La solidarité internationale, qui s'organise en soutien aux femmes agressées de Hassi Messaoud, risque d'embarrasser les autorités algériennes, qui préfèrent nier
ce drame survenu dans une ville pétrolière ultra-sécurisée… Les associations de femmes, elles, ne comptent pas se taire.
En Algérie, quand une femme est agressée, lynchée, on dit qu'elle est prostituée. Quand elle dépose plainte, on dit qu'elle est manipulée. Quand elle
suscite la solidarité internationale, on la trouve carrément suspecte.
Les femmes de Hassi Messaoud, ville pétrolière du sud algérien, accumulent toutes ces tares aux yeux des autorités du pays. En avril dernier, plusieurs dizaines
d'entre elles ont été agressées, violentées et volées par des bandes d'hommes armés. Et leur cause « ose » bénéficier du soutien de femmes en France…
L'appel des algériennes, « Halte à la fatalité à l'encontre des femmes », circule sur
Internet, tandis qu'un Collectif de solidarité s'est créé, à Paris, le 20 avril 2010, afin de dénoncer ces violences, l'impunité des coupables et le silence, considéré comme complice, du
pouvoir algérien.
Un rassemblement devant l'ambassade d'Algérie à Paris
Parmi elles, l'Initiative féministe européenne a remué ses réseaux afin que tous les pays
européens déposent des lettres de demande de soutien d'audience aux ambassades algériennes. Ce qui s'est fait en Belgique, en Suède, et même au Canada.
Enfin, lundi 10 mai, toutes ces organisations ont appelé à un rassemblement devant l'ambassade algérienne, à Paris. (Voir la vidéo)
Même si le rassemblement n'a été permis qu'à quelques rues de l'ambassade protégée par trois cars de police, son initiative même dérange les autorités
algériennes. Sans le travail de la journaliste Selima Tlemçani, du quotidien algérien El Watan, cette affaire n'aurait aucun écho.
C'est en avril dernier que cette reporter, célèbre, entre autres, pour son combat de terrain contre l'intégrisme depuis plus de quinze ans, va enquêter sur les
violences de Hassi Messaoud.
La plupart des victimes ont émigré dans cette ville pétrolière pour y gagner leur vie. Divorcées ou répudiées, elles y vivent seules, ou avec leurs enfants.
Autrement dit, sans tutelle d'homme, dans ce pays encore régi par le code de la famille de 1984 qui,
même amendé en 2005, considère la femme comme une mineure à vie.
Les deux dernières semaines de mars et les premiers jours d'avril, une bande d'hommes armés et cagoulés forcent la porte du domicile de plusieurs travailleuses,
les pillent, les frappent et tentent d'en violer une. Leur récit, publié, est terrifiant.
« Les forces de l'ordre n'ont pas protégé les victimes »
Dans le pays, une quinzaine d'associations de défense de droits des femmes et de droits humains se réunissent en comité de soutien à ces victimes. Leur voix est
peu relayée.
Le comité ambitionne pourtant, aujourd'hui, de devenir un observatoire de veille pour alerter sur les violences à l'égard des femmes.
Le comité a été « choqué par les violences subies par les femmes travailleuses et par l'inertie des forces de l'ordre qui n'ont pas protégé les victimes
[…] », a déclaré Cherifa Bouatta, son porte-parole, lors d'une conférence de presse tenue au siège de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH) à Alger, il y a quelques
jours.
« […] Il est important d'inscrire notre action dans la durée et la pérennité. Ces femmes sont des citoyennes à part entière et elles ont le droit d'aller
où elles le veulent.
L'Etat a le devoir de les protéger. […] L'impunité, qui a régné en 2001, a engendré la récidive en 2010. »
2001… Terrifiant flash-back. Nous sommes le 13 juillet. Dans cette région, la température peut atteindre 60 degrés à l'ombre. Pour supporter cette fournaise, une
seule raison. Elle est économique.
« Je vois la situation des femmes régresser »
Ici, les multinationales s'appellent Total, Schlumberger, les femmes, qui y sont souvent employées au ménage, obtiennent des salaires au-dessus de la moyenne
nationale. Ce soir-là, après le prêche virulent d'un imam vociférant contre les femmes, des centaines d'hommes se sentent légitimes pour aller lyncher, littéralement, une quarantaine de
femmes.
Deux d'entre elles, Rahmouna Salah, et Fatiha Maamoura, sont « Laissées pour mortes », titre de l'ouvrage dans lequel elles oseront témoigner des
cruautés subies aurès de la comédienne Nadia Kaci, co-auteur.
Ce livre a été publié en février 2010. Sans que ces deux victimes n'aient imaginé, qu'à peine deux mois plus tard, l'horreur se reproduirait. Sans l'imaginer,
mais sans, non plus, en être surprises.
La justice n'a-t-elle pas minoré leur dossier ? Peu de condamnations effectives, plusieurs par contumace et aucune indemnisation. Et l'Etat algérien
n'avait-il pas promis, à ces femmes démunies, un travail et un logement après le drame ? Elles attendent toujours. Nadia Kaci raconte, d'une voix douce et ferme à la fois :
« Aujourd'hui, les victimes, auteurs de ce livre, sont tristes. Elles avaient de l'espoir après sa publication, et elles voient que ça recommence, encore
et encore…
Et moi aussi, je suis triste, je vois la situation des femmes régresser. »
Car même si depuis l'article d'El Watan, la police effectue désormais des rondes dans les quartiers, et que les attaques ont cessé, les femmes restent dans ce
pays une cible facile, évidente, et surtout, considérée comme légitime. C'était inhérent à la société algérienne avant la montée des intégristes, par l'officialisation du code de la
famille.
« Se taire, c'est tuer ces femmes »
L'islamisme des années 90 n'a fait que conforter cette tradition machiste et patriarcale. Dans ce pays, une femme comptera toujours moins qu'un homme. Ou ne
comptera pas du tout. Lorsque SOS femmes en détresse, association féminine de terrain, a alerté la police et la gendarmerie de cette ville ultra-sécurisée dès le 4 avril, dernier jour de
l'agression, celles-ci n'ont concédé à effectuer des rondes seulement 24 heures plus tard. Mais comment coffrer des coupables puisque, cagoulés et silencieux, on ne peut les
identifier ?
En 1997, au moment des massacres de Benthala, pas un répresentant du gouvernement ne s'était rendu sur les lieux. Les inondations d'Alger de 2001, ou le
tremblement de terre de la même année, ne les avaient guère plus émus…
Comment ne pas s'étonner que pas un élu -ou quasiment aucun représentant de parti- n'a élevé la voix dans le pays, sur le drame des femmes de Hassi
Messaoud ? Seul un écho international donnera du poids à celles et ceux, minoritaires, qui se battent pour tenter de bousculer cette inertie des autorités et, plus généralement, cette
impunité instaurée comme règle d'or d'état.
Nadia Kaci, arrivée d'Alger depuis peu, en est convaincue : « Se taire, c'est tuer ces femmes ». Surtout, précise-t-elle, lorsque longtemps, pétri
de nationalisme, prendre la parole s'apparentait à trahir son pays. Affranchies de cette culpabilisation, les Algériennes maudissent aujourd'hui le silence. (Voir la vidéo)
Vidéos Samia Allalou.
► « Laissées pour mortes » de Rahmouna Salah, Fatiha Maamoura, Nadia Kaci - éd. Max Milo - 18 €.