Suite à cette publication Olivier Besancenot sera l'invité du grand journal sur canal + en clair ce soir 22 janvier.
Monsieur Hollande, lors d’un point presse, le 15 janvier dernier, vous avez déclaré : « Qu’allons nous faire des terroristes ? Les détruire ! ».
Déclaration choc, violente, et guerrière, qui rappellerait presque les intonations de Vladimir Poutine. Déclaration également quelque peu imprudente par son côté péremptoire. Car, au jeu de l’escalade verbale, les faits, eux, suivent un engrenage où, hélas, fréquemment les otages s’additionnent aux otages. La tragique prise d’otages qui s’est déroulé sur le site gazier de Tigantourine, en Algérie, qui nous révolte tous, en a donné, durant son dénouement, la dramatique illustration.
Alors qu’avez vous voulu prouver en utilisant ces mots ?
Que vous étiez aussi chef des armées, chef de guerre. Et surtout, que vous assumiez entièrement la guerre au Mali. Comme c’est attristant de constater que le rare domaine où vous ne vous autorisez pas d’hésitations, soit celui de la guerre. Dans la plus grande tradition, vous emboîtez joyeusement le pas de vos prédécesseurs. Qu’on se le dise, vous aussi, postulez à la stature de président de la Françafrique (France « A fric » pour reprendre l’expression de l’association Survie). Comme c’est consternant de se retrancher, comme à l’accoutumée, derrière des raisons humanitaires - qui ne se rappellent à vous que selon les circonstances - pour masquer à l’opinion les vrais intérêts colonialistes que la France défend dans ce conflit. Alors, oui, Monsieur Hollande, dans le nord du Mali, des fanatiques religieux cherchent à imposer un régime odieux à la population malienne. Et oui, il y a des raisons de s’en émouvoir et de se sentir solidaires du peuple malien.
La seule question qui vaille alors est de savoir si votre intervention militaire, menée en solo, risque d’améliorer ou d’aggraver la situation.
Poser cette seule question dérange. Et pour cause. Les premiers applaudissements, rituel des débuts de guerre, qui ont salué votre initiative, s’estompent rapidement et le murmure des premiers doutes s’installe déjà. Aurions-nous, sur ce sujet aussi, perdu la mémoire de notre histoire récente ? Les différentes interventions militaires étrangères de ce type, qui se sont succédées ces 20 dernières années, en Irak, Afghanistan, Somalie, Libye, ont débouché sur une situation politique ingérable, chaotique, et le plus souvent sur une guerre civile doublée d’une catastrophe humanitaire. Car le décompte lugubre des milliers de morts ne s’arrête pas au cessez-le feu décrété par les puissances occidentales ; Il déroule inlassablement son lot de nouvelles victimes, énoncé en quelques secondes seulement durant nos journaux télévisés du soir. Au final, ces guerres qui prétendaient stopper, voire « détruire » le terrorisme, n’ont fait que renforcer bien souvent la position des plus déterminés, des plus extrémistes, et des plus radicaux d’entre eux. Quant à la défense du droit des femmes, qui oserait dire qu’elle s’est améliorée ? Et où ? En Irak, Afghanistan, Somalie, Libye ?
Monsieur Hollande, le monde politique vous tresse maintenant des lauriers.
De quoi se sentir porté par cet élan d’union nationale probablement recherché. Au point d’en perdre un peu le sens des proportions. Vous êtes vous seulement rendu compte du ridicule de la situation lorsque, sans rire, vous êtes arrivé paré de votre nouvel accoutrement de chevalier universel de la démocratie, arborant fièrement vos belles valeurs - les droits de l’homme, des femmes, la lutte implacable contre l’obscurantisme religieux - pour faire le point sur cette guerre, durant une conférence de presse tenue… aux Emirats arabes unis ? Là-bas, la législation s’applique selon la « charia », et fait encourir la lapidation pour adultère, blasphème ou homosexualité. Mais, qu’importe. La délégation du CAC 40 est sortie repue, gavée de juteux contrats. Et nous voulons tous croire que le sommet sur la défense de l’environnement, sponsorisé par Total et Exon a du tenir des propos percutants et plein de bon sens. Malheureusement, un sujet a cependant empoisonné vos entretiens : s’entendre enfin sur un prix avec la présidence des Emirats afin de vendre 6O avions Rafale. Le groupe Dassault le sait bien : faire la guerre, c’est un métier.
Aux Emirats arabes unis, comme au Mali, vous suivez inexorablement votre mission : assurer le bon commerce de la France.
Nous découvrons donc que le Sahel n’est pas qu’un désert mais qu’il est le confluent géostratégique de nombreux échanges, licites comme illicites. Il est aussi la clé d’entrée frontalière fragile qui donne accès à des zones que la France tient à sécuriser, en premier lieu les mines d’uranium qu’exploite au Niger Areva, fleuron français de l’industrie nucléaire. Vous n’êtes pas un héros désintéressé dans cette guerre. Ni un pompier volontaire qui serait venu éteindre un feu qui, rappelons-le, a été entretenu sciemment ces dernières années par tous les gouvernements français qui se sont succédés depuis le début des années 1980. En effet, les politiques libérales, les plans d’ajustements structurels, liés à la dette malienne, dont le remboursement intéresse particulièrement la France, ont désagrégé la société, la privant de ses services publics, de ses industries, et de ses entreprises de services... L’état s’est délité, au point de quasiment disparaître dans le nord du Mali. En outre, les récents évènements sont directement liés à la guerre en Libye. Or, l’intervention militaire française en Libye n’a pas consisté à livrer gracieusement des armes à la révolution légitime du peuple libyen.
La France est intervenue militairement en tant que puissance extérieure pour rappeler au futur pouvoir toute sa dépendance, et espérer autant de gestes en retour, notamment sur le marché pétrolier. Il a dépossédé par là même la révolution libyenne de la possibilité de s’approprier politiquement le contrôle des régions prises militairement. Ainsi, la région du Sahel a été brutalement déstabilisée et a libéré un afflux de combattants surarmés dans leur pays d’origine, notamment au Mali. Enfin, vous êtes bien placé pour savoir que l’Etat français n’a pas vu d’un bon œil la destitution en mars 2012 du régime corrompu d’Amadou Toumani Touré, par une mutinerie militaire qui s’est transformé en coup d’état. Dès lors, la France n’a eu de cesse de priver l’armée malienne de ses propres appuis logistiques. La Cédéao, dirigée par Alassane Ouattara, qui doit beaucoup à la France pour son accession au pouvoir en Côte-d’Ivoire en 2011, a ainsi décidé d’un embargo, l’été dernier, sur des armes pourtant destinées aux militaires maliens, en bloquant des blindés, des munitions, des armes lourdes dans les ports de Dakar au Sénégal, et de Conakry en Guinée. Se défendre seul devient nécessairement plus compliqué.
Monsieur Hollande, le destin des maliens appartient aux maliens.
Et si une guerre est à mener, ce n’est sûrement pas à la France de s'autoproclamer sauveur au Mali. Le paternalisme français en Afrique n’a que trop duré. En France, l’Etat s’intéressait jusqu’alors aux Maliens surtout pour les expulser. Cette France-là serait soudainement touchée par les plus sincères sentiments humanitaires ? Cette France qui n’arrive même pas à reconnaître sa responsabilité dans le génocide Tutsi qui s’est déroulé au Rwanda en 1994. Ne privons pas le peuple malien d’une solution politique que des voix réclament là bas avec insistance : le député Oumar Mariko de l’organisation Sadi (Solidarités, Afrique, démocratie, indépendance), par exemple, ou l’ancienne ministre Aminata Traoré, qui a lancé, il y a plusieurs mois, un manifeste contre cette guerre au nom du droit des femmes. Car la société civile, syndicale et politique est une réalité incontournable au Mali. En France, l’union nationale, au-delà des doutes exprimés sur le mandat français ou le peu de débat parlementaire, semble avoir contaminé quasiment tous les partis. A de trop rares exceptions près. Le meilleur moyen d’aider le peuple malien à mener son combat contre l’obscurantisme religieux, Monsieur Hollande, c’est que l'État français cesse de parler au nom des autres.
Le 18 janvier 2013
Christine Poupin, Olivier Besancenot, Philippe Poutou
Membres de la direction du NPA