Plus qu’un plan de sauvetage accordé par l’Europe au nom de la solidarité, le programme adopté dimanche par l’Union européenne (UE) et le FMI tient lieu de punition pour les Grecs. Angela Merkel s’en cache à peine : l’aide que va consentir l’Allemagne à la Grèce sont assorties de telles conditions que la leçon va servir d’avertissement pour tous les autres pays, qui ont oublié la rigueur maastrichienne. « Ils voient que le chemin imposé à la Grèce, sous les termes stricts du FMI, n’est pas facile, aussi vont-ils tout mettre en œuvre pour s’éviter cela », pronostique-t-elle dans un entretien au journal populaire Bild am Sonntag.
Car le grand FMI est de retour. Pour ceux qui soutenaient que l’institution internationale avait compris les désastres qu’il avait créés en Afrique et en Amérique du Sud et avait changé, le plan d’aide à la Grèce vient infliger un cruel démenti. Toutes les vieilles recettes libérales y figurent : démantèlement de la protection sociale, abaissement des salaires, privatisation, fiscalité sur la consommation. Et elles sont désormais avalisées par l’Union européenne.
Acculé à la dernière extrémité financière, le premier ministre grec, Georges Papandréou, a été réduit à tout accepter. En contrepartie d’une aide de 100 à 130 milliards d’euros sur trois ans, dont 45 milliards dès cette année, le pays se voit imposer un plan d’austérité sans précédent. L’Etat s’engage à réaliser 30 milliards d’euros d’économies sur trois ans pour ramener le déficit public, actuellement de 13,6% du PIB, sous le seuil européen de 3% d’ici fin 2014. « Ce sont des sacrifices durs mais nécessaires (...) sans lesquels la Grèce ferait faillite », or « éviter la faillite est la ligne rouge nationale » a insisté le premier ministre grec.
Mais est-ce si sûr que la Grèce, avec ce plan, évitera la faillite ? Car tout ce programme est injuste socialement, dangereux économiquement. Il fait reposer l’essentiel des efforts sur les salariés, et sur le démantèlement des règles sociales. Ainsi, l’âge minimum du départ en retraite sera désormais à 60 ans. Les cotisations porteront à l’avenir non plus sur 37 mais 40 ans, et calculées sur l’ensemble des salaires d’activité et non plus sur le dernier salaire.
Les salaires de la fonction publique comme les retraites seront gelés et toutes les indemnités réduites voire supprimées. Les primes de 13e et 14e mois, ce qui correspond aux congés pays plus le treizième mois en France, seront supprimées pour tout salaire au-dessus de 3000 euros. En deçà, une prime forfaitaire de 1.000 euros sera instaurée.
Dans le secteur privé, un nouveau salaire minimum pour les jeunes et les chômeurs longue durée sera instauré, un succédané du CPE en quelque sorte. [Contrat première embauche pour les moins de 26 ans avec exonération de cotisations patronales durant trois ans et possibilité de licenciement sans motif au cours de sa période de « consolidation » ; le CPE, proposé sous Chirac en 2006, a été retiré suite à la mobilisation des jeunes]. La loi sur les licenciements, qui interdit à toute entreprise de licencier plus de 2% de ses salariés par mois, va être assouplie. Les indemnités de chômage seront aussi revues à la baisse.
Déflagration économique
Côté dépenses, l’ensemble des investissements publics va être réduit. Mais là encore les réductions vont plus toucher les prestations sociales (éducation, hôpital) que la défense. Naturellement, le FMI et l’Europe ont exigé des privatisations qui concerneront en priorité les transports et l’énergie [1]. Côté recettes, la TVA, c’est-à-dire l’impôt qui frappe aveuglément toutes les populations, est appelée à la rescousse.
Elle sera portée de 21 à 23% sur l’alcool, le tabac et les carburants. En revanche, rien sur l’impôt sur le revenu, rien sur le patrimoine et les immenses exonérations dont bénéficie l’église orthodoxe grecque, rien sur la fraude et l’évasion fiscale [2], plaie endémique de la Grèce. Officiellement, dans ce pays, les fonctionnaires et les ouvriers, dont les revenus sont déclarés, gagnent plus que les médecins, les pharmaciens ou les banquiers.
A l’injustice de ce plan pourrait s’ajouter le risque de déflagration économique. Car dans les pays où le FMI a imposé une telle purge, l’austérité s’est malgré tout doublée d’une respiration financière : la monnaie a été dévaluée, allégeant d’un seul coup la charge des dettes, et parfois l’endettement a été renégocié. Ce qui avait permis non pas d’alléger la charge imposée aux populations, mais de préserver au moins quelques capacités de rebond à l’économie du pays.
Or, là rien de tel. La Grèce restant dans l’euro, il lui est impossible de dévaluer ou de jouer sur ces taux d’intérêts. Quant à une restructuration de la dette, l’Europe a, par avance, indiqué que « ce n’était pas une option ». Il ne saurait être question de demander des sacrifices au monde financier : les institutions financières européennes sont très engagées en Grèce [3]. Elles détiennent environ les deux tiers de la dette publique grecque, estimée à 300 milliards d’euros. Toute renégociation de l’endettement se serait donc traduite par des pertes pour les banques européennes.
Mais il y a pire encore. Non seulement les dettes passées ne sont pas allégées, mais l’Europe va faire payer son aide au prix fort. On touche ici aux limites des dysfonctionnements de la zone euro. Comme il est interdit (par le traité de Maastricht) à la Banque centrale européenne (BCE) de prêter directement à la Grèce, ce sont les pays de la zone euro qui vont lui prêter de l’argent un par un. Ces prêts bilatéraux seront consentis autour de 5% [4]. Comme l’a élégamment souligné la ministre des finances, Christine Lagarde, dans un entretien au Journal du dimanche du 26 avril : « Cet emprunt ne va rien coûter aux contribuables français. Il va même nous rapporter environ 150 millions d’euros par an. »
Récession prolongée
Pour les banques, cela rapportera encore plus. Car ce sont elles qui vont prêter aux Etats de la zone euro au taux du marché, après s’être financées à 1% auprès de la BCE. Ainsi, les banques et les Etats vont se faire de l’argent sur la quasi-faillite grecque. A ce prix, le mot solidarité a-t-il encore un sens dans l’UE ?
Déjà, de nombreux analystes pensent que la Grèce ne résistera pas à tant de contraintes. Le plan de rigueur, doublé d’une augmentation de la fiscalité sur la consommation, risque de plonger le pays dans une récession prolongée. Le ministre des finances, Georges Papaconstantinou, a reconnu, dès dimanche 2 mai 2010, que le plan d’austérité imposé par l’Union européenne allait miner la croissance future.
Selon ses prévisions, la récession ne sera pas de 2% du PIB comme prévu antérieurement mais de 4% du PIB cette année et 2,6% en 2011. Au mieux. « Nous serons en récession dans les prochaines années, ce qui signifie que nous allons devoir courir encore plus vite pour réduire le déficit », a-t-il prévenu.
Plus de récession, plus d’économies, plus de chômage, moins de rentrées fiscales et en face des charges de la dette qui vont peser de plus en plus lourd : le cocktail est détonant. « L’endettement va devenir très vite insupportable », a prévenu Nouriel Roubini, qui préconise une restructuration rapide de la dette avant que la situation ne devienne incontrôlable. L’avertissement a bien évidemment été ignoré.
Après avoir fermé les yeux pendant des années sur les dérapages grecs, l’Europe, entraînée par l’Allemagne, a l’impression de ramener Athènes à la vertu. Son plan pourrait au contraire ouvrir la voie à une implosion économique majeure et à tous les aventurismes politiques.
Martine Orange
(mis en ligne sur A l’encontre le 3 mai 2010)
Présentation de A l’encontre :
Les médias et les diverses institutions gouvernementales européennes ont rebaptisé la crise capitaliste qui a explosé dès 2007 comme étant, aujourd’hui, une « crise budgétaire » ou « une crise de la dette souveraine ». Cette dénomination possède l’avantage d’effacer des radars de ladite analyse économique une des racines de la crise : l’énorme redistribution, au cours des deux dernières décennies, de la richesse créée (ladite « valeur ajoutée ») en faveur des sommets des classes dominantes au détriment des salarié·e·s.
La « crise des dettes souveraines » implique, selon la doxa néolibérale, que la priorité « économique » comme « politique » soit la suivante : des coupes dans les dépenses publiques – sociales en priorité – pour « éviter l’effondrement » grâce à l’obtention « d’un nouvel équilibre budgétaire ».
De la sorte, « on » oublie qu’une partie de l’endettement public ne serait pas à cette hauteur sans « l’aide aux banques pour les sauver » dès 2008, sans les injections diverses attribuées à des secteurs économiques, sans les pertes fiscales provoquées par la récession de 2008-2009, sans le sous-financement d’assurances sociales, sans la défiscalisation accrue des hauts revenus et du capital.
Cela au moment où s’effectuait une distribution de deniers publics (en réalité des impôts) en faveur des détenteurs des « dettes souveraines » (les détenteurs des obligations d’Etat). Donc, en partie, ceux qui sont défiscalisés et jouissent des niches fiscales ou autres « forfaits fiscaux ».
La contention des salaires et les coupes sociales, voilà une qui doit réjouir actuellement les « milieux financiers », quitte à ce que la « zone euro » soit replongée dans la récession, avec un chômage à la hausse, une précarité accrue…Il devrait avoir là un élément de réflexion pour les « socialistes » helvétiques qui envisagent le salut dans l’Union européenne (UE) dont les institutions actuelles représentent, en fait, une sorte de syndicat de banquiers et de transnationales qui dictent – sous le nom d’emprunt : « les marchés » – les politiques des gouvernement peu souverains.
Nous publions l’article ci-dessous en tant qu’élément utile d’information sur les politiques d’austérité en cours et qui s’annoncent. (Réd.)
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Sombre 1er mai ! Dans toute l’Europe, les participants au défilé risquent de n’avoir qu’une angoissante question en tête : quelle rigueur va leur être imposée ? Quelles renonciations sociales vont-elles être exigées ? Les premiers échos du plan grec encore en discussion donne la mesure de ce qui pourrait bientôt être la norme dans toute l’Europe : une politique de déflation sociale et d’austérité généralisée.
Alors que le gouvernement grec avait déjà gelé les salaires de la fonction publique, suspendu les recrutements, annoncé un recul de l’âge de la retraite, augmenté les taxes sur les carburants et l’alcool, le FMI et l’Europe, sous l’impulsion de l’Allemagne, exigent de nouvelles restrictions.
Au menu de ce qui semble déjà acquis, suppression des 13 et 14es mois de salaires pour la fonction publique, nouveau recul de l’âge de la retraite qui serait porté de 53 ans à 67 ans, hausse de la TVA et d’autres taxes indirectes, réduction de toutes les autres dépenses publiques. La potion se veut radicale pour contraindre le gouvernement grec à réduire son déficit de 10 points de PIB d’ici à 2012. Un remède de cheval dans un pays à l’économie déjà anémiée et qui ne souffre d’aucune inflation.
Les marchés, rassurés par cette intervention brutale du FMI, soufflent. Ils sont d’autant plus sereins désormais que la panique financière, cette semaine, a tétanisé les gouvernements européens. Pour éviter de se retrouver dans la même impasse que la Grèce, tous prennent les devants et se proposent de faire du FMI sans le FMI. Sus aux déficits, aux dépenses publiques, aux droits sociaux. C’est à qui aura le plus grand brevet de rigueur pour éviter de se trouver sous les feux des marchés et perdre la précieuse notation qui ouvre l’accès aux capitaux.
Sans attendre, le premier ministre portugais [« socialiste »] José Socrates a passé, dès le lendemain de la dégradation du Portugal [par l’agence de notation Standard &Poor’s], un accord avec le parti social-démocrate [droite conservatrice] de Pedro Passos Coelho, la principale force d’opposition du pays, pour renforcer le programme d’austérité afin d’apaiser les inquiétudes des investisseurs.
Dans la nouvelle mouture, le gouvernement envisage de ramener son endettement de 9,4% à 2,8% du PIB d’ici à 2013. Pour y parvenir, il prévoit une réduction drastique des dépenses publiques, qui devraient à elles seules représenter la moitié des mesures d’austérité.
Dans la fonction publique, les salaires et les recrutements sont appelés à être totalement gelés pendant au moins trois ans. Les investissements publics seront réduits, passant de 4,9 à 2,9% du PIB, les programmes de défense sont promis à une réduction de 40%. Un programme de privatisations de 6 milliards d’euros est prévu, dont 1,5 milliard dès cette année. Les impôts sur le revenu augmenteront. Mais les recettes fiscales dans leur ensemble ne représentent que 15% du plan.
L’Espagne, qui elle aussi est inscrite sur la liste des pays menacés, avait annoncé un programme d’économie avant la crise grecque afin de réduire son endettement. Le gouvernement prévoit de réduire ses dépenses de 50 milliards d’euros sur trois ans. Les recrutements dans la fonction publique seront gelés. Une réforme des retraites est en préparation, faisant passer l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans. Mais ces mesures ne sont plus jugées suffisantes par les marchés. Pour l’instant, le gouvernement [« socialiste »] de José Luis Zapatero, qui est confronté à un chômage de plus de 20%, refuse de renforcer la rigueur. Mais les pressions, jusqu’à présent discrètes, pourraient s’accentuer s’il campe dans son refus.
L’euro, un corset de fer
Tirant argument de tout ce qui se passe autour de la Grèce et de l’euro, le gouvernement français trouve une nouvelle justification pour accélérer la réforme des retraites. Le triple AAA accordé à la dette française pourrait vite se retrouver menacé, si la France ne bouge pas, commence-t-on à murmurer à l’Elysée.
Le premier ministre, François Fillon, a enfoncé le clou en indiquant que l’Europe ne pourrait pas continuer ainsi « sans une harmonisation sociale et fiscale ». Alors, la retraite pour tous et partout à 67 ans, comme cela semble être devenu la norme européenne par alignement sur l’Allemagne ? Par contre, il n’est fait aucune allusion au bouclier fiscal, ni aux niches fiscales [1], encore moins aux trois milliards concédés en pure perte aux restaurateurs [baisse de la TVA peu répercutée sur les prix des repas]. La rigueur ne semble devoir être que sociale, jamais dans la saine gestion des deniers publics.
La déflation sociale est-elle donc devenue désormais le cœur de la politique de l’Europe ? Asphyxiés par les dettes, liées à la crise, à la baisse des rentrées fiscales et au sauvetage du secteur financier, les gouvernements n’ont guère d’autres choix, s’ils se refusent, comme depuis deux ans, au moindre changement par rapport au monde financier. Et plus encore face au dogme d’une fiscalité allégée pour les plus riches et les entreprises, qui a appauvri systématiquement les Etats depuis trente ans.
Si tous ces paramètres restent identiques, l’euro se révèle être un corset de fer dans cette période de crise : les pays n’ont aucune possibilité de dévaluer, de jouer sur les taux, d’utiliser l’inflation. Dès lors, la seule arme qu’il leur reste est l’ajustement social, une dévaluation interne qui ne dit pas son nom.
C’est la politique qu’a mise en œuvre l’Allemagne avec succès à partir de 2002 dans le cadre de son Agenda 2010, soutenue par tous les partis politiques et les syndicats, font remarquer certains analystes. Et cela a été un succès, soutient le gouvernement allemand qui demande désormais que la même rigueur soit appliquée aux autres. Mais les structures comme les circonstances sont différentes.
D’abord, l’Allemagne a une industrie très qualifiée, de forte valeur ajoutée et très exportatrice. Ce qui n’est pas le cas de toutes les économies européennes. Ensuite, ce programme d’ajustement faisait suite à de forts dérapages liés à la réunification et il a été mené pendant une période d’expansion de l’économie mondiale. Le coût social, malgré tout, en a été très élevé. Enfin, l’Allemagne a été gagnante car elle a été la seule à mener ce programme. Ses excédents commerciaux ont été nourris par les déficits de l’Europe, qui lui a assuré 75% de ses débouchés. Qu’adviendra-t-il à l’Europe, et même à l’Allemagne, si l’ensemble de l’économie européenne plonge dans la déflation ?
Car cette politique est déjà à l’œuvre en Irlande, en Lituanie, en Lettonie, en Roumanie, en Hongrie depuis un an, avec ou sans le FMI. Qu’a-t-elle donné ? En Lituanie, le gouvernement, bien que n’étant pas dans la zone euro, a décidé de laisser sa monnaie arrimée à la monnaie européenne, malgré la crise. En contrepoint, les dépenses publiques ont été réduites de 30%, les salaires des fonctionnaires dans les mêmes proportions, les retraites de 11%. La TVA est passée de 18 à 21%, la fiscalité de 15% à 20%.
Résultat ? Le taux de chômage a grimpé de 10 à 14%, l’économie s’est effondrée de 15%. Cette dernière a regagné quelques points de compétitivité mais s’engage dans sa troisième année de récession consécutive. Les écoles, les hôpitaux, manquant de crédits, sont totalement désorganisés, certains ont dû fermer. Surtout, le taux de suicides monte en flèche et l’émigration s’accélère à un rythme impressionnant. Comme en Islande.
Le précédent du plan Laval
Membre à part entière de la zone euro, l’Irlande a opté en avril 2009 pour une cure d’austérité sans précédent pour faire face à la crise et à l’ascension vertigineuse de son endettement (12,5% du PIB). Là encore, tous les efforts ont porté d’abord sur les dépenses publiques. Les effectifs de la fonction publique ont été abaissés, tout comme les salaires (moins 7,5%) et les retraites.
Une hausse générale des impôts sur les revenus a été adoptée : + 2% pour les salaires minima ; + 8% pour les salaires les plus élevés.
En revanche, pas question de toucher à la vache sacrée irlandaise : l’impôt sur les sociétés qui lui a permis d’attirer de nombreuses multinationales qui ont organisé une fraude fiscale généralisée au sein de l’Europe au travers des prix de transfert. L’impôt sur les sociétés est donc resté à 12,5%. « L’Irlande fait exactement ce qu’il faut », se félicitaient alors de nombreux gérants de fonds d’investissement. C’est une des raisons qui expliquent aussi l’extrême mansuétude dont font encore preuve les marchés financiers à l’égard de ce pays, en dépit de ses finances dégradées.
La situation, en dépit de la purge imposée, ne s’est guère améliorée. Le pays a connu en 2009 une récession record : moins 7,1% du PIB. Elle devrait se prolonger cette année, les experts tablant sur une chute d’au moins 1%. Là encore, les organismes sociaux sont totalement désorganisés, le chômage enfle et la population commence à gronder. Et l’Etat a dû à nouveau voler en urgence au secours d’une de ses banques sur le point de s’effondrer. [Il s’agit de l’Anglo Irish Bank qui doit être à nouveau recapitalisée, après avoir été nationalisée en 2009 ; selon le Financial Times, le système bancaire irlandais a besoin de 81 milliards d’euros pour être débarrassé de ses « actifs toxiques », en grande partie liés à l’immobilier].
C’est le début d’une spirale dépressive qui guette aussi la Grèce. Faute de débouchés et de soutien, l’économie s’effondre, l’Etat voit diminuer encore ses recettes, et proportionnellement les dettes prennent un poids démesuré, bientôt insupportable. C’est aussi l’avertissement qu’a lancé l’économiste Nouriel Roubini le vendredi 30 avril 2010, dans le Financial Times. « Le plan A (tel qu’il est conçu par le FMI et l’Europe pour aider la Grèce) fait courir le risque d’une faillite désordonnée et d’une crise financière. » Mieux vaudrait, selon lui, restructurer la dette grecque, conduire un plan d’ajustement budgétaire pour les pays périphériques [Irlande, Grèce, Espagne, Portugal et Italie] de la zone euro, accompagné par une aide plus importante de l’Union européenne et du FMI, enfin engager des baisses de taux et une stimulation de la demande en Allemagne.
Sera-t-il entendu ? Pour l’instant, ce que l’Europe, sous la dictée des marchés financiers, préconise n’est ni plus ni moins qu’une resucée du plan Laval de 1935 [un des rares budgets en équilibre] au niveau européen. Pour ne pas dévaluer le franc et le laisser arrimé au bloc or, afin de préserver la « rente », celui-ci imposa alors une diminution de 10% des salaires et des retraites, augmenta les impôts, décréta une chute des prix. A la fin de l’année 1935, le budget de l’Etat était à l’équilibre – comme le souhaitent aujourd’hui ceux qui veulent rendre le déficit inconstitutionnel – mais l’économie française s’était totalement écroulée. On connaît la suite. A la fin de la guerre, Winston Churchill jugea que la non-remise en cause des dogmes financiers de l’époque, les parités fixes par rapport au bloc or, furent parmi les pires erreurs de l’Europe dans les années 1930.
Martine Orange