22 octobre 2010 - Le Télégramme
Leur concours en poche, une kyrielle de professeurs stagiaires des collèges et lycées a débuté l'année scolaire, sans réelle formation.
Réforme oblige. Réunis mercredi, à l'IUFM, quatre d'entre eux tirent un premier bilan. Un nombre de places au concours de professeurs des écoles qui diminue. Une formation quidure plus longtemps.
Les étudiants del'IUFM deSaint-Brieuc digèrent mal la «masterisation».
David, Erwan, Thomas et Hélène (*), âgés de 22 à 26 ans, font partie des fameux professeurs stagiaires des collèges et lycées. Ils ont
débarqué comme des fleurs, dans leurs établissements respectifs, à Saint-Brieuc et dans le reste des Côtes-d'Armor, il y a moins de deux mois. Goûtant les premiers, à la «masterisation» de la
formation aux métiers de l'enseignement (voir ci-dessous). Réunis autour d'une table de la cafétéria de l'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), ils boivent un café.
Décompressent de leur première journée de «séminaire de formation», depuis la rentrée.
Problèmes d'autorité
On veut savoir. Parachutés sans réelle formation dans des classes, ayant à gérer une trentaine d'élèves, à leur proposer des cours consistants, on imagine ces
jeunes profs vivre des montées de stress fulgurantes et des moments de solitude. Mais qu'en est-il vraiment? David, qui enseigne l'histoire-géographie au niveau collège, l'annonce d'emblée, il
rencontre pas mal de soucis: «J'ai des problèmes d'autorité avec quelques élèves. Je n'ai pas su les recadrer dès le départ. Mes collègues m'avaient prévenu. Même pour eux, ces classes étaient
difficiles», soupire-t-il. Et d'ajouter:«J'ai commis l'erreur de proposer des exercices trop compliqués au début. Les élèves l'ont mal vécu». «Ce sont eux qui vont pâtir de nos débuts hésitants»,
poursuit Erwan, professeur dans un lycée briochin.
L'aide des autres profs
Mais à les écouter, le bilan n'est pas catastrophique. Et ils tombent tous d'accord: «Si la rentrée s'est globalement bien déroulée, c'est grâce à la solidarité des
collègues. Ils nous ont donné beaucoup de conseils, notamment pour préparer les cours», assure Hélène. Alors que cela était prévu dansla réforme, nos quatre enseignants débutants n'ont pas de
tuteurs. «Il y a un mouvement très suivi des professeurs titulaires qui refusent ce tutorat. Au final, ce sont des inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) qui assureront cette mission», indique
David. Pour l'instant, les professeurs bretons de l'enseignement secondaire (collèges et lycées), donnent neuf heures de cours par semaine (ils touchent 1.670€ net mensuels). Contre 18 heures,
comme cela était défini dans la réforme. Le rectorat a fait un geste.
Bientôt à temps complet
Neuf heures ça ne paraît pas beaucoup... «C'est sans compter les cinq à six heures que je passe dans l'établissement, pour les questions de discipline et les
discussions avec les collègues. Et les dix à onze heures nécessaires à la préparation de mes cours», explique David. «Au début, il me fallait une journée pour préparer une évaluation d'une
heure», complète Hélène. Quant aux mi-temps restants, ils sont assurés par des titulaires sur zone de remplacement (TZR). Mais les professeurs stagiaires devraient goûter au temps complet à la
rentrée des vacances dela Toussaint.
«Nous sommes tous angoissés de passer à 18 heures. Nous venons à peine de trouver un certain équilibre», confie Thomas. Le collectif des enseignants stagiaires de
Bretagne multiplie, d'ailleurs, les actions auprès du rectorat, afin qu'il maintienne le mi-temps jusqu'à la fin de l'année scolaire. Leur goût du métier a-t-il pris une claque? «Les conditions
dans lesquelles nous évoluons sont difficiles, mais le travail reste formidable», tranchent-ils tous, sans sourciller.
La masterisation. Un nom un peu barbare, celui de la réforme de la formation des enseignants. Le fameux concours de recrutement des professeurs (des
écoles ou du secondaire), se passe désormais à Bac+5, au lieu de Bac+3. Les étudiants se formeront en amont, dans des masters dédiés. Ilssont mis en place depuis cette année dans les instituts
universitaires de formation des maîtres (IUFM). Auparavant, la formation pédagogique se déroulait après obtention du concours à bac+3, via l'alternance entre classes et IUFM.
Pourquoi un tel système?
Le ministère de l'Éducation nationale développe ses arguments: «Il s'agit d'élever le niveau de qualification des personnels enseignants, au moment du recrutement;
d'intégrer la formation des maîtres dans le dispositif LMD (licence, master, doctorat): à terme les enseignants qui seront recrutés disposeront d'un master. Mais aussi de préserver les
possibilités de réorientation, pour les étudiants qui ne seront pas recrutés, et de préparer progressivement au métier, avant les concours».
Année de transition pour les professeurs stagiaires
Alors, pourquoi les professeurs stagiaires qui débutent depuis la rentrée dans les classes, ne sont-ils pas formés? Parce qu'ils sont dans une année de transition.
Ils sont les derniers à avoir passé le concours de recrutement. De fait, ils ne profitent ni de l'année de formation en alternance entre IUFM et classes (qui a disparu), ni de la formation en
master (qui vient d'apparaître). Étudiants, prétendants au concours de professeurs des écoles, ils sont 90 inscrits en master1 (Bac+4), et 60 en master2 (Bac+5) métiers de l'enseignement, à
l'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Saint-Brieuc. Etils ont peur. Peur de voir le métier d'instituteur se précariser. Explications.
60 places au concours cette année en Bretagne
«Le temps de formation s'allonge puisque le concours se passe désormais à Bac+5. Et le nombre de places diminue. Cette année, 60 pour toute la Bretagne. Et
peut-être seulement 30, l'année prochaine», lance Clémence Bailleul, 23 ans, en M2. «Du coup, beaucoup d'étudiants sortant de l'IUFM bénéficieront, certes d'un Bac+5 en métiers de l'enseignement,
mais pas du concours. Il leur faudra, alors, aller d'écoles en écoles pour déposer des CV et faire des remplacements», déplore PaulineLePotier, 22ans, en M1. «Les étudiants ont, effectivement, la
crainte de voir naître deux statuts pour les professeurs des écoles. Ceux qui seront titulaires, le concours en poche, bénéficiant de la sécurité de l'emploi et les autres, précaires», note Joël
Divry, directeur de l'IUFM.
Moins d'inscrits que prévu à l'IUFM
Cela a-t-il un impact sur le nombre d'inscrits à l'IUFM, cette année? «Nous pensions avoir un nombre conséquent d'étudiants en M1, à savoir 240 et une centaine en
M2.On savait qu'il y aurait des pertes, mais pas une telle fuite, constate Joël Divry. Pour les étudiants, il est difficile de s'engager sur un master en deux ans, sans connaître le nombre de
places au concours.» Autre explication à cette baisse d'effectifs: il n'est pas nécessaire de réaliser un master en IUFM, pour se présenter au concours.
* À leur demande, leurs prénoms ont été modifiés.