Les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) avaient pris la suite des Ecoles Normales pour former spécifiquement les professeurs d'écoles et de l'enseignement secondaire. A leur place, dès la rentrée prochaine, les formations seront assurées à la fac.
Elles prépareront les étudiants aux matières à transmettre, beaucoup moins à la transmission elle-même, à la pédagogie. Hostile à cette évolution, le mouvement des enseignants des IUFM ne faiblit guère.
Mais ne forcit pas non plus, n'emporte pas l'opinion. A cause d'enjeux mal compris, mal expliqués ? Ou d'une formation mal connue depuis la disparition des Ecoles Normales ?
La conférence des directeurs d'IUFM se mobilise à son tour et une journée était organisée ce lundi partout en France (lire). A Lyon, portes ouvertes en cours. Et sur LibéLyon, petit cours de rattrapage en compagnie d'enseignants de l'IUFM de Lyon, pour ceux qui ne se seraient pas encore intéressés à ce mouvement important pour l'avenir de l'éducation. Ou pour ceux qui n'en comprendraient pas les enjeux...
Quelle formation actuellement ?
Pour l'instant, les professeurs postulants sont recrutés à la sortie de leur licence (bac + 3), puis une première année les prépare au concours. Ils y
acquièrent les savoirs disciplinaires généralistes allant de la maternelle au CM2, tout en suivant des stages d'observation, puis de pratique accompagnée.
A ce stade, ils se préparent déjà à leur métier, mais n'ont pas de responsabilité de classe. Puis au terme de cette première année, s'ils réussissent leur concours, ils suivent la deuxième année, en alternance cette fois. Deux tiers du temps à l'IUFM, un tiers en stage, où ils sont suivis, inspectés, conseillés par des collègues, des directeurs d"établissements, des universitaires. Cette deuxième année est payée. Elle comptera pour leur retraite. Ils sont déjà fonctionnaires, achèvent de se former complètement, de se préparer à enseigner, sans avoir à gagner leur vie.
Quelle formation demain ?
A partir de la rentrée, les enseignants, qu'ils se préparent au Capes ou à devenir professeurs des écoles, ne mettront plus les pieds dans des Instituts
spécialisés. Ils seront formés à la fac, avec des étudiants qui préparant d'autres métiers liés à l'enseignement. Ils intègreront des filières de master 1 (première année après la licence).
Mais ils y accèderont sans filtre, alors que les IUFM observent une sorte de numerus clausus, évitant de former beaucoup plus d'enseignants qu'il n'en faut.
Au début de cette première année année de master, les étudiants passeront, le 15 septembre, les épreuves écrites d'admissibilité à l'année suivante, le master
2. Ils auront ensuite un an, s'ils réussissent le concours, pour préparer leurs oraux, programmés en mai, tout en suivant les mêmes cours d'acquisition des savoirs que leurs camarades de
master 1. La dernière année ne leur sera plus payée. "Une forme de sélection sociale", estime Michèle Lusetti, enseignante à l'IUFM de Lyon.
L'enjeu des stages
Pour l'instant, les stages sont obligatoires et très encadrés à l'IUFM. Ils deviendront facultatifs, et payés (3.000 euros pour cent-huit heures). Ce qui pose
deux problèmes distincts. "On pourra, dénonce Nicole Orthous, enseignante à l'IUFM de Lyon, terminer son master 2 sans avoir jamais mis les pieds dans une
école."
L'un de ses collègues, Michel Driol, ajoute : "Ceux qui n'auront pas de soucis matériels pourront prendre le temps de préparer leurs oraux en master 1 au
lieu de faire des stages. Les autres seront en stage, mais ils travailleront réellement, sans avoir le temps d'étudier. Ils seront en responsabilité.
Cela coûtera moins cher mais qui voudrait cela pour ses enfants ?" Verra-t-on dans les collèges des étudiants en master 1 remplacer au pied levé les
professeurs malades, sous couvert de stages ? Troisième souci, logistique, les IUFM se chargeaient, avec les rectorats, de placer leurs stagiaires dans les écoles. Qu'en sera-t-il à la fac
? Devront-ils démarcher eux-mêmes les écoles ? Les postes administratifs des IUFM seront-ils transférés aux universités ?
Une identité professionnelle menacée
"Cette réforme, estime Nicole Orthous, signifie la fin de la prise en charge par l'Etat de la formation des enseignants". Une vraie spécificité française disparaitrait. Former des enseignants, comme des infirmières ou des policiers, dans des écoles spécialisées remonte au 18e siècle.
"En transférant à l'université la formation des enseignants, nous nous trouverons avec une diversité de plus en plus grande des publics, pour des formations de plus en plus courtes. Ce qui signifie que cet enseignement sera réservé aux élites, aux étudiants capables de suivre", assure Vincent Massart-Laluc, également enseignant à Lyon. "L'idée qu'il faut retenir, soupire enfin Michel Driol, c'est qu'enseigner n'est plus considéré comme un métier à part entière, qui s'apprend, mais comme une simple transmission de savoir, à un public captif."
Olivier BERTRAND
Le blog du mouvement : http://collectifiufmlyon.blogspot.com/
La réforme de la formation des enseignants, voulu par la ministre de la recherche, Valérie Pécresse, et par le ministre de l'éducation nationale, Luc Chatel, n'en finit pas de semer le trouble dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). La quasi-totalité des 32 IUFM de France étaient mobilisés contre le projet, lundi 7 décembre, à l'initiative de leurs directeurs.
Ainsi, à midi, l'amphithéâtre de l'IUFM de Paris IV, dans le 16e arrondissement, ne suffisait pas à accueillir tout le monde. Professeurs et élèves y ont débattu des conséquences de la mastérisation du cursus des futurs professeurs. Le principe de la réforme est simple : élever les niveaux des enseignants en les recrutant à bac + 5 contre bac + 3 aujourd'hui. A la sortie, deux sentiments dominent : défiance et inquiétude.
"La mastérisation est d'abord une chance pour les enseignants et les élèves" écrivaient pourtant les deux ministres, le 18 novembre, dans une tribune publiée dans Le Monde. Un discours qui a laissé impassible un corps enseignant échaudé par la politique menée par Xavier Darcos, père spirituel de cette réforme. Ainsi, Thomas, professeur des écoles stagiaire, voit dans ce projet la poursuite de la stratégie du "moins disant économique" : "non-remplacement de professeurs, augmentation du nombre de classes surchargées, suppression du Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased)... Au vu de la politique générale du gouvernement concernant l'éducation nationale, on peut légitimement s'inquiéter de toute initiative."
"LE BAGAGE QUE L'ON NOUS PROPOSE EST DÉJÀ TRÈS FAIBLE"
La réforme prévoit le recrutement d'enseignants qui prendront leur poste après une préparation académique à l'université, mais sans formation pédagogique
dans les IUFM et parfois même sans stage en situation scolaire concrète. Dans le plan gouvernemental, les stages sont seulement "conseillés". Un changement minime pour Gabriela,
selon qui la formation pédagogique délivrée par les IUFM est de toute façon "largement insuffisante".
"Nous avons un jour de formation pédagogique par semaine, explique l'étudiante, le bagage que l'on nous propose est déjà très faible"."Il y a des insuffisances, c'est vrai, admet Thomas, on nous apprend à transmettre des connaissances, mais on ne nous donne aucune clé pour bien gérer un groupe. Ce n'est pas pour autant qu'il faut faire table rase d'un système qui fonctionne, nuance l'étudiant, au contraire, il faut l'améliorer."
Pour Elsa, le virage que prend l'éducation nationale en modifiant son mode de recrutement la conduit vers un "système à l'anglo-saxonne". "Bientôt, à l'issue du concours nous n'aurons plus de poste assuré. Nous devrons postuler auprès des écoles, collèges ou lycées en fonction des besoins, comme dans une entreprise." Une école publique qui suivrait le modèle de recrutement du privé... "C'est cette dérive que nous pouvons craindre."