D’un côté, un homme de cinquante ans, en grève de la faim depuis le 6 mars.
De l’autre, une banque qui se dit « très attentive, et préoccupée par la situation, d’ailleurs suivie personnellement par notre directeur
général ». Entre les deux, un cas de surendettement finalement assez banal, et qui n’a paradoxalement rien d’inextricable. Pourtant, la situation est pour le moment bloquée.
Michel Madec vit à Carhaix (Finistère).
Depuis 15 jours, il s’alimente uniquement de café, d’eau et de bouillon. Il entend dénoncer la situation dans laquelle il se trouve, et forcer le Crédit mutuel
de Bretagne (CMB), qu’il accuse de l’avoir abusé, à trouver un accord pour annuler sa dette. Sa situation a commencé à susciter l’émoi sur certains sites internet, et notamment sur
Mediapart, où Michel Madec tient un blog depuis l’été 2010, sous le pseudonyme de Carland. Une pétition sur le site Bellaciao (où il est
également contributeur occasionnel) a aussi été lancée, elle a déjà rassemblé 800 signatures.
L’affaire remonte à loin, et se noue en plusieurs étapes. En 2005, Madec se retrouve dans l’impossibilité de rembourser les prêts à la consommation qu’il a
contractés. « En 2004, j’ai acheté une voiture, alors que je suivais une formation où je gagnais 1 500 euros par mois. Mais la formation s’est mal passée, et mes revenus se
sont dégradés rapidement. Très vite, je n’ai plus pu rembourser », raconte-t-il à Mediapart. Il avait aussi contracté d’autres prêts, et notamment sous la forme, redoutable, du
credit revolving, cette « réserve d’argent » permanente vantée par les banques, dont le remboursement est à la fois complexe et très coûteux.
Michel Madec ne dispose plus pour tout revenu que d’une pension d’invalidité, inférieure à 650 euros par mois, puisque, bipolaire, il est « reconnu
comme un adulte handicapé ». Il expose donc sa situation à son agence du CMB, qui lui propose alors de contracter un prêt-relais sur son logement, pour solder tous ses prêts en
cours, d’un montant total de 20 000 euros. En 2006, la vente du logement se fait, pour 68 500 euros. Il lui reste 48 500 euros, avec lesquels il rachète un appartement. Mais
il lui faut un nouveau prêt, immobilier, de 31 000 euros. Prêt qui lui est accordé, avec des mensualités de 210 euros, assure-t-il.
Le piège du credit revolving
Mais la situation empire à nouveau en 2008, l’homme ayant à nouveau eu recours au credit revolving, avec peu de modération. « Je ne prétends
aucunement être un saint, j’ai fait des erreurs, bien sûr », assume Madec, qui s’attribue « un rapport basique avec l’argent : quand je peux, je le
dépense ». Et c’est là, selon lui, que « la banque a manqué à son obligation de conseil ». Lorsqu’il lui indique qu’il doit rembourser 9 000 euros de
credit revolving, dont 2 000 à l’établissement lui-même, son conseiller ne lui propose pas d’ouvrir un dossier de surendettement. Il lui suggère plutôt d’accepter un nouveau
crédit à la consommation, qui épongera ses dettes, contre la modique somme de 162 euros par mois. Plus de 360 euros de remboursement par mois, alors, qu’APL comprise, il touchait moins de
800 euros ? C’est ce que le client impécunieux se retrouve à payer, certifie-t-il aujourd’hui.
Saisie tout récemment du dossier par Madec, son avocate Élodie Tuaillon-Hibon s’offusque de cette situation, qui concerne « une personne
particulièrement vulnérable », et qu’elle découvre au fur et à mesure qu’elle prend connaissance des pièces du dossier. « Aujourd’hui, cet homme risque son toit, sa santé,
sa vie, pour une situation dont il n’est pas responsable, car c’est un profane », assure-t-elle. De son côté la banque assure avec véhémence que « le taux d’endettement de
M. Madec ne dépassait pas en 2008 le seuil légal de 33 % » de son revenu global. C’est là que se situe le nœud de l’affaire. S’il est avéré que le Crédit mutuel a sciemment
laissé un client plonger dans le surendettement, comme le maintient tout aussi véhémentement le premier concerné, la crédibilité de l’établissement sera sérieusement entamée.
« Je me suis enfermé dans le surendettement »
En tous les cas, après 2008, c’est la dégringolade pour notre abonné, qui ne peut à nouveau plus s’acquitter de ses obligations financières. La situation a
bien été résumée le 14 mars par la station locale de France 3 Iroise. « Je me suis enfermé là-dedans, je n’osais plus en parler », indique Madec. Il décide en 2009 de
rompre tout lien avec le Crédit mutuel, de ne plus rien rembourser, et de laisser la dette s’accumuler. Inévitablement, il est attaqué, puis condamné en 2010 à rembourser 10 000 euros
à la banque. Il ne réagit pas. « J’ai reculé devant les procédures, elles me paraissaient insurmontables. À cette époque, je coule, je suis à l’ouest »,
reconnaît-il.
C’est une assistante sociale, qui le suit depuis deux ans, qui le sort un peu de son marasme, le poussant à déposer un dossier auprès de la commission de
surendettement, en juillet 2011. En parallèle, il commence à négocier avec la banque, qui a demandé son expulsion, pour se rembourser sur la vente de son logement. Et les deux parties sont
tout proches de conclure un accord, en novembre 2011.
« Ils m’ont proposé de réduire les mensualités, et d’allonger le paiement, et j’ai failli accepter, raconte notre abonné. Après coup, je me dis
que j’aurais été bête, parce que c’est moi qui payait tout, alors que la situation est aussi de leur faute. » L’accord achoppe finalement parce que, à son retour de Quimper, Madec
découvre que son blog, où il raconte notamment son conflit, a été suspendu à la demande de la banque, et qu’il est assigné en justice pour injure et diffamation. « Ils ne m’en ont
rien dit pendant notre rencontre, c’était une discussion de faux-culs », balaye-t-il aujourd’hui. « Cet épisode m’a réveillé, on m’a attaqué sur mon honneur. »
Retour à l’impasse.
« J'irai au bout »
Et ce n’est pas la décision de la commission de surendettement, rendue l’été dernier, qui débloque les choses. Madec doit rembourser une soixantaine d’euros
par mois à la banque pendant deux ans, et son appartement doit être mis en vente à l’issue de cette période, a décidé l’institution. C’est ce dernier point qui est inacceptable pour
l’homme. « Nous sommes conscients de l’importance qu’attache M. Madec à son logement, témoigne pourtant le CMB. C’est pourquoi nous lui avons assuré que nous voulions
absolument l’accompagner après les deux ans, pour trouver une solution lui permettant d’en rester propriétaire. »
Mais la confiance est rompue. Madec refuse la main tendue. Ou plutôt, formule des exigences difficiles à assumer pour l’établissement. Il demande d’abord que
ce soit le président d’Arkea, qui regroupe divers Crédits mutuels régionaux, qui s’occupe de son cas. Il veut surtout que la banque lui rachète son logement, et lui permette d’en rester
simple locataire. « C’est impossible pour nous », assure le Crédit mutuel. « J’ai été vicieux dans ma demande, reconnaît Madec. Mais je ne veux pas être le
seul à payer dans cette histoire. » Il indique qu’il ne lâchera pas sur la vente de son appartement. Et là est le but de sa grève de la faim : « Il faut qu’ils
choisissent quelle solution est la moins pire pour eux. »
Un choix extrême. « Ma démarche est radicale, jusqu’au-boutiste, je comprends qu’elle puisse choquer », admet-il, avant d’assurer qu’elle est
aussi « politique, parce que je ne me bats pas que pour ma peau ». Il veut alerter sur l’angoisse, la solitude de ceux qui sont pris dans le surendettement, « une
spirale qui détruit tout ».
Aujourd’hui, la banque se déclare inquiète, et a tenté de faire intervenir le maire de Carhaix comme médiateur, hier. Il a été mal reçu. « Je lui ai
dit que je voulais discuter directement avec le CMB, lâche le gréviste de la faim. Et qu’il fallait qu’ils viennent à genoux. Je suis décidé : j’y vais lentement, en me faisant
durer, mais je vais au bout. »
Source: Mediapart