La réhabilitation, par le premier ministre britannique David Cameron, des victimes du « Bloody Sunday » a effectivement réconcilié les Nord-Irlandais, mais pour combien de temps ? A Belfast, les violences communautaires persistent, le pouvoir
politique restant aux mains des partis les plus radicaux.
Hier, à 15h30, sur un écran géant installé en face de l'hôtel de ville de (London)Derry, le visage de David Cameron apparaît et la foule se
tait.
Tous ceux qui sont présents partagent avec la même intensité les derniers instants d'une attente longue de douze années, depuis que Tony Blair avait demandé à
Lord Saville d'ouvrir une enquête sur les événements du « Bloody Sunday » (dimanche sanglant).
Le 30 janvier 1972, 14 personnes étaient tuées par des parachutistes britanniques au cours d'une manifestation organisée pour protester contre les discriminations
subies par la minorité catholique d'Irlande du Nord.
Une première investigation officielle avait été menée immédiatement après les faits par Lord Widgery. Elle avait exonéré les soldats britanniques et leur
hiérarchie de toute responsabilité, en indiquant qu'ils n'avaient fait que répondre à des tirs de manifestants.
Le Bloody Sunday est entré dans nos mémoires comme la rengaine lointaine d'un passé qui nous apparait révolu. A (London)Derry, le sang n'était pas encore tout à
fait sec.
Les conclusions de l'enquête commencée en 1998 sont égrenées par le premier ministre conservateur, sa voix en partie masquée par le sur place d'un hélicoptère de
la police qui surveille la foule et sonne le rappel d'un passé toujours présent :
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aucune sommation n'a été donnée par les soldats avant d'ouvrir le feu,
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aucun des militaires n'a tiré en réponse à une attaque,
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certains de ceux qui ont été tués tentaient de fuir,
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de nombreux soldats mentirent lors de leur audition.
Puis, sans que personne ne s'y attende vraiment, David Cameron demande pardon. Il explique que les violences meurtrières du Bloody Sunday étaient toutes
injustifiées autant qu'injustifiables et rentre dans l'histoire. Lui, le conservateur, l'allié traditionnel des partis protestants, s'est excusé au nom de l'Etat britannique et de son
armée.
(Note : Il a dit "I'm sorry" je suis désolé, il ne s'est pas excusé !)
(Voir le sujet de Sky News en anglais)
Ce matin, plusieurs journaux nord-irlandais reconnaissent l'importance des déclarations de David Cameron. C'est en particulier le cas des quotidiens protestants
et unionistes.
Le Belfast Telegraph insiste sur la place unique de ce moment dans l'histoire de l'Irlande du Nord en titrant :
« Le jour où les nationalistes applaudirent un dirigeant britannique. »
L'Irish News, catholique et nationaliste, explique qu'il ne faudra jamais oublier les mots prononcés par Cameron, mais s'intéresse surtout au contenu même du
rapport, en rappelant la mise en cause de plusieurs responsables militaires en commande le 30 janvier 1972.
Le vice-premier ministre d'Irlande du Nord était armé (selon les anglais note du blog)
Mais à travers les lignes, au détour de ces déclarations optimistes, la question de l'avenir politique de l'Irlande du Nord semble rester en suspend. Car si les
médias britanniques s'intéressent à la performance de David Cameron, il semble qu'une déclaration pourrait raviver des tensions toujours prêtes à faire surface.
L'actuel vice-premier ministre d'Irlande du Nord, membre du Sinn Féin et ancien membre
de l'IRA, Martin McGuiness, est accusé par le rapport d'avoir utilisé une arme à feu lors des événements du Bloody Sunday.
L'intéressé a immédiatement nié. Mais à n'en pas douter, le DUP, parti
unioniste et protestant qui partage le pouvoir avec le Sinn Féin, va saisir l'occasion pour fragiliser la position de McGuinness au gouvernement.
Peter Robinson, le premier ministre DUP d'Irlande du Nord, a d'ores et déjà refusé d'effectuer un déplacement à Londres en compagnie de son vice-premier
ministre.
Si l'esprit du jour est donc plutôt à la réconciliation et à l'unité, demain continue de laisser planer de nombreux doutes.
L'enquête sur le Bloody Sunday attaquée pour son coût
Par la voie du Belfast Telegraph, une partie de l'opinion unioniste se dit inquiète de la possibilité de voir le rapport Saville utilisé par des dissidents
républicains pour mener de nouvelles actions meurtrières après celles de 2009.
Darvin Templeton, le rédacteur en chef du Newsletter (protestant), explique également que certains unionistes contrastent les dépenses occasionnées par l'enquête
du Bloody Sunday (quelques 195 millions de livres sterling), avec les moyens limités mis à la disposition d'investigations sur des attentats perpétrés par l'IRA.
Si certains des soldats incriminés par le rapport sont placés devant la justice, il ne fait aucun doute que les réactions unionistes se feront encore plus
virulentes.
Les dynamiques politiques de Belfast continuent d'être celles du sectarisme. Cela restera inévitable tant que les deux partis les plus radicaux de la région, le
DUP et le Sinn Féin, seront au pouvoir.
Leur existence même dépend de la persistance des divisions communautaires qui caractérisent la vie de nombreux Irlandais du Nord.
Le bilan statistique des violences entre communautés fournit une triste preuve de cette situation :
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Entre 1996 et 2004, 6 623 incidents sectaires ont été recensés dans le seul quartier du nord de Belfast.
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Depuis 1991, une moyenne de 1 378 personnes est relogée chaque année après des attaques sectaires.
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En 2008 et 2009, 54 fusillades et 112 incidents impliquant des dispositifs explosifs ont été comptés.
Tant que ne rentreront pas au gouvernement des partis plus modérés, tel que le SDLP (centre
gauche-catholique), ou qui refusent le clivage entre protestants et catholiques, tel que le parti de
l'Alliance, une paix véritable et durable restera un luxe.
Note:
Bien des choses dans cet article me font penser à l'expression "bullshit" (de la merde!).
L'insistance à dire Londonnderry et pas Derry. Alors que les britanniques disent Derry . Je reconnais qu'à France Inter hier pour la première fois de ma vie j'ai entendu "machin de Derry".
Bravo!
En fait cette histoire de "nom officiel" ne tient pas. Le nom officiel de Pekin est Beijing, celui de la Nouvelle Orléans est New Orleans. Quand le journaliste
veut il peut, quand il ne veut pas faut creuser!
Le remarque terminale sur les modérés re bullshit. Le SDLP a toujours (depuis sa création comme parti non pas de gauche mais de la classe moyenne catholique)
majoritaire, et qu'est-ce que çà a changé?
Le parti Alliance, n'est pas un parti "laique" mais un parti protestant modéré. C'est possible que pour lui votent des catholiques , mais qui a dit que catholique
voulait dire nationaliste? Les nationalistes les plus à l'aise sont unionistes comme les protestants modérés.
Dans les commentaires de Rue 89 l'un dit bien la vérité: et s'il fallait ces luttes communautaires (comme en Belgique) , pour détourner les travailleurs de la
crise et de l'austérité?
Enfin luttes communautaires est une grand mot! Lorsque l'on fait le compte des victimes, tout à coup, on n'envisage plus leur religion alors qu'on ne peut même
pas voter si on ne se déclare ni catho ni prod!
Les victimes sont catholiques ou immigrés, victimes des loyalistes ( les extrémistes des unionistes) qui par leur "Ordre d'Orange" développent une véritable "sous
culture" fanatique,raciste et violente. Pendant les troubles, communistes, gays, lesbiennes, couples mixtes, viviaient en paix... dans les ghettos catholiques. Allez expliquer cela à un
journaliste français ! Il y avait même des français de gauche "pro unionistes", car les protestants étaient ouvriers et les cathos chômeurs et paysans. Ca c'est du marxisme!