« Vaincre la crise par la solidarité » ! Sur quel programme d’urgence?
|
Par Denis Horman le
Mercredi, 13 Janvier 2010
|
|
|
|
Note du blogueur:
Ces débats en Belgique sont d'actualité ici aussi. La FGTB, d'orientation "socialiste" est le grand syndicat de la classe ouvrière wallonne (francophone),
tandis que les travailleurs flamands (néerlandophones) sont plutôt dans un syndicat chrétien. La division syndicale n'est donc pas comme chez nous entre CGT, CFDT, FO, FSU et SUD, mais
communautariste. La FGTB garde par certaines prises de position un côté "CGT années 70" bien sympatique.
Le 16 novembre 2009, la FGTB liégeoise organisait un congrès exceptionnel sur base d’un document de travail « vaincre la crise par la
solidarité ». Une initiative pour lancer la réflexion, le débat sur des alternatives à la crise, dans le cadre de la préparation des congrès que la FGTB wallonne et nationale tiendront
respectivement fin mai et début juin 2010.
Vu l’enjeu de ces congrès dans le contexte d’une profonde crise du système capitaliste et ses conséquences dramatiques (chômage, licenciements, emplois précaires,
démantèlement des services publics, privatisations, blocage des salaires…), la LCR se veut partie prenante de ce débat dans une démarche critique et constructive. Quelques réflexions et
positionnements critiques sur ce document de la FGTB Liégeoise.
Quel programme d’urgence, quelles alternatives ?
Redistribution des richesses
Il faut redistribuer les richesses, souligne et développe le document ! Bien d’accord. L’argent existe (explosion des profits des grandes entreprises, de dividendes
aux actionnaires, des revenus financiers, des placements dans les paradis fiscaux…). Il faut donc le prendre là où il est. Cette redistribution peut se fait de deux manières : l’augmentation de
salaires par la « modération » actionnariale et la justice fiscale.
Le document pointe la « dérive salariale » (chèques-repas, éco-chèques, primes non intégrées dans les salaires…), en mettant l’accent sur des augmentations du
salaire brut (base sur laquelle sont calculés les revenus de remplacement). Mais il est plus que discret sur l’urgence d’une telle revendication, se gardant bien de chiffrer ce que devrait être
une augmentation décente du salaire minimum interprofessionnel, de tous les salaires ou encore des allocations sociales.
Le document se prononce pour une fiscalité plus juste par une progressivité de l’impôt des ménages (les plus hauts revenus) et des sociétés (sans en préciser
l’indice), par un impôt sur les grosses fortunes (en renvoyant au niveau européen, à défaut d’une application au niveau national, « l’idée d’une fiscalité harmonisée des plus gros
patrimoines).
La FGTB liégeoise, à l’instar des directions syndicales nationales, se prononce pour la levée du secret bancaire fiscal, préalable pour établir un cadastre des
fortunes et lutter contre la fraude fiscale. C’est le parlement qui doit concrétiser cet objectif, par le vote d’une loi. Une proposition de loi a été déposée par le Parti socialiste (Alain
Mathot PS et Dirk Vander Maelen Spa). Mais elle vise seulement l’assouplissement des conditions de levée du secret bancaire –ce qui existe déjà de fait-. Alors, qu’attend la FGTB pour exiger la
levée totale du secret bancaire ?
Cadeaux au patronat, création d’emplois et réduction du temps de travail
Le document en fait le constat : les réductions de cotisations patronales à la sécurité sociale (7 milliards d’euros par an), de même que les réductions d’impôt de
sociétés via par exemple les intérêts notionnels (quelque 4 milliards d’euros en 2007) « ne sont aucunement liées à la réalisation d’objectifs en terme d’accroissement d’emplois.
Il s’agit donc de cadeaux aux bénéfices des seules entreprises, souvent au travers de leurs actionnaires ».
Ceci dit, le document propose d’octroyer les réductions de cotisations et les aides à l’investissement privé dans les entreprises proportionnellement à la réduction
du temps de travail et l’embauche compensatoire. Ainsi, cette RTT se ferait « sans qu’elle ne coûte à l’entreprise ni par une perte de revenu pour les travailleur ».
Mais la question mérite d’être posée : qui doit payer cette RTT ? La collectivité (via les finances publiques) ou les multinationales qui font des profits
substantiels et accordent à leurs actionnaires des dividendes toujours aussi plantureux malgré la crise ?
La reconquête de services publics
Dans son document, la FGTB Liège-Huy-Waremme déclare : « toutes les missions de services publics doivent rester –ou redevenir- un monopole de droit public »,
mettant même l’accent sur la logique et les conséquences des privatisations (rentabilité financière et l’impératif du profit avant tout, augmentation des prix, dumping social…).
Mais pas de position de principe claire : « stop aux privatisations », ni d’appel au mouvement syndical à engager une lutte contre les privatisations, par exemple,
pour un retour à « une Poste 100% publique ».
Le document se prononce pour des « partenariats public-public (en opposition à des partenariats public-privé) », pour une entreprise publique d’isolation des
bâtiments ou encore une banque publique régionale. Mais, en même temps, tout en déplorant que les organisations syndicales soient tenues à l’écart des pôles de compétitivité, le document soutient
la démarche du plan Marshall et de la « Caisse d’investissement de Wallonie », qui apportent un précieux soutien aux investisseurs privés.
Enfin, tout en mettant en lumière « le rôle nocif de ces trous noirs de la finances qu’il faut désormais éradiquer », le document se garde bien de lancer le débat
sur la nationalisation intégrale de tout le secteur financier, seule voie permettant de la contrôler réellement, d’empêcher la spéculation casino avec l’épargne et d’orienter le crédit vers la
création de services et d’emplois socialement et écologiquement utiles.
L’indispensable rapport de force
C’est une question centrale dans les débats au sein du mouvement syndical. La FGTB Lièg-Huy-Waremme avance trois pistes sur lesquelles nous reviendrons : «
l’indispensable contrôle ouvrier (un des points forts du document), « une action interprofessionnelle forte et efficace », le syndicalisme international, avec « des pratiques de combat
européennes », surtout au niveau des multinationales.
Une dimension absente dans le document en ce qui concerne la (re)construction de rapports de force : la volonté et décision politique. Le document souligne « la
perte de légitimité du monde politique », « le manque de volonté politique ». Sans plus !
Dans sa déclaration générale « Dénoncer le capitalisme ensemble », la FGT B wallonne ouvre une piste stratégique à expliciter et débattre : « En l’absence d’une
réponse radicale de la gauche gouvernementale, les acteurs individuels, associatifs, syndicaux, publics doivent se fédérer pour construire d’autres mondes possibles (…). La reconquête des idées
exige de l’audace, une volonté politique mais aussi un rapport de force…et donc une indispensable convergence à gauche des expertises de chacun ».
« Nous sommes tiraillés entre l’idéologie et le réalisme »
Interview de Jean-François Ramquet, secrétaire de la régionale FGTB Liège-Huy-Waremme
La Gauche : le document préparatoire au congrès extraordinaire « vaincre la crise par la solidarité pointe le
capitalisme et son porte-voix, le libéralisme, comme les responsables de la crise financière et économique que nous vivons. Que signifie et qu’implique, pour vous et la FGTB de Liège-Huy-Waremme,
cette prise de position ?
Jean-François Ramquet : Notre idéologie, c’est le socialisme et des valeurs socialistes actualisées. Pointer
le libéralisme- le laisser-faire- et le capitalisme-la maximisation du profit pour une petite minorité-, refuser ce système, c’est pour nous le point de départ pour élaborer des alternatives, des
positions fortes en terme de reconquête des services publics, de redistribution des richesses, de politique industrielle publique, de préservation de l’emploi, de sécurité sociale,
etc.
C’est aussi le point de départ pour reconstruire des rapports de force et retisser les solidarités. Ce n’est pas un hasard non plus si la FGTB wallonne a
réintroduit le rejet du capitalisme dans la campagne qu’elle a commencé sur le thème « le capitalisme nuit gravement à la santé ». Cette démarche « idéologique » a surtout un écho auprès de la «
vieille génération « de délégué/e/s (pré)pensionnée, pas suffisamment auprès de la jeune génération de militants et délégués syndicaux.
La Gauche : le document de la FGTB avance une série d’alternatives, en commençant par ce qu’il appelle « la reconquête
des services publics ». Il rappelle que » toutes les missions de services publics doivent rester ou redevenir un monopole de droit public ». N’est-ce pas une simple déclaration de bonnes
intentions par rapport à la « libéralisation » vers la privatisation totale de services publics, comme la Poste, la SNCB, etc. où on n’a pas vu de grandes mobilisations syndicales pour empêcher
ces privatisations ?
Jean-françois Ramquet : le document sur les alternatives veut réaffirmer des valeurs, des principes comme «
pas de démantèlement de services publics ». Mais, dans l’action syndicale sur le terrain, il faut faire preuve de réalisme, ce qui n’est pas la même chose que le pragmatisme.
Par exemple, au niveau postal, face à la tentative de la direction de la Poste de mettre en place des facteurs de quartier avec un salaire dérisoire et une
flexibilité totale dans le travail, nous avons mené l’une ou l’autre action qui a obligé la direction à renégocier en commission paritaire.
Et nous n’en resterons pas là. Mais nous ne nions pas la difficulté de mobiliser et de créer u n rapport de force suffisant. Difficulté résultant de ce que vivent
concrètement les travailleurs : la précarité de l’emploi, des structures de travail éclatées, l’enchaînement au crédit, le matraquage des medias, etc.
La Gauche : En ce qui concerne la relance économique de la Wallonnie, le document souligne certains mérites du plan
Marshall, tout en insistant sur des partenariats « public-public » en opposition à des partenariats public-privé. Mais le plan Marshall n’est-il pas en grande partie un soutien aux investisseurs
privés ? En quoi la proposition d’une banque publique régionale proposée par le document se distingue-t-elle de la mise en place par l’exécutif régional wallon de la « Caisse d’épargne et
d’investissement wallonne » ?
Jean-françois Ramquet : le mérite du Plan Marshall a été de réintroduire un véritable plan de relance
industrielle en Wallonie. Et la Caisse d’épargne et d’investissement y contribue.
Cependant notre proposition de banque publique régionale va plus loin. Elle se situe hors champ de l’économie libérale privée. L’épargne récoltée doit servir
prioritairement aux investissements publics, y compris le secteur associatif et socioculturel. Ce qui n’exclut pas un soutien intelligent des entreprises, mais avec des garanties claires en
termes de création d’emplois. La mise en place de cette banque doit s’accompagner d’un comité de surveillance, attentif à ce que l’argent des citoyens soit bien investi dans le développement
local et social.
La Gauche : la nationalisation sous contrôle syndical du secteur financier ne serait-elle pas une voie plus réaliste
pour contrôler le secteur, empêcher la spéculation casino avec l’épargne et orienter précisément le crédit vers la création de services et d’emplois socialement et écologiquement utiles
?
Jean-François Ramquet : Sur le plan intellectuel, on peut être d’accord avec cette revendication. Mais
compte-tenu des rapports de force, ce n’est pas réalisable. Par contre, notre proposition d’une banque publique régionale peut être une alternative concrète, réalisable, qui peut marcher
parallèlement au secteur financier privé et qui de par son fonctionnement démocratique et transparent et sa fonction sociale, jetterait un éclairage sur le fonctionnement spéculatif et prédateur
du secteur financier privé. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre revendication ne passera pas comme une lettre à la poste, parce que c’est une vraie alternative crédible et
efficace.
La Gauche : On connaît déjà les prévisions catastrophiques pour cette année en ce qui concerne les licenciements, les
pertes d’emploi, le chômage. La FGTB Liège–Huy-Waremme reprend dans son document la proposition qu’avait avancée l’ancien secrétaire de la FGTB de Liège, Thierry Bodson, aujourd’hui secrétaire de
la FGTB wallonne : la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire , mais sans que « cela ne coûte à l’entreprise ni qu’elle entraîne une perte de
revenus pour le travailleur ».
La solution avancée par la FGTB est d’octroyer aux employeurs des réductions de cotisations sociales patronales proportionnellement à la diminution de la
durée du travail dans l’entreprise et au nombre d’embauches compensatoires réalisées. Et, dans ce cadre, la réduction du temps de travail resterait incitative et non obligatoire. La question est
posée : qui doit payer la réduction du temps de travail ? Est-ce à la collectivité ou au patronat ? Toute une série de multinationales se portent bien. Les dividendes aux actionnaires n’ont fait
qu’augmenter ces dernières années. Pourquoi ne pas exiger que le patronat dans son ensemble, via un fonds patronal mutualisé, finance cette réduction du temps de travail ?
Jean-François Ramquet : de nouveau, nous sommes ici tiraillés entre l’idéologie et le réalisme. Il nous faut
avancer une alternative qui peut être appliquée, montrer que c’est possible au lieu de dire « il n’y a qu’à ». Les rapports de force au niveau national et face aux multinationales, y compris les
niveaux différents de combativité au niveau syndical sont tels qu’il est illusoire de croire qu’on pourrait imposer une telle revendication. Au moins que la réduction de cotisations sociales
patronale serve, sous le contrôle des organisations syndicales, à diminuer le temps de travail dans les entreprises où cela peut se faire et à ouvrir l’embauche.
La Gauche : Quelle suite comptez-vous donner à ce congrès extraordinaire « vaincre la crise par la solidarité »
?
Jean-François Ramquet : le document présenté au congrès est le fruit d’un travail collectif qui s’est étalé
sur 6 à 8 mois avec les centrales professionnelles, les groupes spécifiques. Nous allons maintenant réaliser tout un travail pédagogique, d’éducation permanente avec des fiches sur les
alternatives avancées dans le document, avec un maximum de rencontres, de débats dans les entreprises et à l’invitation d’acteurs sociaux.
La FGTB nationale prépare un congrès début juin 2010 qui sera précédé de congrès de régionales, de centrales et de la FGTB wallonne. Les thèmes que nous avons
abordés à notre congrès de novembre 2009 seront au centre de ces congrès. Nous comptons bien en tant que régionale FGTB de Liège jouer pleinement notre rôle en préparant une série de
motions.
Propos recueillis par Denis Horman