège, de ses biens, avoirs et fonds financiers étant donné qu’ils appartiennent au peuple.
3 – La formation d’un gouvernement intérimaire qui jouisse de la confiance du peuple et des forces progressistes militantes politiques, associatives, syndicales
et de la jeunesse.
4 – La dissolution de la Chambre des Représentants et du Sénat, de tous les organes fictifs actuels et du Conseil supérieur de la magistrature et le démantèlement
de la structure politique de l’ancien régime et la préparation des élections à une assemblée constituante dans un délai maximum d’un an afin de formuler une nouvelle constitution démocratique
et fonder un nouveau système juridique pour encadrer la vie publique qui garantit les droits politiques, économiques et culturels du peuple.
5 – Dissolution de la police politique et l’adoption d’une nouvelle politique de sécurité fondée sur le respect des droits de l’homme et la supériorité de la
loi.
6 – Le jugement de tous ceux qui sont coupables de vol des deniers du peuple, de ceux qui ont commis des crimes à son encontre comme la répression,
l’emprisonnement, la torture et l’humiliation – de la prise de décision à l’exécution – et enfin de tous ceux qui sont convaincus de corruption et de détournement de biens publics.
7 – L’expropriation de l’ancienne famille régnante et de leurs proches et associés et de tous les fonctionnaires qui ont utilisé leur position pour s’enrichir aux
dépens du peuple.
8 – La création d’emplois pour les chômeurs et des mesures urgentes pour accorder une indemnisation de chômage, une plus grande couverture sociale et
l’amélioration du pouvoir d’achat pour les salariés.
9 - la construction d’une économie nationale au service du peuple où les secteurs vitaux et stratégiques sont sous la supervision de l’État et la
re-nationalisation des institutions qui ont été privatisées et la formulation d’une politique économique et sociale qui rompt avec l’approche libérale capitaliste.
10 – La garantie des libertés publiques et individuelles, en particulier la liberté de manifester et de s’organiser, la liberté d’expression, de la presse, de
l’information et de pensée ; la libération des détenus et la promulgation d’une loi d’amnistie.
11 – Le Front salue le soutien des masses populaires et des forces progressistes dans le monde arabe et dans le monde entier à la révolution en Tunisie, et les
invite à poursuivre leur appui par tous les moyens possibles.
12 – La résistance à la normalisation avec l’entité sioniste et sa pénalisation et le soutien aux mouvements de libération nationale dans le monde arabe et dans
le monde entier.
13 – Le Front appelle toutes les masses populaires et les forces nationalistes et progressistes à poursuivre la mobilisation et la lutte sous toutes les formes de
protestation légitime, en particulier dans la rue jusqu’à l’obtention des objectifs proposés.
14 – Le Front salue tous les comités, les associations et les formes d’auto-organisation populaire et les invite à élargir leur cercle d’intervention à tout ce
qui concerne la conduite des affaires publiques et les divers aspects de la vie quotidienne.
Gloire aux martyrs de l’Intifada et Victoire aux masses révolutionnaires de notre peuple.
Tunisie, le 20 Janvier 2011
Ligue de la gauche travailliste
Mouvement des Unionistes Nassériens
Mouvement des Nationalistes Démocrates (Al-Watad)
Courant Baasiste
Gauche Indépendante
PCOT (Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie)
PTPD (Parti du Travail Patriotique et Démocratique)
[1] Date de la fuite
de Ben Ali, le président déchu
Note:
Enfin la gauche arabe relève la tête après avoir été discréditée et distancée par l'islamisme ! (pour son immobilisme/impuissance face aux régimes honnis et
Israël ). On voit dans les signatures des noms qui rappelleront aux anciens qu'il y a eu des partis laïcs et de gauche dans les pays arabes.
Le courant nassérien, rappelle celui de Gamal Abd El Nasser, qui avant d'être un dictateur a été un grand leader du tiers monde (nationalisation du canal de Suez)
et a vu des partis se référer à lui, comme les "morabitouns" du Liban, luttant les armes a la main contre Israël dans le camp "palestino-progressiste" dans les années 70'.
Le courant baassiste, qui avant de ne représenter que la dictature irakienne, était un courant pro pan-nationaliste visant à unifier Irak, Syrie et Egypte en une
seule république. La Syrie a eu pendant quelques temps (avant la dynastie El Assad) un gouvernement révolutionnaire en 1970. Elle n'a cependant pas pu sauver les palestiniens massacrés par le
roi de Jordanie, envoyant des chars qui sont restés à la frontière. Toute la contradiction du nationalisme!
Le FPLP palestinien avec qui la Lcr , puis le Npa ont des relations fraterneles, provient de la mouvance nationaliste arabe.

Les forces politiques en Tunisie
Une fois le dictateur parti, reste à définir comment le pouvoir doit être exercé et pour mener quelle politique.
Du temps de Ben Ali, un seul parti politique, le RCD, avait une réelle consistance, des locaux, des milices et de l’argent : celui des deux présidents qui se
sont succédé depuis l’indépendance. Le RCD est plus qu’un parti : il a été pendant une quarantaine d’années un parti-Etat, combinant les traits des anciennes dictatures d’Europe de l’Est,
et une politique néolibérale étroitement liée à celle du monde occidental.
Ce système a permis un véritable pillage du pays par la famille et la belle-famille du Président. Il a également permis l’entretien d’une nombreuse
« clientèle » cherchant à s’enrichir, ou tout simplement survivre en acceptant, en échange, de chanter les louanges du régime ou de participer au flicage du reste de la population.
Tout cela n’a pas empêché le RCD d’être, pendant des années, la section officielle de l’Internationale socialiste !
Dans ce type de système mafieux, l’espace réservé aux autres partis politiques a été jusqu’à présent singulièrement réduit.
a) Les petits partis satellites du régime Ben Ali : leur principale fonction était de faire croire aux étrangers, cherchant des alibis pour
soutenir la dictature, que le pluralisme existait. Ils ne jouent aucun rôle dans le débat politique actuel.
b) L’opposition légale acceptait périodiquement de « dialoguer » avec le pouvoir, en échange de quelques places de députés. La plupart
ont cherché jusqu’à la fin à trouver des arrangements avec Ben Ali. Après sa chute, ils ont ensuite accepté, au moins momentanément, les places de ministre qui leur ont été offertes. On trouve
dans cette catégorie :
• Ettajdid d’Ahmed Brahim (ancien PC tunisien ayant suivi une évolution comparable à celle de son homologue italien), étroitement lié en France à l’ATF
(Association des tunisiens de France) ;
• le FDTL de Ben Jaafar (membre consultatif de l’Internationale socialiste et qui va certainement en devenir la section officielle après l’exclusion du parti de
Ben Ali deux jours après sa fuite du pays) ;
• le PDP de Maya Jribi et Néjib Chebbi.
• On peut y ajouter le PSG, une toute petite formation issue de l’extrême-gauche. Elle a été très rapidement reconnue par les « nouvelles-anciennes »
autorités, et défend le gouvernement mis en place au lendemain de la chute de Ben Ali.
c) L’opposition clandestine comportait deux courants principaux :
Les islamistes ont subi une répression
impitoyable sous Ben Ali : 30 000 ont été jetés en prison et souvent torturés, la plupart des autres contraints à l’exil. Ne restaient en Tunisie, hors des prisons mais dans la
clandestinité, que des militants d’Ennahda ainsi qu’un courant salafiste, essentiellement tourné vers la situation dans d’autres pays et en particulier l’Irak.
En ce qui le concerne, Ennahada nie vouloir utiliser la violence, et ce courant se prononce publiquement (comme lors d’un meeting à Paris le 15 janvier dernier)
pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Sous la dictature, Ennahda n’a pas hésité à travailler dans le cadre de la Coalition du 18 octobre avec des forces de gauche légales
résolument laïques (PDP, FDTL), ou même marxiste comme le PCOT. Ce courant suscite des craintes notamment chez les jeunes et les femmes, quant à la sincérité de son évolution en particulier sur
la laïcité et les droits des femmes.
Plusieurs groupes ou réseaux, ayant joué
pendant des années un rôle majeur dans les luttes contre l’ancien régime, en particulier dans le cadre de l’UGTT et de l’UGET [1], se sont récemment regroupés sous le nom de
« Front du 14 janvier ». Ce sont pour la plupart des courants d’origine marxiste-léniniste (comme par exemple le PCOT), trotskyste ou nationaliste arabes de gauche. Ancien
marxiste-léniniste, et pendant un temps Président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, Moncef Marzouki (CPR) ne participe pas à ce front.
Est venu s’ajouter, en 2004, « Tunisie
verte » de Zitouni, étroitement lié aux partis Ecologistes européens.
Un puissant
mouvement social
Comme souvent dans les dictatures, c’est le mouvement social qui a joué, dans les faits, le rôle de contrepouvoir.
On y retrouvait l’essentiel de celles et ceux osant depuis des dizaines d’années tenir fièrement tête à la dictature : syndicalistes, militants de la gauche
clandestine ou légale, avocat-e-s, étudiant-e-s, féministes, artistes, journalistes, militant-e-s des droits de l’Homme, etc.
Un grand nombre avaient connu la prison et/ou la torture, et ne renonçaient néanmoins pas à la lutte, n’hésitant pas à défier ouvertement les flics et les
mouchards qui les suivaient à la trace. Beaucoup se connaissaient de longue date et constituent un maillage complexe où s’entremêlent appartenances politiques actuelles ou passées, liens
familiaux, origines géographiques, etc. Citons pêle-mêle :
Les Associations de défense des
droits de l’Homme, résultant d’une alchimie complexe entre avocat-e-s, syndicalistes, ex-prisonnier-e-s politiques, intellectuel-le-s, membres d’organisations politiques légales ou
illégales : LTDH (Ligue tunisienne des droits de l’Homme), CNLT (Conseil national pour les libertés en Tunisie, AISPP (Association internationale de soutien des prisonniers politiques,
Liberté et équité, ALLT (Association de lutte contre la torture en Tunisie), Amnesty International, etc.
Des associations féministes,
comme l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates) essentiellement animée par des intellectuelles laïques très opposées aux islamistes.
Des journalistes et des
internautes parvenant à contourner des médias relayant la propagande du régime.
Des artistes dissident-e-s,
comme le fameux « Al Géneral », des associations cinématographiques comme la FTCC, la FTCA, ou venant du monde du théâtre, regroupées depuis 1999 autour d’une plateforme d’action
culturelle alternative et anticapitaliste.
Au sein de ce mouvement social,
une place centrale revient au mouvement syndical dont les structures animées par des opposants à Ben Ali ont souvent servi, grâce à leurs ressources militantes et leurs locaux, de
base arrière au reste du mouvement social.
Le rôle du
mouvement syndical
L’UGTT, la centrale syndicale unique, a été la matrice du mouvement national tunisien du temps de la colonisation. En Tunisie, tout le monde se réclame de Ferhat
Hached, un des fondateurs du syndicalisme tunisien, assassiné en 1952 par l’extrême-droite colonialiste avec le concours des services secrets français. L’UGTT est largement issue de la CGT
française, mais une rupture est intervenue avec elle autour de la deuxième guerre mondiale après-guerre, suite au refus du PC et du PS de la revendication d’indépendance. L’UGTT s’est alors
rapprochée du courant nationaliste incarné par Bourguiba, par ailleurs affilié à l’Internationale socialiste. De cette histoire résultent des relations complexes entre l’UGTT et l’Etat
tunisien.
Une fois au pouvoir, Bourguiba a cherché à utiliser le prestige de l’UGTT pour asseoir sa domination, d’où un tiraillement perpétuel de l’UGTT entre deux grands
courants non formalisés :
Un courant de soumission au
pouvoir pouvant aller à certains moments jusqu’à une quasi-intégration dans l’appareil d’Etat. Il en découlait une série de prébendes, comme par exemple des postes de députés. En
retour, la direction confédérale appelait à voter aux élections pour le parti au pouvoir, et cherchait à freiner les luttes, voir les combattre.
Un courant de résistance au
pouvoir, contrôlant certaines fédérations comme les puissantes fédérations de l’enseignement ou celle des postes et télécommunications ainsi que certaines unions interprofessionnelles
régionales ou locales. Les locaux de ces structures servaient souvent de base arrière à une grande partie de l’opposition sociale et/ou politique. Ce courant a joué un rôle décisif dans les
grèves, rassemblements et manifestations qui ont entraîné dans la chute de la dictature.
Entre les deux, toute une
palette de positions oscillant entre l’une et l’autre position.
Donnons deux exemples : Le secrétaire de l’UGTT pour la région de Gafsa était simultanément député du parti de Ben Ali et patron d’entreprises
effectuant des travaux de sous-traitance pour les mines de phosphates. Il était personnellement impliqué dans les magouilles concernant les recrutements dans les mines au profit de
membres de sa tribu. Face à la mobilisation populaire contre cette injustice, il a tout simplement suspendu les syndicalistes locaux qui s’y étaient impliqués. Et pour couronner le tout, il a
été officiellement soutenu par la direction nationale de la centrale syndicale, dont le responsable chargé du dossier était de la même tribu que lui, et présentait les mobilisations populaires
comme l’œuvre de dangereux extrémistes ! Le feu vert était ainsi donné à la répression contre des membres de sa propre organisation syndicales qui se sont retrouvés emprisonnés et pour
certains d’entre eux torturés. Mais simultanément une autre partie de l’UGTT, dont les syndicats de l’enseignement et celui des postes & télécommunications [2] a pris fait et cause pour les inculpés de Redeyef-Gafsa. Finalement, la centrale a été contrainte de redonner leurs
mandats syndicaux aux syndicalistes de Redeyef la veille de l’ouverture du procès, puis de leur apporter un soutien financier ainsi qu’à leur famille.
L’Union régionale de Tunis est, comme il se doit, la principale structure interprofessionnelle de l’UGTT. [3] Longtemps
inféodée au pouvoir, elle avait récemment basculé vers une critique, au moins partielle du régime. Il n’était pas étonnant que, dans ces conditions, elle appelle le 27 décembre à un
rassemblement sur la prestigieuse place faisant face au siège de l’UGTT. Cela lui a valu un désaveu public du secrétaire général de l’UGTT, dénonçant nominalement le secrétaire général du
syndicat de l’enseignement secondaire qui y avait pris la parole, ainsi que les slogans hostiles à Ben Ali scandés par les manifestants [4]. Signe
des temps, avait été mis en ligne sur un des sites de la centrale le communiqué intersyndical français du 30 décembre qui dénonçait clairement le régime, et soutenait nettement les
syndicalistes ayant manifesté le 27 décembre [5]. Après un vigoureux débat interne, le balancier est reparti dans l’autre sens : le 4 janvier sortait une déclaration
soutenant le mouvement [6], puis le 11 [7] un appel
laissant aux structures locales la liberté d’appeler à des grèves régionales et sectorielles sur tout le territoire. Trois représentants de l’UGTT avaient été désignés par le secrétariat
général pour siéger dans le premier gouvernement ayant suivi la chute de Ben Ali. La Commission administrative de l’UGTT leur demandait dès le 18 de démissionner [8], et exigeait le 21 [9] la
démission du gouvernement.
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