Certains pays riches ont considérablement profité d’une main d’œuvre bon marché grâce à l’immigration tant légale qu’irrégulière.
C’est particulièrement vrai lors de l’apogée du secteur de la construction en Espagne. Cette main d’œuvre, appelée à la
rescousse dans les années 1970-80, a provoqué une forte croissance des grandes entreprises du secteur, sans pour autant améliorer les conditions de vie des travailleurs.
Maintenant que la construction est au ralenti et que la crise s’approfondie, des milliers d’ouvriers sont licenciés. Jusqu’en mars 2009, les compagnies de la construction, qui avaient engrangé plus de 15 milliards de bénéfices en 2007 et 2008, ont énormément licencié.
Ce sont quelques 449 600 nouveaux chômeurs en un an (premier trimestre 2008 au premier trimestre 2009) qui sont venus grossir les rangs des 743 700 chômeurs de la construction. |1|
Conséquence de la crise, le nombre de chômeurs en Espagne a doublé en un an passant d’un peu plus de deux millions au premier trimestre 2008 à plus de quatre millions un an plus tard |2|.
Disposant d’une réserve de main-d’œuvre plus que nécessaire, les pays européens tentent dorénavant de freiner l’arrivée de migrants par le renforcement des
contrôles migratoires et l’augmentation de la répression, en vue de faciliter leur déportation.
La honteuse « directive retour », adoptée par les 27 pays de l’Union Européenne en juin 2008, prévoit la possibilité d’incarcérer dans des centres de
rétentions jusqu’à 18 mois, et sans aucune forme de procès, des migrants sans papiers avant leur expulsion.
La France avait déjà voté la loi Hortefeux en 2007 rendant les conditions d’immigrations plus difficiles et introduisant la possibilité de pratiquer des tests ADN pour vérifier les liens de filiation. Suivant le même mouvement, l’Espagne vient d’adopter une troisième réforme législative de sa controversée « ley de extranjeria » qui augmente de 50 à 60 jours le temps légal de détention des sans papiers et criminalise les personnes aidant au séjour d’étrangers par des amendes allant jusqu’à 10 000 euros.
Le retour pose de nombreux problèmes dont celui de revenir humilié et sans espoir dans un pays frappé de plein fouet par la dette, celle-ci provoquant une hémorragie financière, qui, asphyxiant les services publics vitaux, encourage de nouveaux départs : la boucle est ainsi bouclée. La cause du phénomène réside bien dans la pauvreté structurelle encourageant l’exode et non dans nos politiques d’accueil et d’expulsion.
Nous savons que les pays riches, par l’entremise de leurs multinationales pillent les ressources des pays injustement appelés « pays pauvres ». Une
fois la plus-value réalisée sur le dos des travailleurs, ces mêmes multinationales peuvent exporter leurs bénéfices vers les maisons mères situées la plupart du temps au nord
industrialisé.
En 2008, ces multinationales implantées au Sud ont rapatrié 298 milliards de dollars de bénéfices au Nord. Il ne restera pour le pays dit « pauvre », qu’une maigre part de la richesse extraite de son sol avec laquelle il devra rembourser une dette dont il est devenu l’esclave économique. En effet, lorsque l’on compare les flux d’argent entrants destinés en nouveaux prêts et dons avec les capitaux sortants en remboursements du capital et intérêts, il y a bien un envoi de capitaux vers les supposés créanciers du Nord.
Cela entraine une réelle hémorragie financière que nous appelons « transfert net de la dette » |3| : les pays du Sud ont ainsi destiné 18,9
milliards de dollars aux pays riches, en ce qui concerne la dette extérieure publique en 2007.
Il faut souligner que pour aider leurs familles restées dans ces pays saignés aux quatre veines par la dette, les immigrés envoient plus du double de la « généreuse » Aide publique au développement (APD). APD aux pays du Sud qui, soit dit en passant, n’atteint même pas les 0,7 % du RNB promis en 1970.
Les immigrés ont ainsi envoyés 251 milliards de dollars en 2007 dans leurs pays d’origines, comparés aux 104 milliards de dollars d’APD. Les pays en développement (PED), ont remboursé (service de la dette publique interne et extérieure) le chiffre hallucinant de 800 milliards de dollars à leurs créanciers en 2007, ce qui correspond à la somme calculée par différentes institutions de l’ONU nécessaire à la satisfaction des besoins humains fondamentaux pour toute la planète pendant dix ans.
Cette somme faramineuse, au lieu de la destiner à l’éradication de la pauvreté, va directement aux créanciers. Les États destinent donc une part de leur budget, souvent beaucoup plus importante, au remboursement de la dette que pour leurs services publics de santé ou d’éducation |4|. Enfin, le piège de la dette ne serait pas complet si nous n’ajoutions les conditions qui accompagnent ces prêts.
Ces conditions, dénommées « Plans d’ajustement structurel » (PAS), dictent les politiques économiques du pays endetté, sous la supervision du FMI, lui dérobant ainsi toute souveraineté. Les ajustements imposés tendent à supprimer les subventions aux produits de première nécessité entrainant des émeutes dites « de la faim » et prescrivent, entres autres, les privatisations qui aboutissent à l’augmentation inéluctable des tarifs. Dans un tel contexte, il parait difficile de survivre dans ces pays pillés dits « en développement » et la population fuit la pauvreté structurelle à la recherche de meilleures conditions de vie.
Selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), il y aurait sur les quelques 200 millions de migrants, 67 millions de personnes obligées de fuir
leur foyer (migration forcée) en 2008 |5|. La plus grande partie des déplacés ou réfugiés sont des conséquences de conflits armés (26 millions) ou de désastres naturels (25 millions).
Contrairement à une idée reçue, les réfugiés se déplacent majoritairement dans leur propre pays ou vers un autre pays du sud voisin et non en Europe |6|.
Le pays qui a le plus accueilli de réfugiés est le Pakistan avec 1 780 900 personnes en 2008. Les pays européens arrivent bien après avec l’Allemagne à la
quatrième place (582 700 refugiés) |7|. L’Europe n’est pas le refuge de la misère du monde comme se plaise à le dire certains pour justifier la politique migratoire en cours. Rappelons que la
France a expulsé 23 200 « étrangers » ou sans papier en 2007 et plus de 29 000 en 2008 |8|. L’Espagne reçoit une pression constante des membres de l’Union européenne pour freiner
l’arrivée d’embarcations depuis l’Afrique.
Frontex, est l’organisme de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne, créé en 2005, chargé de réaliser des activités d’ « interception » et « déviation » sur les côtes d’Afrique occidentale. Est-ce pour réduire les statistiques alarmantes de l’immigration que Frontex a vu son budget exploser, passant de 6 à 35 millions d’euros en trois ans |9| ? Certaines ONG, ne pouvant surveiller toutes les opérations de Frontex en mer, s’inquiètent de possibles exactions aux droits de l’homme.
L’Espagne destine quelques 700 millions d’euros à l’aide au développement de l’Afrique occidentale |10|, mais cette assistance est conditionnée à l’adoption
d’accords de réadmission. En clair, l’Espagne augmente son aide publique au développement (APD) en échange d’un accord de principe sur l’accueil d’immigrés expulsés.
Encore une mesure comptabilisée dans l’APD bien qu’elle n’aide aucunement au développement dudit pays. Un des points d’entrée de l’Espagne et de l’Union
européenne, les îles Canaries, ont reçu une grande quantité de migrants par mer durant les dernières années depuis l’Afrique occidentale et septentrionale : plus de 30 000 seulement en
2006.
Ce chiffre inclu plus d’un millier de mineurs non accompagnés, venant du Sénégal, Maroc, Mali, Mauritanie et autres pays d’Afrique subsaharienne. Bien que ces chiffres aient légèrement baissé en 2007 (serait-ce dû à l’augmentation des expulsions des opérations Frontex ?), on peut craindre le pire avec les conséquences de la crise alimentaire et financière. On estime entre 400 et 1 000 par an le nombre de personnes, victimes invisibles, qui meurent dans ces trajets.
Comme nous l’avons vu à Ceuta et Melilla en 2005 |11|, ce n’est pas en construisant des murs pour fortifier notre riche Europe que l’on arrêtera la pression migratoire pour échapper à des conditions de vie indignes. Les candidats à l’émigration dans l’espoir de sauver leur famille restée sur place continueront à affluer aux portes des pays occidentaux tant que nous n’aurons pas résolu le problème de la pauvreté. La solution à l’émigration ne réside donc pas dans le contrôle des frontières et la répression allant jusqu’à la déportation, mais bien dans le respect de la dignité humaine au Nord comme au Sud.
Jérôme DUVAL
CADTM
www.cadtm.org/Dette-et-migration
|1| Público, 20 juillet 2009.
|2| Selon l’INE (Instituto Nacional de Estadísticas), il y avait 2.174.200 chômeurs au premier trimestre 2008 contre 4.010.700 au premier trimestre 2009.
|3| Le transfert net de la dette est la différence entre le service de la dette (remboursement du capital et des intérêts) et les sommes reçues en dons et nouveaux prêts sur la même période.
|4| En 2006, l’Equateur a consacré 38% de son budget au remboursement de la dette, alors que la part du budget destiné à l’ensemble des dépenses sociales représentait 22%. (Millet Damien, Toussaint Eric, « 60 Questions, 60 réponses sur la dette le FMI et la Banque mondiale », Syllepse, 2009. p.27)
|5| Il faut ajouter à ce chiffre les 4,7 millions de refugiés Palestiniens sous le mandat de l’UNRWA et qui ne sont pas comptabilisés par l’UNHCR.
|6| De ces 67 millions de déplacés, il y en a 51 qui sont des déplacés internes (dans le même pays)
|7| Lire le rapport : 2008 Global Trends, UNHCR, 2009.
|8| Papa Faye : http://www.cadtm.org/Migration-et-developpement-de-l#nh7.
|9| Site de Frontex : http://www.frontex.europa.eu/finance/
|10| ACNUR : http://www.eacnur.org/media/docs/ACNUR_EVALUACION_CANARIAS.pdf
|11| Les polices espagnoles et marocaines ont tirées sur des centaines de personnes, migrantes et demandeurs d’asile, qui tentaient de traverser les murs les séparant de Ceuta et Melilla. Plusieurs dizaines de personnes sont mortes, assassinées pour avoir tenté de franchir une frontière.