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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 09:29
 Une hypocrisie française
Etant DUPAIN

Haïti vient d’être frappé par un terrible séisme. Chacun y va de sa larme. Mais cette catastrophe s’ajoute à d’autres, évitables celles-là, réparable pour l’une d’elle. Sans elles, le drame d’aujourd’hui aurait des effets moins cruels et des vies seraient sauvées en ce moment même. Car les conséquences d’un tremblement de terre ne sont pas identiques dans un pays riche et dans un pays pauvre, ruiné et pillé.

La France accorde une aide humanitaire dont nous devrions être fiers ? Il vaudrait mieux qu’elle rende à Haïti ce qu’elle lui doit.

Le Grand Soir.

En 1803, après 300 ans d’esclavage, Haïti se souleva et mit en déroute l’armée française. Vint ensuite la déclaration d’indépendance abolissant l’esclavage en 1804.

En 1825, les Français exigèrent le paiement d’une somme équivalente à 21 milliards de dollars actuels pour reconnaître l’indépendance du pays et renoncer à une nouvelle invasion.

Aujourd’hui, Haïti doit rembourser d’énormes sommes au FMI, organisation où la France dispose d’un poids important. Mais, si elle discourt en faveur du développement de ce pays appauvri par toutes ces politiques, elle n’a aucun geste concret pour y aider.

Ce refus de payer sa dette s’aggrave avec le refuge qu’elle accorde à l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier, exilé en France (après 29 ans de dictature de père en fils) avec une fortune de 900 millions de dollars, volée dans les caisses de l’Etat haïtien, soit une somme alors supérieure à la dette externe du pays.

Ainsi, le devoir de la France est de permettre à Haïti de récupérer ce qui reste de l’argent volé en extradant Duvalier qui comparaîtra devant la justice haïtienne.

Etant Dupain, journaliste haïtien.

Traduction : Grégoire Souchay pour http://www.larevolucionvive.org.ve/

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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 08:54
« Vaincre la crise par la solidarité » ! Sur quel programme d’urgence?
Par Denis Horman le Mercredi, 13 Janvier 2010


Note du blogueur:

 

Ces débats en Belgique sont d'actualité ici aussi. La FGTB, d'orientation "socialiste" est le grand syndicat de la classe ouvrière wallonne (francophone), tandis que les travailleurs flamands (néerlandophones) sont plutôt dans un syndicat chrétien. La division syndicale n'est donc pas comme chez nous entre CGT, CFDT, FO, FSU et SUD, mais communautariste. La FGTB garde par certaines prises de position un côté "CGT années 70" bien sympatique.


Le 16 novembre 2009, la FGTB liégeoise organisait un congrès exceptionnel sur base d’un document de travail « vaincre la crise par la solidarité ». Une initiative pour lancer la réflexion, le débat sur des alternatives à la crise, dans le cadre de la préparation des congrès que la FGTB wallonne et nationale tiendront respectivement fin mai et début juin 2010.


Vu l’enjeu de ces congrès dans le contexte d’une profonde crise du système capitaliste et ses conséquences dramatiques (chômage, licenciements, emplois précaires, démantèlement des services publics, privatisations, blocage des salaires…), la LCR se veut partie prenante de ce débat dans une démarche critique et constructive. Quelques réflexions et positionnements critiques sur ce document de la FGTB Liégeoise.

Quel programme d’urgence, quelles alternatives ?

Redistribution des richesses


Il faut redistribuer les richesses, souligne et développe le document ! Bien d’accord. L’argent existe (explosion des profits des grandes entreprises, de dividendes aux actionnaires, des revenus financiers, des placements dans les paradis fiscaux…). Il faut donc le prendre là où il est. Cette redistribution peut se fait de deux manières : l’augmentation de salaires par la « modération » actionnariale et la justice fiscale.


Le document pointe la « dérive salariale » (chèques-repas, éco-chèques, primes non intégrées dans les salaires…), en mettant l’accent sur des augmentations du salaire brut (base sur laquelle sont calculés les revenus de remplacement). Mais il est plus que discret sur l’urgence d’une telle revendication, se gardant bien de chiffrer ce que devrait être une augmentation décente du salaire minimum interprofessionnel, de tous les salaires ou encore des allocations sociales.


Le document se prononce pour une fiscalité plus juste par une progressivité de l’impôt des ménages (les plus hauts revenus) et des sociétés (sans en préciser l’indice), par un impôt sur les grosses fortunes (en renvoyant au niveau européen, à défaut d’une application au niveau national, « l’idée d’une fiscalité harmonisée des plus gros patrimoines).


La FGTB liégeoise, à l’instar des directions syndicales nationales, se prononce pour la levée du secret bancaire fiscal, préalable pour établir un cadastre des fortunes et lutter contre la fraude fiscale. C’est le parlement qui doit concrétiser cet objectif, par le vote d’une loi. Une proposition de loi a été déposée par le Parti socialiste (Alain Mathot PS et Dirk Vander Maelen Spa). Mais elle vise seulement l’assouplissement des conditions de levée du secret bancaire –ce qui existe déjà de fait-. Alors, qu’attend la FGTB pour exiger la levée totale du secret bancaire ?


Cadeaux au patronat, création d’emplois et réduction du temps de travail


Le document en fait le constat : les réductions de cotisations patronales à la sécurité sociale (7 milliards d’euros par an), de même que les réductions d’impôt de sociétés via par exemple les intérêts notionnels (quelque 4 milliards d’euros en 2007) « ne sont aucunement liées à la réalisation d’objectifs en terme d’accroissement d’emplois.


Il s’agit donc de cadeaux aux bénéfices des seules entreprises, souvent au travers de leurs actionnaires ».

Ceci dit, le document propose d’octroyer les réductions de cotisations et les aides à l’investissement privé dans les entreprises proportionnellement à la réduction du temps de travail et l’embauche compensatoire. Ainsi, cette RTT se ferait « sans qu’elle ne coûte à l’entreprise ni par une perte de revenu pour les travailleur ».


Mais la question mérite d’être posée : qui doit payer cette RTT ? La collectivité (via les finances publiques) ou les multinationales qui font des profits substantiels et accordent à leurs actionnaires des dividendes toujours aussi plantureux malgré la crise ?


La reconquête de services publics


Dans son document, la FGTB Liège-Huy-Waremme déclare : « toutes les missions de services publics doivent rester –ou redevenir- un monopole de droit public », mettant même l’accent sur la logique et les conséquences des privatisations (rentabilité financière et l’impératif du profit avant tout, augmentation des prix, dumping social…).


Mais pas de position de principe claire : « stop aux privatisations », ni d’appel au mouvement syndical à engager une lutte contre les privatisations, par exemple, pour un retour à « une Poste 100% publique ».


Le document se prononce pour des « partenariats public-public (en opposition à des partenariats public-privé) », pour une entreprise publique d’isolation des bâtiments ou encore une banque publique régionale. Mais, en même temps, tout en déplorant que les organisations syndicales soient tenues à l’écart des pôles de compétitivité, le document soutient la démarche du plan Marshall et de la « Caisse d’investissement de Wallonie », qui apportent un précieux soutien aux investisseurs privés.


Enfin, tout en mettant en lumière « le rôle nocif de ces trous noirs de la finances qu’il faut désormais éradiquer », le document se garde bien de lancer le débat sur la nationalisation intégrale de tout le secteur financier, seule voie permettant de la contrôler réellement, d’empêcher la spéculation casino avec l’épargne et d’orienter le crédit vers la création de services et d’emplois socialement et écologiquement utiles.


L’indispensable rapport de force


C’est une question centrale dans les débats au sein du mouvement syndical. La FGTB Lièg-Huy-Waremme avance trois pistes sur lesquelles nous reviendrons : « l’indispensable contrôle ouvrier (un des points forts du document), « une action interprofessionnelle forte et efficace », le syndicalisme international, avec « des pratiques de combat européennes », surtout au niveau des multinationales.

 

Une dimension absente dans le document en ce qui concerne la (re)construction de rapports de force : la volonté et décision politique. Le document souligne « la perte de légitimité du monde politique », « le manque de volonté politique ». Sans plus !


Dans sa déclaration générale « Dénoncer le capitalisme ensemble », la FGT B wallonne ouvre une piste stratégique à expliciter et débattre : « En l’absence d’une réponse radicale de la gauche gouvernementale, les acteurs individuels, associatifs, syndicaux, publics doivent se fédérer pour construire d’autres mondes possibles (…). La reconquête des idées exige de l’audace, une volonté politique mais aussi un rapport de force…et donc une indispensable convergence à gauche des expertises de chacun ».



« Nous sommes tiraillés entre l’idéologie et le réalisme »

Interview de Jean-François Ramquet, secrétaire de la régionale FGTB Liège-Huy-Waremme


La Gauche : le document préparatoire au congrès extraordinaire « vaincre la crise par la solidarité pointe le capitalisme et son porte-voix, le libéralisme, comme les responsables de la crise financière et économique que nous vivons. Que signifie et qu’implique, pour vous et la FGTB de Liège-Huy-Waremme, cette prise de position ?


Jean-François Ramquet : Notre idéologie, c’est le socialisme et des valeurs socialistes actualisées. Pointer le libéralisme- le laisser-faire- et le capitalisme-la maximisation du profit pour une petite minorité-, refuser ce système, c’est pour nous le point de départ pour élaborer des alternatives, des positions fortes en terme de reconquête des services publics, de redistribution des richesses, de politique industrielle publique, de préservation de l’emploi, de sécurité sociale, etc.


C’est aussi le point de départ pour reconstruire des rapports de force et retisser les solidarités. Ce n’est pas un hasard non plus si la FGTB wallonne a réintroduit le rejet du capitalisme dans la campagne qu’elle a commencé sur le thème « le capitalisme nuit gravement à la santé ». Cette démarche « idéologique » a surtout un écho auprès de la « vieille génération « de délégué/e/s (pré)pensionnée, pas suffisamment auprès de la jeune génération de militants et délégués syndicaux.


La Gauche : le document de la FGTB avance une série d’alternatives, en commençant par ce qu’il appelle « la reconquête des services publics ». Il rappelle que » toutes les missions de services publics doivent rester ou redevenir un monopole de droit public ». N’est-ce pas une simple déclaration de bonnes intentions par rapport à la « libéralisation » vers la privatisation totale de services publics, comme la Poste, la SNCB, etc. où on n’a pas vu de grandes mobilisations syndicales pour empêcher ces privatisations ?


Jean-françois Ramquet : le document sur les alternatives veut réaffirmer des valeurs, des principes comme « pas de démantèlement de services publics ». Mais, dans l’action syndicale sur le terrain, il faut faire preuve de réalisme, ce qui n’est pas la même chose que le pragmatisme.


Par exemple, au niveau postal, face à la tentative de la direction de la Poste de mettre en place des facteurs de quartier avec un salaire dérisoire et une flexibilité totale dans le travail, nous avons mené l’une ou l’autre action qui a obligé la direction à renégocier en commission paritaire.


Et nous n’en resterons pas là. Mais nous ne nions pas la difficulté de mobiliser et de créer u n rapport de force suffisant. Difficulté résultant de ce que vivent concrètement les travailleurs : la précarité de l’emploi, des structures de travail éclatées, l’enchaînement au crédit, le matraquage des medias, etc.


La Gauche : En ce qui concerne la relance économique de la Wallonnie, le document souligne certains mérites du plan Marshall, tout en insistant sur des partenariats « public-public » en opposition à des partenariats public-privé. Mais le plan Marshall n’est-il pas en grande partie un soutien aux investisseurs privés ? En quoi la proposition d’une banque publique régionale proposée par le document se distingue-t-elle de la mise en place par l’exécutif régional wallon de la « Caisse d’épargne et d’investissement wallonne » ?


Jean-françois Ramquet : le mérite du Plan Marshall a été de réintroduire un véritable plan de relance industrielle en Wallonie. Et la Caisse d’épargne et d’investissement y contribue.


Cependant notre proposition de banque publique régionale va plus loin. Elle se situe hors champ de l’économie libérale privée. L’épargne récoltée doit servir prioritairement aux investissements publics, y compris le secteur associatif et socioculturel. Ce qui n’exclut pas un soutien intelligent des entreprises, mais avec des garanties claires en termes de création d’emplois. La mise en place de cette banque doit s’accompagner d’un comité de surveillance, attentif à ce que l’argent des citoyens soit bien investi dans le développement local et social.


La Gauche : la nationalisation sous contrôle syndical du secteur financier ne serait-elle pas une voie plus réaliste pour contrôler le secteur, empêcher la spéculation casino avec l’épargne et orienter précisément le crédit vers la création de services et d’emplois socialement et écologiquement utiles ?


Jean-François Ramquet : Sur le plan intellectuel, on peut être d’accord avec cette revendication. Mais compte-tenu des rapports de force, ce n’est pas réalisable. Par contre, notre proposition d’une banque publique régionale peut être une alternative concrète, réalisable, qui peut marcher parallèlement au secteur financier privé et qui de par son fonctionnement démocratique et transparent et sa fonction sociale, jetterait un éclairage sur le fonctionnement spéculatif et prédateur du secteur financier privé. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre revendication ne passera pas comme une lettre à la poste, parce que c’est une vraie alternative crédible et efficace.


La Gauche : On connaît déjà les prévisions catastrophiques pour cette année en ce qui concerne les licenciements, les pertes d’emploi, le chômage. La FGTB Liège–Huy-Waremme reprend dans son document la proposition qu’avait avancée l’ancien secrétaire de la FGTB de Liège, Thierry Bodson, aujourd’hui secrétaire de la FGTB wallonne : la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire , mais sans que « cela ne coûte à l’entreprise ni qu’elle entraîne une perte de revenus pour le travailleur ».


La solution avancée par la FGTB est d’octroyer aux employeurs des réductions de cotisations sociales patronales proportionnellement à la diminution de la durée du travail dans l’entreprise et au nombre d’embauches compensatoires réalisées. Et, dans ce cadre, la réduction du temps de travail resterait incitative et non obligatoire. La question est posée : qui doit payer la réduction du temps de travail ? Est-ce à la collectivité ou au patronat ? Toute une série de multinationales se portent bien. Les dividendes aux actionnaires n’ont fait qu’augmenter ces dernières années. Pourquoi ne pas exiger que le patronat dans son ensemble, via un fonds patronal mutualisé, finance cette réduction du temps de travail ?


Jean-François Ramquet : de nouveau, nous sommes ici tiraillés entre l’idéologie et le réalisme. Il nous faut avancer une alternative qui peut être appliquée, montrer que c’est possible au lieu de dire « il n’y a qu’à ». Les rapports de force au niveau national et face aux multinationales, y compris les niveaux différents de combativité au niveau syndical sont tels qu’il est illusoire de croire qu’on pourrait imposer une telle revendication. Au moins que la réduction de cotisations sociales patronale serve, sous le contrôle des organisations syndicales, à diminuer le temps de travail dans les entreprises où cela peut se faire et à ouvrir l’embauche.


La Gauche : Quelle suite comptez-vous donner à ce congrès extraordinaire « vaincre la crise par la solidarité » ?


Jean-François Ramquet : le document présenté au congrès est le fruit d’un travail collectif qui s’est étalé sur 6 à 8 mois avec les centrales professionnelles, les groupes spécifiques. Nous allons maintenant réaliser tout un travail pédagogique, d’éducation permanente avec des fiches sur les alternatives avancées dans le document, avec un maximum de rencontres, de débats dans les entreprises et à l’invitation d’acteurs sociaux.


La FGTB nationale prépare un congrès début juin 2010 qui sera précédé de congrès de régionales, de centrales et de la FGTB wallonne. Les thèmes que nous avons abordés à notre congrès de novembre 2009 seront au centre de ces congrès. Nous comptons bien en tant que régionale FGTB de Liège jouer pleinement notre rôle en préparant une série de motions.


Propos recueillis par Denis Horman

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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 08:40

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Le Monde 13 01 2010


Militant révolutionnaire et théoricien de l'émancipation, figure de Mai-68 et cofondateur de la Ligue communiste révolutionnaire, Daniel Bensaïd est mort à Paris, le 12 janvier, des suites d'une longue maladie. Il avait soixante-trois ans.

25 mars 1946
Naissance à Toulouse.

1962
Adhésion à la Jeunesse communiste.

1966
Cofondateur de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR).

1968
Participe à la création du Mouvement du 22 mars.

1997
Publie "Le Pari mélancolique".

2004
Publie "Une lente impatience".

12 janvier 2010
Mort à Paris.


En janvier 2001, alors qu'il était encore maître de conférences à l'université Paris-VIII, Daniel Bensaïd avait soutenu son habilitation à diriger des recherches en philosophie.


Souriant, d'une voix à laquelle son accent du Sud-Ouest donnait une intonation joueuse, il avait exposé les étapes de son itinéraire intellectuel, comme le veut l'usage. A la fin de son intervention, le philosophe Jacques Derrida (1930-2004), qui faisait partie du jury, prit la parole. Il releva l'insistance d'un motif : celui du "rendez-vous". Quand vous parlez révolution, lui fit-il remarquer en substance, vous faites comme si les militants avaient un "rendez-vous" avec elle ; or, ajouta-t-il, l'événement authentique, en tant qu'il est imprévisible, exclut toute rencontre assurée...


Que l'espérance révolutionnaire fasse alterner exaltations brûlantes et rendez-vous manqués, voilà une vérité que Daniel Bensaïd n'aura jamais cessé d'endurer. Cette dialectique de l'élan absolu et de l'illusion déçue, il l'avait reçue en héritage. Né le 25 mars 1946, à Toulouse, il grandit dans un milieu populaire et révolté. Sa mère est fille de communards, son père, un juif né à Oran, est un "miraculé" de Drancy. Dans les faubourgs toulousains, tous deux tiennent le Bar des Amis, où se côtoient postiers communistes, antifascistes italiens et anciens des Brigades internationales.


Adolescent, ce "rejeton du bistrot" se prend d'amitié pour le fils du médecin de famille. Ce dernier est membre du Parti communiste et ancien résistant, et sa maison est bientôt plastiquée par les ultras de l'Algérie française. Pour le jeune Bensaïd, c'est le déclic. Après la répression sanglante à la station Charonne, le 8 février 1962, il adhère aux Jeunesses communistes. Bensaïd appartient donc à cette génération qui est née à la politique en réaction aux guerres coloniales. Il est aussi de ceux dont la radicalisation s'est opérée contre les "trahisons" de la gauche traditionnelle, en particulier du PCF.


Pour avoir refusé de voter Mitterrand dès le premier tour de l'élection présidentielle de décembre 1965, il se trouve exclu de l'Union des étudiants communistes en avril 1966. Avec Alain Krivine et Henri Weber, il fait partie du noyau qui fonde alors la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Trois ans plus tard, en 1969, celle-ci devient la Ligue communiste, section française de la IVe Internationale.


Les jeunes militants trotskistes se jettent à corps perdu dans le combat sans frontières, en solidarité avec la révolution cubaine et contre la guerre du Vietnam. Ayant gagné Paris et intégré l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, Daniel Bensaïd devient l'un des dirigeants les plus influents de son organisation : "Il était très beau, très séducteur, se souvient Janette Habel, cofondatrice de la Ligue communiste. Par ses qualités d'orateur, par sa culture littéraire aussi, il dominait tout le monde du point de vue théorique. Il était très radical, très léniniste. A ses yeux, la construction du parti révolutionnaire était à l'ordre du jour. Il avait une vision de révolutionnaire pressé."

 


Bensaïd avait hâte, il voulait être à l'heure au rendez-vous. Durant ces "années rouges", toute son existence est placée sous le signe d'une attente enthousiaste et angoissée. Au lendemain de Mai-68, dont il est l'une des figures, et alors que les groupes d'extrême gauche sont interdits, il se réfugie chez Marguerite Duras pour écrire, avec Henri Weber, un livre qui qualifie le mouvement de "répétition générale". Convaincu que la révolution mondiale est imminente, il signe ensuite un texte dans lequel il affirme : "L'histoire nous mord la nuque." La formule résume l'emballement gauchiste de l'époque. Dans les années 1970, c'est elle qui fonde l'engagement de Bensaïd aux côtés des militants espagnols comme des guérilleros latino-américains ; c'est encore elle qui nourrit les pulsions militaristes de son organisation, rebaptisée Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en 1974.


De défaite en désillusion, pourtant, l'Histoire se dérobe. Viennent les années 1980, l'hégémonie libérale, le reflux de la question sociale : "L'idée même de révolution, hier rayonnante d'utopie heureuse, de libération et de fête, semble avoir viré au soleil noir", constate-t-il en 1988. Peu à peu, tout en conservant des tâches dirigeantes, et sans jamais manquer un Forum social ou une manif pour les sans-papiers, le militant se tourne néanmoins vers une activité plus théorique. Les objectifs : renouveler la pensée stratégique, puis assurer le passage du témoin.


Comment maintenir une perspective radicale d'émancipation, après les désastres du stalinisme, malgré le triomphe du capitalisme ? Livre après livre, Daniel Bensaïd a tenté d'apporter des éléments de réponse à cette question. Martelant que la marchandise "n'est pas le dernier mot de l'aventure humaine", il souligne la nécessité d'en finir avec une certaine conception mécanique du progrès, et d'envisager l'Histoire non plus comme un flux linéaire, mais comme un agencement de rythmes "désaccordés". Il plaide pour un marxisme moins dogmatique, plus "mélancolique", attentif à l'inouï de l'événement comme aux "misères du présent" (Péguy), rajeuni par le pari pascalien ou le messianisme de Walter Benjamin (Le Pari mélancolique, Fayard, 1997).


La renaissance d'une gauche radicale et l'émergence du mouvement altermondialiste précipitent l'effort de transmission auquel Daniel Bensaïd a consacré ses dernières années. Polémiste impitoyable et parfois injuste, il dialogue volontiers avec ses contemporains, en France comme à l'étranger, discutant Alain Badiou, Slavoj Zizek, Antonio Negri et John Holloway. Mais ce passeur a aussi à coeur de favoriser l'émergence d'une nouvelle génération.


En 2001, il crée la revue Contretemps, qui vise à confronter recherche universitaire et critique sociale. "Son souci de la transmission était très présent, tant dans ses textes que dans les discussions informelles, qui mêlaient de manière joyeuse ou sérieuse échanges politiques et anecdotes truculentes", témoigne le jeune économiste Cédric Durand, l'un des animateurs de la revue. Plus tard, lui qui se présente toujours comme un "simple militant" souhaite partager son expérience pratique et sa réflexion théorique avec les membres du Nouveau Parti anticapitaliste, au sein duquel la LCR s'est dissoute en 2009.


Internationaliste intransigeant, lecteur de Musset, de Proust et de Bernanos, auteur d'essais consacrés à Jeanne d'Arc ou à la Révolution française, il se présentait aussi comme un"hussard rouge de la République". Avec Walter Benjamin, il affirmait que la fidélité aux opprimés et aux "vaincus" d'autrefois constitue un premier pas vers la justice à venir. Tel était le principe de la "lente impatience" qui avait tant frappé Derrida.

 

 

Jean Birnbaum
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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 14:00
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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 10:10
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Pour ces régionales, le NPA a, tant au plan national que local, engagé des discussions pour parvenir à l'unité de toutes les forces qui affirment ne pas avoir renoncé à un changement radical de société c'est à dire avec le PCF, Lutte ouvrière, le Parti de gauche, les Alternatifs, la Fédération, les Objecteurs de croissance... Le fossé qui sépare le programme du PS et celui d'une gauche digne de ce nom justifiait la présentation de listes séparées de celles des socialistes partout.


A l'inverse de son choix de 2004, le PCF a cette fois décidé de présenter des listes «autonomes» dans 17 régions sur 22. Mais la prise de distance avec le vieil allié socialiste n'est que formelle. En effet, le PCF a annoncé qu'il constituerait de toute façon avec les socialistes des majorités de gestion. Quitte à reproduire la politique qu'il mène actuellement dans 16 régions puisqu'il en juge le bilan «plutôt satisfaisant».


Contrairement à l'image qu'on veut lui coller, le NPA ne refuse ni d'avoir des élus, ni de prendre ses responsabilités pour appliquer un programme radical s'il en a le rapport de force. Ce qu'il refuse, c'est de cautionner dans les institutions l'inverse de ce pourquoi il se bat au quotidien. Les dirigeants nationaux du PCF – et leurs alliés du PG – ont refusé d'adopter la même attitude et nous le regrettons. Quant à Lutte ouvrière, cette organisation a tout simplement refusé toute discussion.


Il ne faut toutefois pas tirer de leçons définitive de cette situation. Une vaste recomposition du paysage politique est en cours. A la gauche du PS, deux projets contradictoires s'affrontent.


Celui d'une gauche anticapitaliste qui pose comme base de rassemblement la volonté de lutter jusqu'au bout pour la transformation radicale de la société et celui de la direction du PCF qui refuse de s'émanciper de la tutelle du parti socialiste au risque de voir les rêves de transformation sociale se transformer en cauchemar gestionnaire. C'est bien cette question qui a provoqué l'échec des discussions nationales, notamment avec le PCF.


Le parti de Marie George Buffet s'enfonce de plus en plus dans la crise. Dans de nombreuses régions, des élus sortants et militants communistes ont fait le choix d'affronter les listes de leur propre parti en participant aux listes des socialistes ou à celles d'Europe écologie.


Loin de se résigner face à l'échec des discussions nationales, les comités du NPA ont discuté dans toutes les régions avec les mêmes formations.

Dans quelques régions, et c'est positif, des listes unitaires associant le NPA, le PG et parfois le PCF, constituées sur des bases plus claires ont pu voir le jour.


En Languedoc Roussillon, le Front de gauche et le NPA mèneront campagne ensemble. La personnalité très controversé de la tête de liste socialiste, Georges Frêche, a agi comme un repoussoir sur les militantes et militants communistes et facilité un accord unitaire.


La liste NPA-Front de gauche ne fusionnera pas avec celle du PS à l'issue du premier tour. Un programme de rupture sur le terrain social et écologique a été adopté et la composition de la liste permet un équilibre entre les diverses composantes. Des discussions se poursuivent également avec le Front de gauche en Limousin, Poitou-Charente.


En Pays de Loire, le PCF s'est coupé en deux. Dans trois départements, il participe à la liste des socialistes. Deux fédérations discutent avec le NPA et le PG pour une liste commune.


Dans 5 régions, le PCF a fait le choix d'une alliance avec le PS dès le premier tour. Ainsi un accord a pu être conclu avec le le Parti de gauche notamment en Basse Normandie et en Champagne Ardennes. Les discussions se poursuivent en Lorraine, Alsace et Bourgogne. En Bretagne, le PG s'est divisé, une partie contractant un accord avec le NPA, l'autre avec la Fédération.


Enfin, dans un plusieurs régions, le NPA mènera campagne aux côtés de militants écologistes radicaux, et de la mouvance des objecteurs de croissance.


Un communiqué national NPA_ Mouvement des objecteurs de croissance lance un appel à «ceux qui ne se résignent pas à accepter comme inévitable la domination du capitalisme, ceux qui sans attendre les catastrophes planétaires à venir veulent dès à présent, engager des luttes de résistances et des alternatives concrètes (y compris dans les institutions ), à se regrouper dans une Convergence de la Gauche anticapitaliste et de l'Ecologie radicale pour les élections régionales.»


L'accord est ainsi dores et déjà conclu en Auvergne avec les «alterekolos».

Que cela soit dans un cadre unitaire ou pas, le NPA mène campagne dans les 21 régions métropolitaines pour y défendre un même programme de rupture sociale et écologique. Une campagne contre la droite au pouvoir et en toute indépendance du PS et de ses alliés. Une campagne pour envoyer dans les conseils régionaux des élus aussi fidèles à la jeunesse et aux travailleurs que le droite l'est du patronat.


Frédéric Borras

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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 09:52
Photo d'Audrey Cerdan (Rue 89) - février 2008
Photo d'Audrey Cerdan (Rue 89) - février 2008
«Dans la rencontre amoureuse des regards, dans la fulgurance de l'événement, l'infiniment petit domine l'infiniment grand. L'éphémère capture l'éternité», Daniel Bensaïd, Walter Benjamin - Sentinelle messianique - A la gauche du possible (Plon, 1990).


Daniel Bensaïd (1946-2010) est décédé ce mardi 12 janvier matin. Je suis triste.


Daniel était pour moi un "grand frère" en matière politique et intellectuelle. Sans lui, je n'aurai pas fait ce parcours difficile qui m'a conduit de la famille socialiste (1976-1992) à la LCR (un rapprochement fin 1997 se traduisant par une adhésion en 1999), et aujourd'hui au NPA.


Sans lui, je n'aurai pas découvert la philosophie de l'histoire de Walter Benjamin. Deux de ses livres m'ont alors tout particulièrement ouvert de nouveaux horizons philosophiques : Walter Benjamin - Sentinelle messianique - A la gauche du possible (Plon, 1990) et Le pari mélancolique (Fayard, 1997). Ces interférences benjaminiennes nous avaient conduit à écrire ensemble un texte qui devait beaucoup à ses analyses : "Le travail intellectuel au risque de l'engagement" (revue Agone, n°18-19, 1998). Il avait l'humanité et l'intelligence médiatrices.


 


C'était aussi un ami et un camarade.

Je pouvais lui faire part de mes divergences intellectuelles et politiques (il faut dire que je n'étais ni "trotksyste", ni même "marxiste"...), voire exprimer publiquement des critiques de certains de ses écrits, sans que cela n'affecte le rien du monde ni l'amitié, ni la camaraderie militante.


Il avait une élégance éthique et une fraternité joyeuse.

Avec lui disparaît un des derniers grands intellectuels-militants, figure qui a tant marqué historiquement le mouvement ouvrier (avec les Proudhon, Marx, Rosa Luxemburg, Jaurès...), et qui a peu à peu disparu sous les doubles coups de butoir de la spécialisation du travail intellectuel et de la désintellectualisation de la gauche.


La maladie n'entamait pas sa joie de vivre et son espièglerie. Il maintenait un horizon utopique radicalement autre en politique, mais cela ne l'empêchait pas de vivre pleinement chaque instant, chaque rayon de soleil.

Son autobiographie nous invitait à Une lente impatience (Stock, 2004), enracinée dans l'immanence de notre présent mais reliée aux fils de la mémoire et aux possibilités de l'à-venir.


 


Respect et mélancolie, Daniel, le combat et l'amour continuent...

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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 09:45

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Source: Blog: La tête au Carhaix


La santé a-t-elle un prix ? Et la connaissance ? Existe-t-il un droit inconditionnel au logement, à l’éducation ? (par Daniel Bensaïd) vendredi 12 juin 2009

En réduisant la valeur marchande de toute richesse, de tout produit, de tout service, au temps de travail socialement nécessaire à sa production, la loi du marché vise à rendre commensurable l’incommensurable, à attribuer un prix monétaire à ce qui est difficilement quantifiable.


En tant qu’équivalent général, l’argent aurait ainsi le pouvoir de tout métamorphoser. Agent d’une universelle traduction, il « confond et échange toute chose, il est le monde à l’envers, la conversion et la confusion de toutes les qualités générales et humaines » [1]. La marchandisation généralisée vise bel et bien à donner un prix à ce qui n’en a pas : « Cet effort pour conférer un prix à tout ce qui peut s’échanger s’est considérablement accru, constate Marcel Hénaff.


On a glissé vers une conception de marchandisation sans limites : tout peut s’évaluer sur un marché, donc tout peut se vendre, y compris l’invendable. » [2] Le service public peut ou devrait être gratuit, mais l’enseignant ou l’infirmière doit se nourrir et se vêtir. Question d’actualité : à quoi correspond alors le salaire d’un enseignant-chercheur universitaire ? Il ne vend pas un produit (un savoir-marchandise), mais il reçoit une rémunération financée par la péréquation fiscale pour le temps de travail socialement nécessaire à la production et à la reproduction de sa force de travail (temps de formation inclus).


S’agit-il seulement du temps passé dans son laboratoire ou du temps passé devant l’écran de son ordinateur (minutable par une horloge intégrée) ? Arrête-t-il de penser quand il prend le métro ou fait son jogging ? Questions d’autant plus épineuses que la production des connaissances est hautement socialisée, difficilement individualisable, et qu’elle comporte une grosse quantité de travail mort.


Or, les réformes en cours tendent à transformer notre enseignant-chercheur en vendeur de prestations marchandes. Il serait désormais censé vendre des idées ou des connaissances dont les procédures d’évaluation (comme la bibliométrie quantitative) devraient mesurer la valeur marchande. Pourtant, « entre l’argent et le savoir, point de commune mesure », estimait sagement Aristote.


La crise actuelle est une crise historique - économique, sociale, écologique - de la loi de la valeur. La mesure de toute chose par le temps de travail abstrait est devenue, comme Marx le prévoyait dans ses Manuscrits de 1857, une mesure « misérable » des rapports sociaux. Mais « on ne peut gérer ce qu’on ne sait mesurer », affirme M. Pavan Sukhdev, ancien directeur de la Deutsche Bank de Bombay à qui la Commission de l’Union européenne demande un rapport pour « procurer une boussole aux dirigeants de ce monde » en « attribuant très vite une valeur économique aux services rendus par la nature » [3] !


Mesurer toute richesse matérielle, sociale, culturelle, au seul étalon du temps de travail socialement nécessaire à sa production, devient cependant de plus en plus problématique du fait d’une socialisation accrue du travail et d’une incorporation massive de travail intellectuel à ce travail socialisé.


Le temps long de l’écologie n’est décidément pas le temps court des cours de Bourse ! Attribuer « une valeur économique » (monétaire) aux services de la nature se heurte à l’épineux problème d’établir un dénominateur commun aux ressources naturelles, aux services aux personnes, aux biens matériels, à la qualité de l’air, de l’eau potable, etc.


Il y faudrait un autre étalon que le temps de travail et un autre instrument de mesure que le marché, capable d’évaluer la qualité et les contreparties à long terme des gains immédiats. Seule une démocratie sociale serait capable d’accorder les moyens aux besoins, de prendre en compte la temporalité longue et lente des cycles naturels, et de poser les termes de choix sociaux intégrant leur dimension écologique.


La démarchandisation des rapports sociaux ne se réduit donc pas à une simple opposition entre le payant et le gratuit. Immergée dans une économie de marché concurrentielle, la gratuité peut aussi se révéler perverse et servir de machine de guerre contre une production payante de qualité. C’est ce qu’illustre la multiplication des journaux gratuits au détriment d’un travail d’information et d’enquête qui coûte.


On peut certes imaginer et expérimenter des domaines d’échange direct – non monétaire - de biens d’usage ou de services personnalisés. Mais ce « paradigme du don », comme procédure de reconnaissance mutuelle, ne saurait être généralisé, sauf à concevoir un retour à une économie autarcique de troc. Or, toute société d’échange élargi et de division sociale complexe du travail, requiert une comptabilité et un mode de redistribution des richesses produites.


La question centrale de la démarchandisation est par conséquent celle des formes d’appropriation et des rapports de propriété, dont la gratuité (d’accès aux services publics ou aux biens communs) n’est qu’un aspect. C’est la privatisation généralisée du monde – c’est-à-dire, non seulement des produits et des services, mais des savoirs, du vivant, de l’espace, de la violence – qui fait de tout une marchandise vendable.


On assiste ainsi, à bien plus grande échelle, à un phénomène comparable à ce qui s’est produit au début du 19e siècle avec une offensive en règle contre les droits coutumiers des pauvres : privatisation et marchandisation de biens communs et destruction méthodique des solidarités traditionnelles (familiales et villageoises hier, des systèmes de protection sociale aujourd’hui) [4].


Les controverses sur la propriété intellectuelle sont à cet égard exemplaires : « La moindre idée susceptible de générer une activité est mise à prix, comme dans le monde du spectacle où il n’y a pas une intuition, pas un projet ne soient aussitôt couverts par un copyright. Course en vue de l’appropriation, en vue des profits.


On ne partage pas : on capture, on s’approprie,, on trafique. Le temps viendra peut-être où il sera impossible d’avancer un énoncé quelconque sans découvrir qu’il a été dûment protégé et soumis à droit de propriété. » [5] Avec l’adoption en 1994 de l’accord Trips (Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights) dans le cadre des accords de l’Uruguay Round (dont est issue l’Organisation mondiale du commerce), les gouvernements des grands pays industrialisés ont ainsi réussi à imposer le respect mondial des brevets. Auparavant, non seulement leur validité n’était pas mondialement reconnue, mais cinquante pays excluaient carrément le brevetage d’une substance et ne reconnaissaient que les brevets sur les procédés de fabrication.


Depuis les années 1970 on assiste ainsi à une absolutisation des droits de pleine propriété, à une formidable appropriation privée par les multinationales de la connaissance et des productions intellectuelles et artistiques en général. Devant l’éventualité de mise à disposition des usagers de logiciels, le prêt gratuit des bibliothèques a été remis en question dès la fin des années 80.


Depuis, l’information devenant une nouvelle forme de capital, le nombre de brevets déposés chaque année a explosé (156 000 en 2007). A eux seuls, Monsanto, Bayer et BASF ont déposé 532 brevets sur les gênes de résistance à la sécheresse. Des sociétés surnommées « trolls » achètent des portefeuilles de brevets afin d’attaquer en justice pour contrefaçon des producteurs dont l’activité utilise un ensemble de connaissances inextricablement combinées. Nouvelle forme d’enclosure contre le libre accès au savoir, cette course au brevetage génère ainsi une véritable « bulle de brevets ».


Cette extension du droit des brevets autorise le brevetage de variétés de plantes cultivées ou d’animaux d’élevage, puis de substances d’un être vivant, brouillant du même coup la distinction entre invention et découverte, et ouvrant la voie au pillage néo-impérialiste par appropriation de savoirs zoologiques ou botaniques traditionnels.


Ce qui est grave, ce n’est pas tant que le brevetage de séquences d’ADN constituerait une atteinte à la très divine Création, c’est que l’élucidation d’un phénomène naturel puisse désormais faire l’objet d’un droit de propriété. La description d’une séquence génique est un savoir et non un faire. Or brevets et droits d’auteur avaient initialement pour contrepartie une obligation de divulgation publique du savoir concerné. Cette règle a été contournée bien des fois (au nom notamment du secret militaire), mais Lavoisier n’a pas breveté l’oxygène, Einstein la théorie de la relativité, Watson et Crick la double hélice d’ADN. Alors que, depuis le 17e siècle, l’entière divulgation favorisait les révolutions scientifiques et techniques, la part des résultats mis dans le domaine public diminue désormais, tandis qu’augmente la part confisquée par brevet pour être vendue ou rapporter une rente.


En 2008, Microsoft annonçait la mise en ligne en libre accès sur Internet de données concernant ses logiciels phares et autorisé leur utilisation gratuite pour des développements non commerciaux. Il ne s’agissait pas, se hâtait de préciser dans un entretien à Médiapart le directeur des affaires juridiques Marc Mossé, d’une remise en cause de la propriété intellectuelle, mais seulement d’une « démonstration que la propriété intellectuelle peut être dynamique ». Face à la concurrence des logiciels libres, les logiciels marchands comme Microsoft étaient forcés de s’adapter partiellement à cette logique de gratuité, dont le fondement est la contradiction croissante entre l’appropriation privative des biens communs et la socialisation du travail intellectuel qui commence avec la pratique du langage.


En son temps, l’accaparement privatif des terres fut défendu au nom de la productivité agraire dont l’augmentation était censée éradiquer disettes et famines. Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle vague d’enclosures, justifiée à son tour par la course à l’innovation et par l’urgence alimentaire mondiale. Mais l’usage de la terre est « mutuellement exclusif » (ce que l’un s’approprie, l’autre ne peut en user), alors que celui des connaissances et des savoirs est sans rival : le bien ne s’éteint pas dans l’usage qui en est fait, qu’il s’agisse d’une séquence génique ou d’une image digitalisée.


C’est pourquoi, du moine copiste au courrier électronique, en passant par l’impression ou la photocopie, le coût de reproduction n’a cessé de baisser. Et c’est pourquoi on invoque aujourd’hui, pour justifier l’appropriation privative, la stimulation de la recherche plutôt que l’usage du produit.


En freinant la diffusion de l’innovation et son enrichissement, la privatisation contredit les prétentions du discours libéral sur ses bienfaits concurrentiels. Le principe du logiciel libre enregistre au contraire à sa manière le caractère fortement coopératif du travail social qui s’y trouve cristallisé. Le monopole du propriétaire est contesté non plus, comme pour les libéraux, au nom de la vertu innovante de la concurrence, mais comme entrave à la libre coopération. L’ambivalence du terme anglais free appliqué au logiciel fait ainsi rimer gratuité et liberté.


Comme à l’époque des enclosures, les expropriateurs d’aujourd’hui prétendent donc protéger les ressources naturelles et favoriser l’innovation. On peut leur adresser la réplique que faisait déjà, en 1525, la Charte des paysans allemands insurgés : « Nos seigneurs se sont appropriés les bois, et si l’homme pauvre a besoin de quelque chose, il faut qu’il l’achète pour un prix double. Notre avis est que tous les bois doivent revenir à la propriété de la commune entière, et qu’il doit être à peu près libre à quiconque de la commune d’y prendre du bois sans le payer. Il doit seulement en instruire une commission élue à cette fin par la commune. Par là sera empêchée l’exploitation. » [6]


BENSAÏD Daniel


Notes


[1] Marx, Manuscrits de 1844.

[2] Marcel Hénaff, « Comment interpréter le don », in Esprit, février 2002. Marcel Hénaff est notamment l’auteur de Le prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie, Paris, Seuil, 2002.

[3] Libération, 5 janvier 2009.

[4] Voir Daniel Bensaïd, Les Dépossédés. Karl Marx, les voleurs de bois et le droit des pauvres, Paris, La Fabrique, 2006. Sur ESSF, voir notamment l’introduction à l’édition argentine de cet ouvrage : Daniel Bensaïd, Marx et le vol de bois : Du droit coutumier des pauvres au bien commun de l’humanité

[5] Marcel Hénaff, op. cit.

[6] Cité par K. Kautsky, La question agraire, Paris, 1900, p. 25.

* Contribution au livre collectif sous la direction de Paul Ariès, « Viv(r)e la gratuité » paru aux éditions Golias, 2009.

 

Source : http://siteinfosecusante.free.fr/spip.php?article267
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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 09:36

Par Mauro Gasparini le Mardi, 12 Janvier 2010      


Pendant que commençait le sommet de Copenhague, une crise environnementale secouait la Belgique: Aquiris, filiale de Veolia chargée de la station d'épuration des eaux de Bruxelles-Nord, décidait d'arrêter celle-ci et provoquait une pollution massive de la Senne, la Dyle, le Rupel et l'Escaut! Une preuve de plus que les intérêts privés sont tout sauf des "partenaires" du public et des usagers...


Petit rappel des faits: en juin 2001, Aquiris, filiale de Veolia, une multinationale fournisseuse de "services à l'environnement", remporte l'appel d'offres pour la construction et l'exploitation de la station d'épuration (STEP) des eaux de Bruxelles-Nord jusqu'en 2028.


Le lancement de cette STEP était prévu pour 2006 mais n'aura lieu que 16 mois plus tard. La Région bruxelloise n'a même pas cherché à obtenir les 12 millions d'euros d'amende qu'elle était en droit de percevoir pour ce retard... Aquiris avait entamé au début de l'année la construction d'une installation visant à dessabler les eaux usées, mais sans avoir au préalable obtenu un permis de la région.


En outre, sur les 701 remarques faites en 2008 par la Société bruxelloise de gestion des eaux (SBGE) sur les problèmes dans la construction de la station, 569 n'étaient pas encore réglés par Aquiris fin 2009!


Aquiris engage le rapport de forces avec la région le 8 décembre 2009: prétendant qu'il était impossible de faire fonctionner correctement la STEP suite à "l'obstruction de l'entrée" de celle-ci par un "amas de gravats et de sables", elle interrompt unilatéralement le fonctionnement de la station nord jusqu'au 19 décembre, date à laquelle celle-ci est relancée suite à des menaces d'astreinte de 300 000 euros par jour. Aquiris a eu le culot de présenter cette relance comme un geste positif de sa part!

Débat communautaire en eaux troubles

Suite à la grave pollution de la Senne, la Dyle, le Rupel et l'Escaut, détruisant quasiment toute vie aquatique sur des dizaines de kilomètres, le scandale se "communautarise" dans les gouvernements régionaux, la ministre flamande de l'environnement, Joke Schauvliege (CD&V) accusant son homologue bruxelloise Evelyne Huytebroeck (Ecolo) d'être responsable du désastre, aux côtés d'Aquiris et des organismes bruxellois compétents.


Veolia a obtenu pour cette affaire l'aide de l'agence américaine de relations publiques Hill & Knowlton, connue pour avoir fait de la propagande en faveur de l'industrie du tabac, du diamant, du nucléaire, ou encore... pour la première Guerre du Golfe.


Le porte-parole néerlandophone de Hill & Knowlton, Peter Otten, a d'ores et déjà réussi une partie de sa mission: communautariser le débat et le détourner pour éviter qu'Aquiris ne soit trop "sali" dans les médias.


Aquiris s'est donc aussi attaquée à sa "concurrente" publique qui gère la station d'épuration du sud de Bruxelles pour le compte de la Compagnie intercommunale bruxelloise des eaux, Vivaqua, l'accusant de polluer la Senne "en amont" de la station nord en y déversant des boues d'épuration. Accusation non-fondée: l'institut bruxellois pour la gestion de l'environnement (IBGE) a constaté que la STEP sud répondait parfaitement aux normes... Il est vrai que la station nord gérée par Aquiris traite une charge organique actuellement supérieure à son dimensionnement.


Marc Laimé, collaborateur au Monde Diplomatique et spécialiste de la question de l'eau, a mené une enquête qui éclaire cette affaire sous un autre angle.


Le problème provient en réalité du fait que la multinationale a, pour la première fois, développé à l’échelle industrielle à Bruxelles un nouveau procédé d’élimination des boues des STEP : l’oxydation par voie humide (OVH), qui ne convient pas aux déchets industriels.


Ce système n'avait été expérimenté auparavant que comme prototype, à Toulouse, sans succès. Or, suite à un incident survenu dans une station de traitement des eaux usées située en périphérie de Milan et utilisant ce procédé, l’OVH avait déjà été suspendue "par précaution" à Bruxelles Nord.


Veolia-Aquiris connaîtrait donc de graves problèmes avec le traitement des boues du nord de Bruxelles et doit expédier chaque jour des camions de boue en Allemagne, ce qui entraîne un surcoût de 450 000 euros par mois. En résumé, Veolia a tiré prétexte des gravats pour fermer la STEP nord et obtenir la remise à niveau aux frais de la région des installations de traitement de boue qui lui coûtent cher.

PPP

Cette affaire est encore un exemple typique de «Partenariat Public Privé» (PPP), très prisés par le gouvernement « Olivier » (coalition socialiste-chrétienne-écolo) ( un PPP est aussi utilisé pour la rénovation des bâtiments scolaires en Communauté française): la Région bruxelloise paiera 830 millions d'euros (hors TVA) à Aquiris en 20 ans. Le prix de l'épuration augmentera de 10 % par an entre 2010 et 2013 et la taxe sur l'égouttage de 40% en 2010. Un ménage bruxellois de 2 personnes qui consomme en moyenne 75 mètres cubes d'eau par an verra donc sa facture grimper en 2 ans de plus de 50 euros par an, atteignant les 3 euros le m3.


Conséquences de ces PPP: au fil du temps, la perte de l'expertise et de contrôle démocratique de la collectivité, la discrimination des pauvres permettant la coupure de la fourniture, l'enrichissement des entreprises privées. Le prix augmente automatiquement puisque l'eau, à la source de toute vie, est transformée en marchandise destinée à faire du profit pour des entreprises et à amener des dividendes aux actionnaires. Les multiples contrôles prévus par les pouvoirs publics sont contournés par les entreprises capitalistes, comme le montre l'affaire Aquiris.


L'eau ne concerne pas que les ingénieurs et les banquiers. L'eau est un bien commun, patrimoine de l'humanité: sa marchandisation, promue par des Veolia-Aquiris, Vivendi et autres multinationales du capitalisme prétendument "vert", constitue un crime écologique et social à Bruxelles, à Milan comme à Cochabamba.


La gestion de l'eau doit être publique, pour sortir de la logique capitaliste dangereuse, et décentralisée, afin d'éviter la concentration des pollutions et des risques dans des stations géantes. Puisque le service public ne doit pas faire de profits, le coût baisse. Un vrai service public de l'eau permet une meilleure maîtrise de l’outil de production et de distribution et une réelle prise en main par les usagers et travailleurs sur cette ressource stratégique d'un point de vue écologique et social.


Charles Picqué (ministre-président de la Région bruxelloise - PS) et Evelyne Huytebroeck (ministre de l'Environnement du gouvernement bruxellois - Ecolo), ont menacé de substituer les pouvoirs publics à Aquiris. Malgré leurs déclarations d'intention, ce ne sont pas les gouvernements "Olivier", résignés à l'adaptation au capitalisme, qui reviendront sur cette privatisation nocive.


Les usagers devront donc lutter, ensemble, pour faire barrage, pour reprendre l’expression de Marx, aux "eaux glacées du calcul égoïste" capitaliste...

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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 09:31

Par Jan Willems le Mardi, 12 Janvier 2010

 


Suite aux révoltes qui éclatèrent en 1959 dans la colonie belge du Congo, la conférence, dite de « la Table Ronde », entre les grands partis belges et les tout nouveaux partis congolais débutait en janvier 1960 à Bruxelles.


Cette conférence allait déboucher sur la promesse d’octroyer l’indépendance du Congo pour juin 1960 mais en coulisse le gouvernement et la bourgeoisie belge préparaient la poursuite du pillage des riches ressources congolaises.


Pour comprendre les enjeux de cette conférence, il faut se replacer dans le contexte de l’effondrement du système colonial après 1945. Le choc de la Deuxième Guerre mondiale avait renforcé les contradictions des sociétés coloniales à travers le monde. La guerre avait généré des famines. Elle avait aussi transformé des millions d’hommes colonisés en soldats qui avaient été plongés dans les combats les plus meurtriers et qui ne voulaient plus être traités comme des esclaves.


L’explosion anticolonialiste débuta directement à la fin de la guerre avec les révoltes dans l’empire français en Indochine (actuels Vietnam, Laos et Cambodge), à Sétif en Algérie, à Madagascar ainsi que dans l’empire britannique des Indes. Le retrait britannique de l’Inde, la défaite de l’armée française par les combattants anti-impérialistes indochinois en 1954 et le début de la guerre d’Algérie montraient aux grandes puissances impérialistes européennes qu’il serait de plus en plus difficile de garder les colonies comme telles.


Pourtant, le gouvernement belge ne voulu rien savoir. Dès 1946, le gouverneur général belge qui dirigeait le Congo avait pourtant constaté que rien ne serait plus comme avant la guerre et qu’il faudrait changer de système. Mais les gouvernements belges comme la puissante Société Générale de Belgique, la plus grande multinationale belge qui contrôlait les ressources minières du Congo, ne voulait pas lâcher la poule aux œufs d’or. Les colons blancs ne voulaient pas renoncer à leurs privilèges face aux indigènes qu’ils traitaient comme des domestiques et qu’ils exploitaient dans des conditions similaires à celle de l’Europe du 19ème siècle, voire du Moyen Age.


Les filiales des multinationales belges opérant au Congo étaient capables de générer du profit deux fois plus vite que les entreprises opérant en Belgique. La Société Générale et le gouvernement belge pillèrent l’uranium du Congo pour aider le développement de l’armement nucléaire américain et pour développer l’industrie nucléaire belge dans les années 1950 (Electrabel sera une filiale de la Société Générale).


A la fin des années 50, l’indépendance du Congo n’était pas à l’ordre du jour de la bourgeoisie belge et de son gouvernement. Ainsi, un rapport officiel belge de 1958 prévoyait que le Congo pourrait éventuellement devenir indépendant dans les années 1980 !


Si la colonie rapportait beaucoup, elle n’avait pratiquement rien coûté aux dirigeants belges. Les infrastructures restaient très peu développées, hormis ce qui était nécessaire à la production et au transport des matières premières pillées par les entreprises belges.


Elles avaient été construites par le travail forcé des peuples indigènes du Congo dont l’exploitation brutale de la fin du 19ème siècle s’était traduite par des millions de victimes. Les systèmes, plus que rudimentaires, de santé et d’éducation des congolais étaient principalement organisés par des religieux. En 1959, il n’y avait que quelques dizaines de congolais qui avaient eu accès à l’enseignement supérieur. La modernisation de la colonie s’était donc limitée à ce qui était indispensable au pillage des ressources naturelles du Congo.


Pendant cinquante ans les colonisateurs belges ,« civilisateurs », s’appuyèrent sur les chefs de tribus traditionnels pour diriger la colonie plus facilement et à moindre coût. Cela renforça des logiques tribales qui divisèrent les différentes ethnies congolaises pendant des décennies, qui bloquèrent l’émancipation des femmes et la diffusion des idées progressistes. Il fallait maintenir les colonisés dans l’ignorance et le conservatisme pour éviter des révoltes généralisées contre l’oppresseur colonial.


Le gouvernement colonisateur belge avait tout fait pour limiter l’émergence d’une conscience politique au sein des masses congolaises. Pourtant, l’explosion eut lieu en 1959. Le gouvernement belge se rendit à l’évidence, les populations congolaises ne se laisseraient plus faire comme jadis alors que tant d’autres peuples luttaient pour leur indépendance, y compris par la voie armée.


En pleine guerre d’Algérie, le gouvernement belge ne pouvait que constater l’échec de l’armée française empêtrée dans ses guerres coloniales sanglantes, coûteuses et de plus en plus impopulaires en France elle-même. Le Congo ne pouvait pas devenir une autre Algérie.


En janvier-février 1960, le gouvernement belge organisa alors une conférence, dite de « la Table Ronde », à laquelle il invita les grands partis belges (sauf le Parti communiste) et les partis congolais qui venaient de se former. Quelques mois auparavant, le gouvernement belge envisageait encore de garder pendant des dizaines d’années un contrôle belge au Congo sur les affaires étrangères, la défense, l’économie, les transports et communications, la monnaie.


Mais face à l’opposition des congolais indépendantistes et la peur d’une révolte générale, il fut convenu de donner l’indépendance au Congo pour juin 1960 ! Les grands partis belges (chrétiens, libéraux et socialistes) prétendirent ainsi « remettre toutes les clefs » du Congo aux Congolais.


Rien n’était plus faux. Le gouvernement belge, la Société Générale et les autres capitalistes belges ayant des intérêts au Congo continuèrent d’intervenir pour garder le contrôle des richesses minières congolaises. Ils décidèrent de créer une guerre civile qui allait déboucha sur la mise en place la dictature sanglante de Mobutu qui soumettra le Congo aux puissances occidentales pendant plus de trente ans !


Après la conférence, dite de « la Table Ronde, le gouvernement belge continua de contrôler l’appareil d’Etat colonial, certains partis congolais et la formation des cadres de l’armée, notamment du premier futur chef d’Etat major, un jeune sergent du nom de Mobutu. Malgré cela, les premières élections virent le succès de Patrice Lumumba, un ancien commis postier et petit employé d’une brasserie qui était devenu militant anticolonialiste. Lumumba voulait bâtir un Congo indépendant, moderne, capable de dépasser les clivages ethniques.


Il devint alors le premier ministre du Congo indépendant au grand dam de la bourgeoisie belge qui ne le trouvait pas assez docile. La bourgeoisie belge le présenta comme communiste pro soviétique (ce qu’il n’était pas). Ainsi le grand journal catholique la Libre Belgique n’hésitait pas à la caricaturer avec des cornes de diable et à publier un éditorial qui regrettait que l’armée belge ne l’élimine pas simplement « d’un geste viril »!


Pour casser Lumumba, le gouvernement belge et la Société Générale organisèrent la guerre de sécession de la province du Katanga, la plus riche en ressources minières, dix jours seulement après la proclamation de l’indépendance.


Le Congo fut alors plongé dans une sanglante guerre civile. Mais le gouvernement américain s’opposa à l’intervention directe belge car il craignait qu’une démarche aussi grossièrement colonialiste ne renforce le camp anti-impérialiste à travers toute l’Afrique. Le choix des services secrets américains et belges se porta alors sur le servile Mobutu et ils décidèrent d’assassiner Lumumba. Sous le couvert d’une intervention de l’ONU, les gouvernements des Etats-Unis et la Belgique aidèrent Mobutu à prendre le pouvoir organisant un coup d’Etat militaire.


Mobutu devint le dictateur à vie qui allait laisser les multinationales belges, américaines et françaises piller son pays tout en s’enrichissant de manière scandaleuse. Pendant des décennies, Mobutu prit 15 à 18% du budget de l’Etat pour sa présidence, soit environ 100 millions de dollars par an ! A ceux qui osaient le contester, les bourreaux de Mobutu n’hésitaient pas à torturer, à violer et assassiner par milliers les opposants. Cela n’empêcha pas la Belgique de continuer à former des officiers de l’armée du dictateur, pendant que le roi Baudouin et la reine Fabiola devenaient les parrains des enfants de Mobutu !


La corruption, la répression et le pillage systématique du pays par Mobutu et sa clique ainsi que par les grandes entreprises étrangères finirent par provoquer l’effondrement progressif de l’Etat au cours des années 1980-1990. En 1997, le gouvernement de Mobutu fut chassé par les armées voisines du Rwanda et de l’Ouganda et son régime s’effondra. Le pays se retrouva alors plongé dans une guerre sanglante pendant plus de dix ans dans laquelle se sont affrontés des bandes armées des seigneurs de guerre congolais ou étrangers, soutenues par les grandes puissances occidentales comme la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.


Mais les matières premières ont continué d’être pillées pour le profit des firmes multinationales. En 2007, les Nations-Unies estimaient que, depuis 1997, entre 5 et 10 milliards de dollars de matières premières avaient été pillées pour être revendues sur les marchés internationaux par les divers seigneurs de guerre opérant au Congo. La guerre au Congo a déjà tué plus de trois millions de personnes. Des centaines de milliers de femmes ont été violées et mutilées par des soldats. Ces massacres en ont fait le conflit le plus sanglant dans le monde depuis la deuxième guerre mondiale et le gouvernement actuel n’a aucune marge de manœuvre face aux grandes puissances occidentales et aux entreprises étrangères qui continuent de piller le pays.


Il y a 50 ans se terminait officiellement la colonisation belge au Congo. Mais aussitôt les puissances impérialistes occidentales, en premier lieu la Belgique, les Etats-Unis et la France, mirent en place un système de contrôle indirect qui devait assurer la poursuite du pillage des ressources du nouvel Etat pseudo indépendant. La dictature brutale de Mobutu allait dégénérer au point de mener à une des plus sanglantes guerres de l’histoire de l’humanité. Voilà le triste bilan de la colonisation capitaliste belge au Congo et du système néocolonial mis en place dans les années 1960.



Deux bilans de la colonisation belge au Congo

Lors de la cérémonie de passation de pouvoir pour l’indépendance qui se déroula le 30 juin 1960 à Léopoldville (actuelle Kinshasa), le Roi Baudouin, paré de sa tenue d’apparat militaire coloniale blanche, présenta la version officielle de l’histoire du Congo belge :


« L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'œuvre conçue par le génie (sic) du roi Léopold II. Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d'abord pour délivrer le bassin du Congo de l'odieux trafic esclavagiste; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies, jadis ennemies. Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd'hui son couronnement, il ne s'est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur (…)


Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux. N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils (…)

C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance (…) ».


Cette vision mensongère et paternaliste niait les millions de morts provoqués par la brutale colonisation organisée par Léopold II à la fin du 19ème siècle, pour des raisons économiques qui n’avaient rien d’humanitaire. Elle niait la répression féroce qui s’était abattue contre ceux qui résistaient aux colonisateurs. Choqué par l’arrogance de Baudouin, Lumumba répondit quelques minutes plus tard par un discours improvisé qui ne faisait que retranscrire la réalité évidente, mais qui allait le faire haïr par la bourgeoisie et par tous les réactionnaires belges.


« Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste ; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers.


Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des "nègres". Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu'il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillottes croulantes pour les Noirs. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d'injustice, d'oppression et d'exploitation ?


Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l'oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut : tout cela est désormais fini ».

 

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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 09:26
PORTRAIT

Daniel Bensaïd, 63 ans, philosophe. Soixante-huitard sentimental, tête pensante de la Ligue communiste révolutionnaire puis du NPA est décédé ce matin. Il avait conservé sa foi de moine-soldat anticapitaliste.


Par EMMANUEL PONCET - Libération


Le philosophe Daniel Bensaïd (ici en 2008), l'un des intellectuels de la LCR et du NPA, est


Le philosophe Daniel Bensaïd (ici en 2008), l'un des intellectuels de la LCR et du NPA, est décédé mardi matin. (AFP / MIGUEL MEDINA)

Le philosophe Daniel Bensaïd, théoricien de l'ex-LCR et du Nouveau Parti Anticipaliste, est décédé à Paris mardi matin, des suites d'une longue maladie. Nous republions ci-dessous un portrait de lui, datant d'avril 2004.


Et si la chasse aux soixante-huitards se calmait provisoirement ? Ils ont tout sapé, tout gagné, tout occupé. Rien laissé, rien lâché, rien transmis aux générations suivantes, a-t-on beaucoup écrit. Mais, depuis le frémissement éditorial et historiographique (entre autres Edwy Plenel, Benjamin Stora, en ce moment Bernard Kouchner et Cohn-Bendit) consécutif aux non-dits de jeunesse de Lionel Jospin, le procès récurrent fait à la disparate cohorte 68 prend un tour moins hargneux. Peut-être plus juste. Du genre : «Regardez, ils deviennent presque modestes en se racontant.»


Ou, plus psy : le soixante-huitard, comme tous les pères putatifs est, selon une formule consacrée, celui qui ne répond pas aux questions qu'on ne lui pose pas. Justement, Daniel Bensaïd répond aux questions. Simplement. Il dit des trucs bêtes et explicites comme : «Il ne faut pas oublier que nous étions la première génération médiatisée. Sur les barricades, certains négociaient déjà les photos à Paris Match.»


Ce n'était certainement pas lui. Personne ou presque ne connaît ce philosophe. Maître de conférences à Paris-VIII. Globe-trotter militant. Eminence grisonnante à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Il fait pourtant de régulières et prolifiques apparitions éditoriales depuis 1995. Il court les réunions politiques et les forums sociaux de Narbonne à Porto Alegre. Voix féminine, accentuée Sud-Ouest. Corps frêle, visage émacié, santé très fragile. Il se meut aussi discrètement dans l'espace que ses ex-congénères l'occupaient (l'espace).


Longtemps tribun séducteur, il ne manie plus la faconde charismatique des leaders médiamythiques de 1968. Il se pose un peu coquettement comme la figure inversée du séducteur libéral-libertaire. Il s'insurge contre les visions autosatisfaites de 68 comme celle d'Henri Weber («la génération de 68 n'a pas trop lieu de clamer sa douleur»). Mais ni contrition reniante genre Jospin, ni récit épique façon Génération, le style Bensaïd, c'est surtout de raconter sereinement les «z'événements», au café, comme s'ils allaient naturellement se remettre à leur juste place historique.


«On a beaucoup exagéré 68, dit-il, parce que nous étions en manque. En manque d'événements fondateurs. Nous voulions rejouer l'Affiche rouge.» Sous la modestie, on croise quand même un joli Who's Who médiatico-mondain de gauche.


Lorsqu'il effectue son stage de Capes de philosophie au lycée Jean-Baptiste-Say, à Paris, en 1970, il croise un jeune agitateur nommé Michel Field. Plus tard, au lycée La Fontaine, sa costagiaire s'appelle Sylviane Agacinski, future femme de Jospin.


A l'Ecole normale d'Auteuil, c'est le jeune rocardien prometteur Patrick Viveret. Du beau linge d'époque, auquel s'ajoute la longue liste du staff de Rouge, fameux journal de la Ligue et vivier de médiastars à venir : Edwy Plenel, futur directeur de la rédaction du Monde ; Dominique Pouchin, ex-directeur adjoint de la rédaction de Libération ; Bernard Guetta, chroniqueur à France Inter ; Hervé Chabalier, PDG de Capa ; etc., etc.


Le plus drôle des années Rouge reste la rencontre avec Jean-Luc Godard. Il vient lui demander un soutien financier comme à Jean-Paul Sartre, Michel Piccoli ou Delphine Seyrig avant lui. «Le réalisateur du Mépris et de Pierrot le Fou m'intimidait [...], écrit-il, il déclara abruptement que le mouvement d'une caméra était comme une caresse autour de l'image, alors que le geste mécanique du journaliste qui ramène brutalement à la ligne le chariot de son Underwood ou de sa Remington était celui que l'on fait pour gifler un enfant. Il n'y avait rien à ajouter.»

L'air de rien, ce discret name dropping dessine les contours d'une génération intello-médiatique qu'il feint d'avoir observé de loin. Une distance ambiguë que l'on retrouve dans son amitié contrariée avec Edwy Plenel. Ils se sont tant aimés. C'est Plenel qui le pousse à écrire aux alentours de 1988. C'est la femme de Plenel, Nicole Lapierre, qui l'édite aujourd'hui (1). Mais entre-temps l'amitié entre les deux hommes s'est manifestement distendue.

«Edwy a toujours eu la passion du journalisme. Mais la logique impersonnelle de la production médiatique est dévorante. Entre nos visions du monde, la distance s'est creusée. Pour autant, Edwy n'est pas devenu cynique», assure-t-il.

Bensaïd est décidément plus au calme dans son habit de moine soldat du trotskisme parcourant le monde. Il fait figure à la Ligue communiste de sage tutélaire qu'on consulte mais qui met aussi les mains dans le cambouis. Il s'est d'abord opposé au casting Besancenot. «J'avais peur qu'on échoue lors du recueil de signatures, comme en 1981 et 1988 avec Alain Krivine.» Peur du côté virginal et anonyme du jeune postier. Aujourd'hui, il semble ravi, malgré les piètres résultats des européennes

«Olivier a levé l'hypothèque d'une génération encombrante». Parfois, il prend un verre avec cet étrange héritier du trotskisme aimant Zebda, très demandeur de collectif «alors que nous étions des francs-tireurs». Il lui téléphone pour corriger certaines prestations télévisées. «Un jour, il avait dit que La Poste n'avait pas pour but d'être rentable. Je lui ai dit de trouver une autre formule moins choquante.»

Un autre membre de la Ligue, Philippe Corcuff, politologue à Lyon-II, le définit comme «un authentique intellectuel organique», ne dissociant jamais la théorie de la pratique. «Philosophe rustique», corrige une note un peu méprisante de la fondation Saint-Simon. «Moléculaire plutôt», conclut Bensaïd qui dit être tombé dans le communisme comme dans un bain chimique. Sa mère, surtout, chez qui «on chantait rouge». Ouvrière modiste, elle est pétrie de lectures sentimentales hugoliennes. Son père, juif et boxeur lit plutôt l'Equipe.

Il pleure parfois, devant Autant en emporte le vent. Après Oran, la famille s'installe près de Toulouse. Enfance dans le Bar des Amis, le café familial sur la route de Narbonne. Observatoire sociologique précieux. Tapis de cartes Cinzano. Le «rejeton du bistrot» côtoie charnellement les ouvriers et réfugiés politiques espagnols. Vaccination à vie contre les mythologies prolétariennes. Au comptoir, Pierrot, le résistant communiste flingueur conduit gratis son patron le dimanche au champ de courses. Sensible au «mépris social», il n'a pas signé la pétition pro-intelligence des Inrockuptibles. En 1960, la mort précoce de son père le plonge dans une «méditation morbide» qui lui épargne, affirme-t-il, «les conflits de l'adolescence».

La mère reprend péniblement le café. Elle sera contrainte de faire des ménages pour assurer son minimum retraite. Lui entre dans le tourbillon parisien, étudiant et militant en 1966. Il rencontre sa femme, Sophie, avec laquelle il vit toujours, dans le XIe arrondissement de Paris. Et tous les acteurs de sa génération. Second rôle sensible, antihéros récurrent, il ne veut crânement pas sortir de l'utopie. Sa vision du monde reste clairement partagée. Certains diraient rigide. «Il y a un désir de ne pas se rendre, c'est sûr...», confesse-t-il. Mais,«Entre ceux qui prennent des coups sur la gueule et ceux qui en donnent, la frontière est tout de même facile à définir, non ?».

(1) Une lente impatience, Stock.

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PS : Je me souviens de Daniel ,assistant dans les années 70, aux réunions du Comité rouge ORTF , artistes, comédiens, réalisateurs et techniciens du cinéma...un intello pédagogue et très chaleureux.Nous allions ensuite, lui et sa "vache" prendre un dernier verre du côté de République...

Adieu Bensa !

Jema


Mort de notre camarade Daniel Bensaïd

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Gravement malade depuis plusieurs mois, notre camarade Daniel Bensaïd est décédé ce matin.
Militant révolutionnaire depuis l’adolescence, il avait été l’un des fondateurs de la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire) en 1966 puis l’un des animateurs du Mouvement du 22 Mars et l’un des acteurs du mouvement de Mai 68 avant de participer à la création de la Ligue Communiste, en avril 1969.
Daniel Bensaïd a été longtemps membre de la direction de la LCR. Engagé dans tous les combats internationalistes, il a aussi été l’un des principaux dirigeants de la Quatrième Internationale. Il avait activement participé à la création du NPA.
Philosophe, enseignant à l’Université de Paris VIII, il a publié de très nombreux ouvrages de philosophie ou de débat politique, animé les revues Critique Communiste et ContreTemps, participé activement à la création de à la Fondation Louise Michel et mené sans concession le combat des idées, inspiré par la défense d’un marxisme ouvert, non dogmatique.
Les obsèques se dérouleront dans l'intimité.

Le NPA organisera une soirée d’hommage militant le samedi 23 janvier prochain à Paris.

Cet après midi mardi 12 janvier à 15h et demain mercredi 13 à la même heure, Daniel Mermet rediffuse son émission "Là bas si j'y suis" consacrée à Daniel Bensaïd autour de son ouvrage "La lente impatience".


NPA - Montreuil, le 12 janvier 2010

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Puissances du communisme (par Daniel Bensaïd)

En meeting pendant les européennes avec Laurence De Bouard

Ce texte, probablement un des derniers que Daniel ait écrit, fait partie du dossier du dernier numéro de la revue Contretemps dont il était un des 3 directeurs de publication, consacré à la question du communisme ("De quoi le communisme est il le nom ?") en lien avec le colloque du même nom organisé les 22 et 23 janvier à l'université de Paris 8, colloque auquel Daniel tenait beaucoup....et auquel nous vous convions...


Dans un article de 1843 sur« les progrès de la réforme sociale sur le continent », le jeune Engels (tout juste vingt ans) voyait le communisme comme « une conclusion nécessaire que l'on est bien obligé de tirer à partir des conditions générales de la civilisation moderne ». Un communisme logique en somme, produit de la révolution de 1830, où les ouvriers «retournèrent aux sources vives et à l'étude de la grande révolution et s'emparèrent vivement du communisme de Babeuf ».


Pour le jeune Marx, en revanche, ce communisme n'était encore qu'« une abstraction dogmatique », une «manifestation originale du principe de l'humanisme ». Le prolétariat naissant s'était« jeté dans les bras des doctrinaires de son émancipation », des «sectes socialistes », et des esprits confus qui «divaguent en humanistes» sur « le millenium de la fraternité universelle» comme «abolition imaginaire des rapports de classe ». Avant 1848, ce communisme spectral, sans programme précis, hantait donc l'air du temps sous les formes « mal dégrossies» de sectes égalitaires ou de rêveries icariennes.


Déjà, le dépassement de l'athéisme abstrait impliquait pourtant un nouveau matérialisme social qui n'était autre que le communisme: « De même que l'athéisme, en tant que négation de Dieu, est le développement de l'humanisme théorique, de même le communisme, en tant que négation de la propriété privée, est la revendication de la vie humaine véritable. » Loin de tout anticléricalisme vulgaire, ce communisme était« le développement d'un humanisme pratique », pour lequel il ne s'agissait plus seulement de combattre l'aliénation religieuse, mais l'aliénation et la misère sociales réelles d'où naît le besoin de religion.


De l'expérience fondatrice de 1848 à celle de la Commune, le «mouvement réel» tendant à abolir l'ordre établi prit forme et force, dissipant les «marottes sectaires» et tournant en ridicule «le ton d'oracle de l'infaillibilité scientifique ». Autrement dit, le communisme, qui fut d'abord un état d'esprit ou «un communisme philosophique », trouvait sa forme politique. En un quart de siècle, il accomplit sa mue: de ses modes d'apparition philosophiques et utopiques, à la forme politique enfin trouvée de l'émancipation.


1.Les mots de l'émancipation ne sont pas sortis indemnes des tourments du siècle passé. On peut en dire, comme des animaux de la fable, qu'ils n'en sont pas tous morts, mais que tous ont été gravement frappés. Socialisme, révolution, anarchie même, ne se portent guère mieux que communisme. Le socialisme a trempé dans l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, dans les guerres coloniales et les collaborations gouvernementales au point de perdre tout contenu à mesure qu'il gagnait en extension.


Une campagne idéologique méthodique est parvenue à identifier aux yeux de beaucoup la révolution à la violence et à la terreur. Mais, de tous les mots hier porteurs de grandes promesses et de rêves vers l'avant, celui de communisme a subi le plus de dommages du fait de sa capture par la raison bureaucratique d'Etat et de son asservissement à une entreprise totalitaire. La question reste cependant de savoir si, de tous ces mots blessés, il en est qui valent la peine d'être réparés et remis en mouvement.


2. Il est nécessaire pour cela de penser ce qu'il est advenu du communisme au xx· siècle. Le mot et la chose ne sauraient rester hors du temps et des épreuves historiques auxquelles ils ont été soumis. L'usage massif du titre communiste pour désigner l'Etat libéral autoritaire chinois pèsera longtemps beaucoup plus lourd, aux yeux du plus grand nombre, que les fragiles repousses théoriques et expérimentales d'une hypothèse communiste. La tentation de se soustraire à un inventaire historique critique conduirait à réduire l'idée communiste à des « invariants» atemporels, à en faire un synonyme des idées indéterminées de justice ou d'émancipation, et non la forme spécifique de l'émancipation à l'époque de la domination capitaliste. Le mot perd alors en précision politique ce qu'il gagne en extension éthique ou philosophique.


Une des questions cruciales est de savoir si le despotisme bureaucratique est la continuation légitime de la révolution d'Octobre ou le fruit d'une contre-révolution bureaucratique, attestée non seulement par les procès, les purges, les déportations massives, mais par les bouleversements des années trente dans la société et dans l'appareil d'Etat soviétique.


3. On n'invente pas un nouveau lexique par décret. Le vocabulaire se forme dans la durée, à travers usages et expériences. Céder à l'identification du communisme avec la dictature totalitaire stalinienne, ce serait capituler devant les vainqueurs provisoires, confondre la révolution et la contrerévolution bureaucratique, et forclore ainsi le chapitre des bifurcations seul ouvert à l'espérance. Et ce serait commettre une irréparable injustice envers les vaincus, tous ceux et celles, anonymes ou non, qui ont vécu passionnément l'idée communiste et qui l'ont fait vivre contre ses caricatures et ses contrefaçons. Honte à ceux qui cessèrent d'être communistes en cessant d'être staliniens et qui ne furent communistes qu'aussi longtemps qu'ils furent staliniens !


4. De toutes les façons de nommer «l'autre », nécessaire et possible, de l'immonde capitalisme, le mot communisme est celui qui conserve le plus de sens historique et de charge programmatique explosive. C'est celui qui évoque le mieux le commun du partage et de l'égalité, la mise en commun du pouvoir, la solidarité opposable au calcul égoïste et à la concurrence généralisée, la défense des biens communs de l'humanité, naturels et culturels, l'extension d'un domaine de gratuité (démarchandisation) des services aux biens de première nécessité, contre la prédation généralisée et la privatisation du monde.


5. C'est aussi le nom d'une autre mesure de la richesse sociale que celle de la loi de la valeur et de l'évaluation marchande. la concurrence «libre et non faussée» repose sur «le vol du temps de travail d'autrui». Elle prétend quantifier l'inquantifiable et réduire à sa misérable commune mesure par le temps de travail abstrait l'incommensurable rapport de l'espèce humaine aux conditions naturelles de sa reproduction. Le communisme est le nom d'un autre critère de richesse, d'un développement écologique qualitativement différent de la course quantitative à la croissance. La logique de l'accumulation du capital exige non seulement la production pour le profit, et non pour les besoins sociaux, mais aussi « la production de nouvelle consommation », l'élargissement constant du cercle de la consommation « par la création de nouveaux besoins et par la création de nouvelles valeurs d'usage» : d'où «l'exploitation de la nature entière» et «l'exploitation de la terre en tous sens». Cette demesure dévastatrice du capital fonde l'actualite d'un éco-communisme radical.


6. La question du communisme, c'est d'abord, dans le Manifeste communiste, celle de la propriété: « Les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique: suppression de la propriété privée» des moyens de production et d'échange, à ne pas confondre avec la propriété individuelle des biens d'usage. Dans «tous les mouvements », ils « mettent en avant la question de la propriété, à quelque degré d' évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement». Sur les dix points qui concluent le premier chapitre, sept concernent en effet les formes de propriété: l'expropriation de la propriété foncière et l'affectation de la rente foncière aux dépenses de l'Etat; l'instauration d'une fiscalité fortement progressive; la suppression de l'héritage des moyens de production et d'échange; la confiscation des biens des émigrés rebelles; la centralisation du crédit dans une banque publique; la socialisation des moyens de transport et la mise en place d'une éducation pu,blique et gratuite pour tous; la création de manufactures nationales et le défrichage des terres incultes.


Ces mesures tendent toutes à établir le contrôle de la démocratie politique sur l'économie, le primat du bien commun sur l'intérêt égoïste, de l'espace public sur l'espace privé. Il ne s'agit pas d'abolir toute forme de propriété, mais « la propriété privée d'aujourd'hui, la propriété bourgeoise », « le mode d'appropriation» fondé sur l'exploitation des uns par les autres.


7. Entre deux droits, celui des propriétaires à s'approprier les biens

communs, et celui des dépossédés à l'existence, «c'est la force qui tranche », dit Marx. Toute l'histoire moderne de la lutte des classes, de la guerre des paysans en Allemagne aux révolutions sociales du siècle dernier, en passant par les révolutions anglaise et française, est l'histoire de ce conflit. Il se résout par l'émergence d'une légitimité opposable à la légalité des dominants.


Comme «forme politique enfin trouvée de l'émancipation », comme «abolition» du pouvoir d'Etat, comme accomplissement de la République sociale, la Commune illustre l'émergence de cette légitimité nouvelle. Son expérience a inspiré les formes d'auto-organisation et d'autogestion populaires apparues dans les crises révolutionnaires: conseils ouvriers, soviets, comités de milices, cordons industriels, associations de voisins, communes agraires, qui tendent à déprofessionaliser la politique, à modifier la division sociale du travail, à créer les conditions du dépérissement de l'Etat en tant que corps bureaucratique séparé.


8. Sous le règne du capital, tout progrès apparent a sa contrepartie de régression et de destruction. Il ne consiste in fine «qu'à changer la forme de l'asservissement ». Le communisme exige une autre idée et d'autres critères que ceux du rendement et de la rentabilité monétaire. A commencer par la réduction drastique du temps de travail contraint et le changement de la notion même de travail: il ne saurait y avoir d'épanouissement individuel dans le loisir ou le «temps libre» aussi longtemps que le travailleur reste aliéné et mutilé au travail. La perspective communiste exige aussi un changement radical du rapport entre l'homme et la femme : l'expérience du rapport entre les genres est la première expérience de l'altérité, et aussi longtemps que subsistera ce rapport d'oppression; tout être différent, par sa culture, sa couleur, ou son orientation sexuelle, sera victime de formes de discrimination et de domination. Le progrès authentique réside enfin dans le développement et la différenciation de besoins dont la combinaison originale fasse de chacun et chacune un être unique, dont la singularité contribue à l'enrichissement de l'espèce.


9. Le Manifeste conçoit le communisme comme «une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Il apparaît ainsi comme la maxime d'un libre épanouissement individuel qu'on ne saurait confondre, ni avec les mirages d'un individualisme sans individualité soumis au conformisme publicitaire, ni avec l'égalitarisme grossier d'un socialisme de caserne. Le développement des besoins et des capacités singuliers de chacun et de chacune contribue au développement universel de l'espèce humaine. Réciproquement, le libre développement de chacun et de chacune implique le libre développement de tous, car l'émancipation n'est pas un plaisir solitaire.


10. Le communisme n'est pas une idée pure, ni un modèle doctrinaire de société. Il n'est pas le nom d'un régime étatique, ni celui d'un nouveau mode de production. Il est celui du mouvement qui, en permanence, dépasse/supprime l'ordre établi. Mais il est aussi le but qui, surgi de ce mouvement, l'oriente et permet, à l'encontre des politiques sans principe, des actions sans suites, des improvisations au jour le jour, de déterminer ce qui rapproche du but et ce qui en éloigne. A ce titre, il est, non pas une connaissance scientifique du but et du chemin, mais une hypothèse stratégique régulatrice. Il nomme, indissociablement, le rêve irréductible d'un autre monde de justice, d'égalité et de solidarité; le mouvement permanent qui vise à renverser l'ordre existant à l'époque du capitalisme; et l'hypothèse qui oriente ce mouvement vers un changement radical des rapports de propriété et de pouvoir, à distance des accommodements avec un moindre mal qui serait le plus court chemin vers le pire.


11. La crise, sociale, économique, écologique, et morale d'un capitalisme qui ne repousse plus ses propres limites qu'au prix d'une démesure et d'une déraison croissantes, menaçant à la fois l'espèce et la planète, remet à l'ordre du jour «l'actualité d'un communisme radical» qu'invoqua Benjamin face la montée des périls de l'entre-deux guerres.

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