1er juillet 2010
Paru durant l’été 2009, l’ouvrage de Michel Dreyfus [1] reste d’une actualité
brûlante. Sa lecture, comme celle du livre de Michel Wieviorka [2] et, plus récemment, l’ouvrage de Gilbert Achcar Les arabes et la Shoah [3], est essentielle.
Depuis le déclenchement de la seconde Intifada à l’automne 2000, une offensive idéologique d’intellectuels et d’organisations soutenant inconditionnellement la
politique de l’état d’Israël vise à assimiler toute critique de ce dernier à de l’antisémitisme, au mépris des virulents débats qui parcourent la société israélienne et le monde juif.
La gauche, particulièrement la gauche antisioniste, porterait la responsabilité d’une convergence « rouge-vert-brun », symptôme du retour aux sources
d’un antisémitisme « de gauche » et d’un renoncement à toute intransigeance à l’encontre de cette forme de racisme. Elle serait, de fait, le creuset des violences antijuives observées
ces dernières années.
Michel Dreyfus démêle les fils du passé et donne des arguments à ceux et celles qui, au présent, réfutent cet amalgame et luttent activement pour les droits du
peuple palestinien.
L’historien démontre ce qu’il serait vain de nier : l’existence d’écrits ou de personnalités qui ont alimenté l’antisémitisme « à gauche ».
Néanmoins, il prend soin de resituer chaque manifestation d’antisémitisme dans son contexte historique, soulignant la place très variable qu’il peut prendre dans la pensée des auteurs cités. En
l’occurrence, des débuts de la révolution industrielle à nos jours, la plupart des composantes de la gauche a tenu des propos antisémites. Mais à la différence d’organisations de droite,
l’antisémitisme n’a jamais, depuis la fin du xixe siècle, été au programme d’un parti progressiste.
Souvent dans la continuité d’un antijudaïsme catholique préexistant, mais également en rupture avec celui-ci, dans sa version anticléricale, l’antisémitisme moderne
a pris des formes très différentes dans l’espace et dans le temps. À l’antisémitisme économique associant les juifs au capitalisme, exprimé par de nombreux socialistes au xixe siècle, s’est
ajouté un antisémitisme racial et xénophobe.
À partir des années 1880, à un moment où « la montée du nationalisme, en France comme en Europe, entraîne l’émergence de mouvements de droite et d’extrême
droite », les militant.e.s du mouvement ouvrier et leurs organisations naissantes « traumatisés par les souvenirs de la répression anti-ouvrière exercée tout au long du
XIXe siècle, notamment par le massacre qui a mis fin à la Commune, de nombreux militants sont peu à même de s’interroger sur ces idéologies nouvelles que sont
nationalisme, xénophobie et antisémitisme. Croyant que le socialisme se construira sur la base de la “science”, ils se laissent prendre aux sirènes de la pensée racialiste ».
Au lendemain de l’affaire Dreyfus, tournant fondamental dans la prise de conscience antiraciste de la gauche, l’antisémitisme n’est plus revendiqué ouvertement. Il
ne disparaît pas pour autant. On le voit encore insidieusement à l’œuvre dans l’entre-deux-guerres, à la SFIO et chez les pacifistes, parfois au sein du Parti communiste. Après la seconde guerre
mondiale et depuis la création de l’état d’Israël, on le retrouve à l’ultra-gauche, sous la forme du négationnisme.
Avec cette étude, Michel Dreyfus ouvre de nouveaux terrains de recherche sur les « paradoxes » du monde du travail confronté à l’antisémitisme en
France.
Dans un contexte où la xénophobie et les racismes différentialistes prennent un essor préoccupant, attisés par le pouvoir pour dissimuler sa politique antisociale,
ce livre arme le lecteur contre toute complaisance à l’hydre antisémite et l’amène à être plus attentif aux craintes, généralement dévoyées, qu’expriment la majorité des juifs en France.
Gabriel Gérard