Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 14:23
Partager cet article
Repost0
16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 09:50

Louis_Renault_Hitler.jpg

 

 

La volonté revancharde des héritiers de Louis Renault ne connaît pas de limites. Les voilà qui réclament maintenant l’annulation de la nationalisation de 1945 avec bien évidemment l’envie de recevoir de grasses indemnités pour assurer une fin de vie de rentier.


Les faits sont là. La réponse des anciens responsables de la CGT de Renault Billancourt Roger Sylvain, Aimé Halbeher et Michel Certano, comme la lettre au Monde adressée par des anciens salariés de Renault, dont Clara et Henri Benoist, ces militants internationalistes de toujours, en rappellent les preuves. Les ouvrages d’historiens comme ceux de Gilbert Hatry et d’Annie Lacroix-Riz n’ont jamais été sérieusement remis en cause.

Cette tentative de réhabilitation a bien sûr une portée politique nous renvoyant à ce présent de contre-réforme réactionnaire où les privilégiés et les nantis se croient tout permis. De nombreux médias accordent donc une légitimité à cette campagne qui aboutit à la demande d’annulation, soixante cinq ans après, de la nationalisation d’une entreprise comme Renault.

 

La nationalisation réquisition de Renault fut bien sûr une bonne chose, quel que soit le chemin que prit ensuite l’entreprise devenue capitaliste comme les autres, et ensuite privatisée. Beaucoup d’autres entreprises aux patrons collaborateurs ne connurent pas le même sort en 1945 alors que toutes les entreprises capitalistes avaient accepté à l’époque de s’inscrire dans l’économie en place. Certains patrons paradaient plus que d’autres avec les autorités françaises et allemandes. Ce n’est pas la réquisition de Renault qu’il faut regretter mais le nombre de patrons qui échappèrent à ce type de mesures.

L’explication de la réquisition de Renault n’est pas à chercher seulement dans la plus grande ardeur collaboratrice de Louis Renault. C’est la marque d’un rapport de forces entre classes sociales. Dès cette époque les usines de Renault à Billancourt constituaient un bastion de lutte des travailleurs. Pour produire plus et plus vite, le gouvernement De Gaulle auquel participaient des membres du PCF a considéré que l’expulsion d’un patron discrédité, le « saigneur de Billancourt » était plus efficace

Dès avant sa privatisation, Renault était devenue une entreprise capitaliste comme les autres. où les revendications se gagnaient à la force des mobilisations. Les patrons et leurs héritiers ont la mémoire tenace. Soixante cinq ans après ils n’ont rien oublié. Le mouvement ouvrier lui non plus ne devrait rien oublier : l’histoire de Louis Renault, c’est celle du patronat d’hier et d’aujourd’hui.

Tout est à nous. Rien n’est à eux !

 

lire la suite

Partager cet article
Repost0
14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 09:37

 

 



 

 

Par Guy Van Sinoy le Mardi, 06 Mai 2008

 

IL Y A 40 ANS... une explosion révolutionnaire balayait la France. Elle allait laisser des traces profondes dans toute l'Europe. D'une révolte étudiante à la grève générale.

 

Comme dans tous les pays capitalistes avancés, les années 60 ont constitué une période de croissance économique et de mutation spectaculaire du capitalisme français. Mais la France, qui possédait un empire colonial disproportionné par rapport à sa puissance réelle d’après-guerre, dut faire face à la décolonisation: soit de manière négociée (Maroc, Tunisie), soit en menant des guerres coloniales sanglantes en Indochine (1946-1949) et en Algérie (1954 à 1962). Cette situation avait entraîné une crise politique majeure. Le 13 mai 1958, le général de Gaulle s'empara du pouvoir avec le soutien de l'armée et de la bourgeoisie. Ainsi disparut la IVe République. Une fois au pouvoir, de Gaulle s'empressa de promulguer une nouvelle constitution de type bonapartiste (élection présidentielle au suffrage universel direct, référendum à l'initiative du président, dissolution du parlement à tout moment opportun). L'instauration d'un pouvoir bonapartiste avait représenté une défaite importe pour les travailleurs.

 

Discréditée par sa politique sous la IVe République, la social-démocratie était affaiblie et divisée. Le Parti communiste français (PCF) - fortement stalinien - exerçait un contrôle sans partage sur la classe ouvrière industrielle à travers son monopole de fait sur le syndicat CGT. Cependant la montée de la révolution coloniale (Algérie, Cuba), combiné avec la remise en cause du modèle stalinien (surtout après l'intervention militaire russe en Hongrie en 1956), allait peu à peu polariser une opposition politique au sein des organisations étudiantes communistes, d'autant plus que le PCF n'avait pas lutté contre la guerre coloniale menée en Algérie. Plusieurs courants oppositionnels furent exclus de l’Union des Etudiants communistes (UEC) dans la première moitié des années 60: les partisans de Togliatti (PC italien), les prochinois , les trotskystes.

D'autre part, la forte croissante capitaliste exigeait une mutation de l'enseignement supérieur. Le capitalisme avait besoin d’une armée d'ingénieurs, de chercheurs, de spécialistes. Les universités virent donc arriver un flot massif d'étudiants sans que pour autant les infrastructures ne soient adaptées suffisamment vite.

 

Le Mouvement du 22 Mars

 

A la faculté de Nanterre, une faculté construite à la hâte en banlieue, à côté d'un bidonville, un noyau d'étudiants radicaux se dégagea sur la base d'une critique du rôle de l'université bourgeoise. Les étudiants refusaient de devenir de futurs "chiens de garde du capital" (cadres, psychologues,...) et décidèrent une forme d’action radicale: la paralysie de la faculté. Ils créèrent le Mouvement du 22 mars, composé de militants d'extrême gauche, d'anarchistes et d'étudiants radicalisés. Le doyen de Nanterre ayant fermé le campus, les étudiants de Nanterre se rendirent le vendredi 3 mai à la Sorbonne, en plein Quartier latin, pour y tenir un meeting. 

Ce jour-là, alors que 600 étudiants - pour une grande part des militants d’extrême gauche - sont réunis dans la cour de la Sorbonne, le recteur fait fermer la Sorbonne et appelle la police qui procède à des centaines d'arrestations. C’est l’étincelle ! Spontanément, des milliers étudiants se rassemblent pour protester contre l'irruption de la police. Celle-ci les repousse violemment à coups de matraques et de grenades lacrymogènes. Pour se protéger, les étudiants lancent les premiers pavés. Il y a 600 arrestations et 12 inculpations.

Le PCF dénonce les étudiants: "Ces faux révolutionnaires doivent être énergiquement démasqués car, objectivement, ils servent les intérêts du pouvoir gaulliste et des grands monopoles capitalistes."

Le lundi 6 mai, alors que la préfecture de police interdit tout rassemblement, 20.000 étudiants manifestent. Les heurts avec les CRS sont très durs. Le lendemain, à l'appel de l'UNEF (Union nationale des Étudiants de France) 50.000 étudiants manifestent et revendiquent:

- la libération de tous les étudiants et l’arrêt des poursuites judiciaires;

- la réouverture de la Sorbonne;

- le retrait des forces de police du Quartier latin.

Le pouvoir fait la sourde oreille. Le 8 mai, le PCF reprend les 3 points de l'UNEF tout en continuant de dénoncer les "gauchistes". Les syndicats CGT et CFDT se déclarent solidaires de la lutte des étudiants. Le SNESup (Syndicat national de l’Enseignement supérieur) appelle à la grève générale.

Le vendredi 10 mai au soir, alors que les lycéens rejoignent le mouvement et créent les Comités d'Action Lycéens, 50.000 étudiants se rendent au Quartier latin pour "reconquérir" le quartier. Au cours de la nuit, ils y dressent une soixantaine de barricades que la police prendra d'assaut en faisant des centaines de blessés. Beaucoup d'habitants montrent leur sympathie envers les étudiants. Les retombées politiques son t considérables: le PCF est obligé de condamner la répression, la CGT et la CFDT appellent à 24 heures de grève pour le lundi 13 mai.

Le 13 mai, un million de manifestants sont dans les rues de Paris. Le soir, les étudiants réinvestissent le Quartier latin. Le pouvoir a reculé face à la combativité des étudiants. C'est une leçon que les travailleurs ont compris et vont mettre immédiatement en application.

Le 14 mai, alors que le Parlement vote l'amnistie des manifestants condamnés, les ouvriers de Sud-Aviation (Nantes) partent spontanément en grève illimitée, occupent l'usine et séquestrent le directeur. Le lendemain, sous l'impulsion de jeunes ouvriers, l'usine Renault de Cléon (Rouen) est occupée. Le Mouvement du 22 Mars appelle à créer des Comités d'Action révolutionnaire. Le 16, alors que le mouvement de grève s'étend spontanément comme une traînée de poudre, les ouvriers de Renault Billancourt revendiquent:

- Pas de salaire inférieur à 1.000FF

- Retour immédiat aux 40h sans perte de salaire

- Pension à 60 ans

- Libertés syndicales

- Paiement des heures de grève

Un millier d'étudiants se rendent à Renault Billancourt pour de fraterniser avec les ouvriers. La CGT ferme les portes de l'usine pour isoler les étudiants des ouvriers en grève. Le PCF met en garde "contre les mots d'ordre aventuristes." Le lundi 20 mai, la grève s'est étendue à tout le pays. Dans de nombreux cas, renouant avec la tradition de Juin 1936, les travailleurs occupent spontanément les usines, alors que les syndicats n'ont toujours pas lancé le mot d'ordre de grève générale.

Dès ce moment, un problème clé se fait jour: les organisations marxistes révolutionnaires - quelques centaines de membres - sont à la pointe de la lutte étudiantes mais ont peu d'implantation dans la classe ouvrière. Comment faire la jonction entre les étudiants et les ouvriers en grève si le PCF et la CGT s'y opposent? A quelques exceptions près, ce problème ne pourra pas être résolu et sera une des causes de l'échec de Mai 68.

Pourtant les initiatives des travailleurs dépassent souvent les mots d'ordre des appareils syndicaux. Ainsi, les travailleurs de la télévision (ORTF) pratiquent la grève active en retransmettant intégralement en direct les débats de l'Assemblée nationale. La grève s'étend aux grands hôtels parisiens. Les dépôts d'essence ferment leurs portes. La grève s'étend à toutes les couches d e la société: même les footballeurs occupent la Fédération française de football!

 

mai68-copie-2.jpg

 

Le PCF et la CGT canalisent le mouvement

 

Dès qu'une grève devient générale, elle devient politique et pose la question du pouvoir. Le 22 mai, le PCF déclare: "Le pouvoir gaulliste a fait son temps, il ne répond plus aux exigences du moment. Il doit s’en aller et la parole doit être donnée au peuple." Mais le PCF et la CGT se gardent bien d'étendre la grève. Leur tactique consiste à maintenir la pression tout en tentant de garder le contrôle de la lutte. Le 24 mai, la CGT appelle à manifester à Paris, mais avec un cortège nettement séparé de celui des étudiants. Le cortège CGT rassemble 150.000 manifestants. Celui des étudiants, auxquels se joignent de jeunes ouvriers, rassemble 50.000 personnes et se termine par plusieurs batailles de rue dans tout Paris. La Bourse est incendiée.

Le même jour, de Gaulle prononce un discours radiodiffusé (la télé est en grève!) et propose un référendum sur la participation et d’abandonner le pouvoir si une majorité de NON l'emporte. C'est une manœuvre pour détourner la lutte vers les urnes, mais le mouvement est encore trop impétueux pour pouvoir l'arrêter. De Gaulle doit provisoirement battre en retraite.

De leur côté, syndicats et patronat négocient dans un local du ministère, situé rue de Grenelle, un accord permettant la reprise du travail. Le 27 mai, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, présente le projet d'accord aux 23.000 ouvriers de Renault Billancourt:

- Salaire minimum porté de 2,20FF à 3FF l’heure;

- Augmentation générale des salaires du privé de 7% au 1/6/68 et de 3% au 1/10/68;

- Paiement des jours de grève à 50%, mais ce sera récupérable;

- Ticket modérateur de sécurité sociale passant de 30% à 25%.

Les ouvriers rejettent l'accord et Séguy dément avoir signé quoi que ce soit. 10 millions de travailleurs entament leur deuxième semaine de grève.

Le soir même, à l'appel de l'UNEF, de la CFDT, de FO[1] et du PSU[2], 50.000 étudiants manifestent au stade Charléty en présence de dirigeants sociaux-démocrates (Mendès-France) qui tentent de s’appuyer sur le mouvement étudiant pour négocier avec le PCF un accord de participation gouvernementale. Le Mouvement du 22 Mars défavorable à cette initiative, propose la propagande dans les quartiers.

Le lendemain, 28 mai, Mitterrand annonce qu'il est candidat à la présidence de la République et suggère que Mendès-France forme immédiatement un gouvernement provisoire. Le ministre de l'Éducation nationale démissionne. Le pouvoir désormais se tait. De Gaulle est introuvable.

Le 29 mai, à l'appel du PCF et de la CGT, 500.000 travailleurs manifestent à Paris en scandant: "De Gaulle, démission!, Gouvernement populaire!"

 

LE POUVOIR GAULLISTE SE RESSAISIT

 

Coup de théâtre: le 30 mai, De Gaulle réapparaît et prononce un discours télévisé fracassant. Il dissout sur le champ l'Assemblée nationale, annonce des élections et appelle ses partisans à former des Comités de Défense de la République (CDR) et à descendre immédiatement dans la rue. Dans les heures qui suivent plus de 600.000 gaullistes défilent dans les rues de Paris. De Gaulle s'était rendu en Allemagne pour s’assurer du soutien du général Massu pour le cas o il aurait fallu recourir à l'armée pour rétablir l'ordre. En échange, Massu demandera que le général Salan, condamné à perpétuité pour avoir dirigé l'organisation fasciste OAS, soit libéré. Pour pouvoir tenir des élections (et ne pas effrayer les électeurs des classes moyennes), il fallait stopper la grève et le retour à la "normale": tel était le raisonnement des partis réformistes et des directions syndicales. Les négociations reprennent dans les secteurs, et le 1er juin, les PTT reprennent le travail.

Mais le mouvement est encore puissant: 40.000 jeunes manifestent à Paris en scandant "Ce n'est qu'un début, continuons le combat!"

Le mouvement de grève reflue faute de perspectives politiques autres que les élections. La direction de l'ORTF fait appel à l'armée et à des techniciens privés pour remettre en route la radio et la télévision. Le PCF et la CGT invitent à reprendre le travail. Celui-ci reprend à la SNCF, à la RATP, dans les banques et dans les mines le 5 juin. L'Humanité, journal du PCF écrit: "Alors que de nombreux accords sont actuellement soumis à l'approbation des travailleurs, gouvernement et patronat prolongent la grève dans des secteurs importants." Malgré le lâchage de leurs directions syndicales, la grève se poursuit en de nombreux endroits notamment dans toute la métallurgie. Des instituteurs, furieux que leur syndicat (la FEN) ordonne la reprise du travail, occupent le siège de la FEN. A Renault Flins, les CRS occupent l'usine et se battent avec les ouvriers et des étudiants. Les CRS noient dans la Seine un lycéen maoïste, Gilles Tautin. Le 11 juin, les CRS affrontent les ouvriers de Peugeot à Sochaux. Deux ouvriers sont tués, dont un par balle. Le soir, malgré l'interdiction de manifester, 20.000 jeunes affrontent les forces de l'ordre dans les rues de Paris.

Le lendemain, L'Humanité écrit: "Conscients des responsabilités qui sont les nôtres devant la classe ouvrière, nous avons dénoncé et combattu la surenchère et les provocations des gauchistes se réclamant du maoïsme, de l'anarchisme ou du trotskysme. Cependant ces groupes continuent à s'agiter. Parmi eux, des aventuriers, des personnages troubles, des renégats."

Le pouvoir a entendu le PCF et la CGT: le 13 juin, toutes les organisations révolutionnaires sont dissoutes et certains de leurs dirigeants sont arrêtés. Toute manifestation sur la voie publique est désormais interdite. Aucun parti de gauche ni aucun syndicat ne proteste. Le jour même, Salan est libéré! Il y a pourtant encore à ce moment-là un million de grévistes, notamment dans la métallurgie. Les élections législatives du 30 juin donnent 358 sièges à la droite sur un total de 485. La Fédération de la Gauche démocrate et socialiste (Mitterrand) perd 61 de ses 121 sièges, le PCF passe de 73 à 34 élus, et le PSU en perd 3 dont Mendès-France. En ramenant l'ordre, les réformistes avaient préparé leur propre défaite électorale.

 

Les leçons de Mai 68


1. La révolution socialiste est possible dans un pays capitaliste avancé. Alors que les sociologues bourgeois prédisaient la disparition de la lutte de classes, des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs ont lutté pour abattre la société capitaliste. Mai 68 allait inspirer les étudiants d’autres pays et la classe ouvrière italienne en 1969.

2. Dans une telle situation révolutionnaire, les jeunes et les travailleurs jouent un rôle de premier plan et renouent spontanément avec les traditions de lutte de classes du passé. En 1917 le prolétariat russe élisait des Conseils ouvriers (soviets) sur base de l'expérience de la révolution de 1905. En Mai 68, les barricades des étudiants s’inspiraient de la révolution de 1848 et les travailleurs occupaient les usines comme lors de la grève générale de Juin 1936. Lors de la prochaine crise révolutionnaire, les travailleurs de France renoueront avec les coordinations et les comités de grève (auto-organisation) mis sur pied lors des grèves des 15 dernières années.

3. Pour les travailleurs et la jeunesse la mise sur pied de structures d’auto-organisation (comités de grève, coordinations) est vitale. En mai 68, de telles structures n’ont existé que de façon très limitée. Au cours de la semaine du 24 au 30 mai 1968, il aurait été possible de généraliser les comités de grève et de les fédérer en un réseau à l’échelle du pays. Une telle pyramide de comités de grève commençant à exercer certaines prérogatives du pouvoir : (organisation de la grève, contrôle des moyens de communications, du ravitaillement, des centrales électriques, etc.) aurait constitué un pouvoir alternatif au pouvoir officiel, d’autant plus qu’il y avait un vide du pouvoir pendant quelques jours.

4. Pour défendre son pouvoir, la bourgeoisie a lancé les forces de répression contre les étudiants et contre les travailleurs (plusieurs milliers de blessés, plusieurs morts) et a envisagé le recours à l'armée. Cela pose le problème d’organiser, dans le camp des travailleurs, l'autodéfense des manifestations, des piquets de grève et la création de milices ouvrières.

5. Les partis et syndicats traditionnels ne sont pas restés inactifs. Après avoir, dans un premier temps, dénigré la lutte des étudiants car elle échappait à leur contrôle, le PCF et la CGT ont dû appeler à une grève de protestation contre la violence policière. Une fois la grève générale déclenchée, le PCF et la CGT ont tout fait pour la reprendre en mains (manifestations séparées, négociations avec le patronat, appel à la reprise du travail) et orienter la crise vers une issue électorale.

6. De son côté, la bourgeoisie n’est pas restée inactive. A la fin du mois de mai, face au vide du pouvoir, elle se préparait à soutenir François Mitterrand pour faire barrage au PCF. Dès qu’il est apparu que De Gaulle reprenait l’initiative (après son discours du 30 mai et les manifestations de rue des gaullistes) la bourgeoisie a laissé tomber Mitterrand pour soutenir à nouveau De Gaulle. Face aux manœuvres politiques de la bourgeoisie, des partis réformistes et des directions syndicales, les travailleurs et la jeunesse doivent avoir leur propre parti : un état-major bien implanté dans les masses ouvrières et étudiantes, à la fois capable de tirer les leçons du passé et de prendre des initiatives qui favorisent l’auto-organisation des travailleurs et ainsi poser la question du pouvoir.

 

par Guy Van Sinoy

 


[1] Les trois syndicats de salariés les plus importants étant : la CGT (Confédération Générale du Travail), la CFDT (Confédération française démocratique du Travail) et FO (CGT Force Ouvrière).

[2] Le PSU (Parti Socialiste Unifié) était un petit parti socialiste de gauche né en 1960 en opposition à la guerre d’Algérie. En 1968, son président était Michel Rocard.

Partager cet article
Repost0
9 mai 2011 1 09 /05 /mai /2011 13:39
la_commune.gif
Un nouveau monde Le 18 mars 1871, l’insurrection populaire parisienne chasse le gouvernement qui se réfugie à Versailles. Le 28 mai, avec la chute de la dernière barricade, s’achève la Semaine sanglante. La Commune de Paris n’a duré que 72 jours. Cette brève expérience révolutionnaire a pourtant eu un impact considérable, durable et de portée internationale, sur le mouvement ouvrier. Au point d’être toujours, 140 ans plus tard, une référence pour celles et ceux qui n’ont pas renoncé au combat pour l’émancipation…
Partager cet article
Repost0
1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 09:46

800px-Bobby_sands_mural_in_belfast320.jpg

 


Les sept membres de l’IRA et trois membres de L'INLA qui ont mené

la grève de la faim jusqu’au bout :


Bobby Sands, 27 ans, 66 jours de jeûne (1er mars-5 mai 1981)
Francis Hughes, 25 ans, 59 jours (15 mars-12 mai 1981)
Raymond McCreesh, 24 ans, 61 jours (22 mars-21 mai 1981)
Patsy O’Hara, 23 ans, 61 jours (22 mars-21 mai 1981)
Joe McDonnell, 29 ans, 61 jours (9 mai-8 juillet 1981)
Martin Hurson, 24 ans, 46 jours (28 mai-13 juillet 1981)
Kevin Lynch, 25 ans, 71 jours, (23 mai-1er aout 1981)
Kieran Doherty, 25 ans, 73 jours (22 mai-2 août 1981)
Thomas McElwee, 23 ans, 62 jours (8 juin-8 août 1981)
Michael Devine, 27 ans, 60 jours (22 juin-20 août 1981).


 
Partager cet article
Repost0
30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 10:51

 



La Commune Episode 9

les autres épisodes: link

 

Partager cet article
Repost0
26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 11:30

 

ITALIE : LES ENJEUX D’UN COMBAT


  1943-45 : EFFONDREMENT DE L’ÉTAT BOURGEOIS ITALIEN.


Le 10 juillet 1943, le débarquement anglo-américain en Sicile sonne le glas du régime fasciste italien, lequel avait été mis en place à partir de 1922. Il est à ce moment là manifeste pour la bourgeoisie italienne, un an après la défaite de l’armée allemande devant Stalingrad et alors que de l’armée italienne a elle-même accumulé les défaites, que la guerre est perdue. Il s’agit maintenant pour cette bourgeoisie impérialiste d’éviter une débâcle totale afin de préserver l’essentiel.

 

Or, non seulement tout résistance militaire serait illusoire face à l’année américaine et à ses alliés, mais la bourgeoisie italienne redoute que la prolongation des combats sur le territoire italien soit mise à profit par le prolétariat et les masses pour relever la tête après vingt années de dictature fasciste. Déjà de grandes grèves et occupations d’usines ont eu lieu au moins d’avril 1943 en Italie du Nord. Il lui faut donc sacrifier le régime fasciste pour maintenir la continuité de l’appareil d’Etat bourgeois.

 

Le 25 juillet 1943, le Grand Conseil du fascisme destitue donc Mussolini. Puis le roi Emmanuel III, celui-là même qui avait nommé Mussolini président du Conseil après le coup de force du 22 octobre 1922, fait arrêter Mussolini et nomme Pietro Badoglio chef du gouvernement. Celui-ci est chargé d’assurer la continuité de la monarchie et fait réprimer les manifestations spontanées qui éclatent à la suite de la déposition de Mussolini. Le 3 septembre, les troupes alliées débarquent en Calabre : l’Italie capitule alors sans condition et l’armistice est rendu publique le 8 septembre 1943. La riposte du régime hitlérien est immédiate : les troupes allemandes envahissent l’Italie. Mussolini, libéré, est mis à la tête d’un régime fantoche au service de l’Allemagne, la " République sociale " italienne. L’Etat italien est ainsi brisé : au Sud, " le royaume d’Italie " gouverné par Badoglio, sous contrôle anglo-américain, qui déclare la guerre à l’Allemagne le 13 octobre 1943 ; au Centre et au Nord, le régime restauré de Mussolini, qui se trouve aussitôt confronté à un puissant mouvement de résistance.


Or cette résistance contre les troupes d’occupations allemandes, conduite pour l’essentiel par le prolétariat, est aussi une lutte contre les forces fascistes italiennes ; la situation devient aussi celle d’une guerre civile qui va se prolonger durant dix-huit mois, jusqu’en avril-mai 1945.


Pour la plupart, les résistants sont des ouvriers et, au sein des organisations de Résistance, les militants et sympathisants du Parti communiste et du Parti socialiste sont très largement majoritaires. Parmi les milliers de brigades répertoriées, 575 sont des brigades " Garibaldi " liées au PCI, 70 des brigades Matteotti liées au Parti Socialiste. Tandis que d’autres sont dites " autonomes ".


Les occupations d’usines et la constitution de comités de grève se multiplient, de même les occupations de terres par les paysans pauvres.

Pour les travailleurs italiens, au delà de la liquidation du régime fasciste, c’est de la destruction du système capitaliste et de son Etat dont il s’agit. Ainsi donc, en 1944-45, la bourgeoisie italienne n’a pu échapper à ce que précisément elle avait cherché à éviter en 1943 : le surgissement d’une situation révolutionnaire.


LE RÔLE DÉCISIF DU PCI


Pour faire refluer cette mobilisation révolutionnaire, pour protéger le capitalisme italien et reconstruire l’Etat bourgeois, le rôle du Parti communiste italien, de ses dirigeants va être à ce moment là décisif, ainsi que celui du Parti socialiste.

Dès la destitution de Mussolini, et alors qu’un mouvement de résistance se développe spontanément, les dirigeants du PCI et du PSI mettent en place un Comité de Libération Nationale (C.L.N) qui intègre des formations politiques bourgeoises nouvellement constituées (Démocratie chrétienne, Parti d’action…). Ainsi, au nom de la lutte " contre le fascisme " et pour " la libération nationale ", le mouvement ouvrier est-il inféodé à des forces politiques dont l’objectif est de préserver le capitalisme, et pour cela de restaurer l’Etat bourgeois italien au plus vite.


Pour les gouvernements alliés, et notamment le gouvernement anglais, ceci passe par le maintien du roi et du maréchal Badoglio au pouvoir, et par le rétablissement d’une monarchie " constitutionnelle " sur toute l’Italie.

Non sans difficultés. Car l’opposition des masses à la monarchie et à Badoglio est telle que, peu ou prou, les partis qualifiés " d’anti-fasciste " (partis ouvriers et certains partis bourgeois) sont amenés à se prononcer, en janvier 1944, contre le maintien du gouvernement Badoglio. L’abdication du roi est demandée, ainsi que l’élection immédiate d’une Assemblée constituante.


LE RÔLE DES MOTS D’ORDRE DÉMOCRATIQUES


Mais une Assemblée constituante, pour quoi faire ?

Certes, l’unification de l’Italie (en 1861), avec la constitution d’un Etat bourgeois, s’est faite tardivement et la " révolution bourgeoise " italienne est manifestement inachevée : absence de réforme agraire véritable, maintien d’une monarchie flanquée d’un parlement élu sur la base d’un droit de vote limité, sans même de réelle constitution écrite (la base se réduit au " statut de Charles Albert " qu’une simple loi suffit à modifier), etc.… Mais c’est néanmoins dans le cadre d’un marché national unifié, protégé par un Etat bourgeois constitué, que s’est développé le capitalisme italien, et avec lui le prolétariat italien. Et l’objectif central du prolétariat ne peut être, en 1944, de restaurer l’Etat bourgeois, fût-il doté d’un régime parlementaire : c’est d’exproprier la bourgeoisie, de liquider l’Etat bourgeois pour construire un Etat ouvrier, ce qui implique le développement des conseils d’usines et de soviets, et leur centralisation. Mais après deux décennies de dictature fasciste, les mots d’ordre démocratiques (y compris celui d’Assemblée constituante) peuvent être utilisés par les masses pour se rassembler, mêlés à des mots d’ordre de transition tels que l’expropriation des capitalistes, l’armement généralisé du prolétariat, le pouvoir aux conseils ouvriers.


Dans une situation telle que celle de l’Allemagne ou de l’Italie en 1944, un mot d’ordre d’Assemblée constituante pouvait donc être utilisable pour le prolétariat, même s’il avait vocation à être très vite dépassé. Trotsky notait ainsi à propos de l’Allemagne tenue sous le joug nazi : " Dans le cour du réveil révolutionnaire des masses, les mots d’ordre démocratiques constitueraient inéluctablement le premier chapitre. "


Et en Italie, en 1943, après plus de vingt années de despotisme mussolinien, la réalisation des droits démocratiques les plus élémentaires étaient une exigence générale. Mais le rétablissement de ces droits (ou pour certains d’entre eux, leur simple établissement), comme l’exigence d’une Assemblée constituante, s’opposait au maintien du roi et Badoglio, et ouvrait la voie à l’affrontement avec le bourgeoisie. En cela, ces mots d’ordre étaient dangereux pour l’ordre bourgeois.

" LE TOURNANT DE SALERNE "


C’est Staline, et le PCI à la suite, qui va, par une intervention brutale, permettre la survie du gouvernement Badoglio que les masses veulent chasser. Le 13 mars 1944, de manière apparemment inattendue, Staline et la bureaucratie du Kremlin reconnaissent la légalité de la nomination de Badoglio par le roi Victor Emmanuel III. C’est un premier coup de poignard dans le dos du prolétariat italien. Aussitôt le nouveau dirigeant du PCI, Togliatti, de retour de Moscou, propose d’intégrer le gouvernement Badoglio et de renvoyer à plus tard la question de l’Assemblée constituante. : applaudissent les catholiques de la D.C et de leur dirigeant De Gasperi, tous prêts à collaborer avec le roi. Alors seulement les autres partis bourgeois dits " anti-fascistes " ainsi que le PSI entrèrent au gouvernement. Ce fut ce que l’on appela la " svolta di Salerno " : la reconstruction de l’Etat bourgeois italien, par la transition ainsi organisée avec l’ancien régime de Victor Emmanuel III et de Mussolini, pouvait s’engager.


En juin 1944, Rome était abandonnée par les troupes allemandes. Conformément aux transactions antérieures organisées par Churchill, le roi Victor Emmanuel III compromis avec le fascisme laissant la place à son fils tandis qu’un socialiste, Bonomi, devenait chef du gouvernement. Un décret décidé que la mise en place d’une Assemblée constituante se fera quand toute l’Italie aura été libérée. Cette libération complète est effective au printemps 1945, l’insurrection dans les grandes villes du Nord précédant l’arrivée des troupes anglo-américaines. Mais, conformément aux ordres donnés par les dirigeants du PCI et du PSI, la plupart des résistants rendirent alors leurs armes.


Le 20 juin est installé le premier gouvernement d’après guerre, conduit cette fois par Ferruccio Parri, dirigeant d’une formation bourgeoise, le Parti d’action. Ceci n’est qu’un transition vers un deuxième gouvernement formé en décembre 1945, incluant tous les partis dits " antifascistes " du Comité de Libération Nationale et dirigé par le démocrate chrétien De Gaspéri : l’épuration engagée contre les fascistes était suspendue, les préfets et hauts fonctionnaires nommés par le Comité de Libération du Nord et la propriété privée des moyens de production soigneusement protégée. Quant aux élections pour l’Assemblée constituante, elles étaient renvoyées à plus tard.

 

Dès lors, cette Assemblée n’aurait plus comme fonction que d’entériner la pleine restauration de l’État bourgeois. Restait à trancher la forme de l’État bourgeois : république parlementaire ou monarchie constitutionnelle, décision qui aurait dû incomber à cette Assemblée constituante. Mais le Vatican et une grande partie de la DC étant résolument favorable au maintien de la monarchie, il fut décidé que cette question ferait l’objet d’un référendum préalable. De même fut-il décidé que cette assemblée ne pourrait adopter aucune loi, l’exclusivité du pouvoir législatif demeurant aux mains du gouvernement d’union nationale : tout ceci en accord avec les autorités américaines et les dirigeants du PCI et du PSI.


Dès lors, et en l’absence de Parti révolutionnaire, le mouvement des masses ainsi entravé ne pouvait que refluer : l’ordre bourgeois était rétabli. Ce reflux s’exprima aux élections pour l’Assemblée constituant de juin 1946, la Démocratie chrétienne obtenant à elle seule 35.2% des suffrages exprimés sans compter les autres partis bourgeois. Pourtant, le PCI obtenait 18.9% et le Parti Socialiste (appelé PSIUP de 1943 à 1947) 20.7%. Et le Vatican et la Démocratie chrétienne ne purent empêcher que, lors du référendum d’avril 1946, la dynastie monarchique soit balayée et une République parlementaire instaurée.


MISE EN PLACE DE LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE


De juin 46 à mai 1947, deux gouvernements dirigés par De Gaspéri et incluant le PSI et le PCI se succèdent, oeuvrant à la reconstruction de l’économie capitaliste et au renforcement de l’appareil d’Etat. Les anciens fascistes, emprisonnés ou inculpés, sont réhabilités et réintègrent leurs fonctions dans l’armée, la police, la justice, tandis que les anciens résistants sont éloignés.


Ainsi, la vague révolutionnaire de 1944-45 est contenue grâce à la sainte alliance contre révolutionnaire de l’impérialisme américain et de la bureaucratie du Kremlin. Mais face au danger que constitue le prolétariat (grève à Renault en janvier 1947, grèves en Allemagne…), l’impérialisme américain doit modifier son plan. Il renonce à transformer l’Europe " en champ de pommes de terre " et doit impulser la reconstruction des États bourgeois et de leur économie. En application du discours prononcé par Truman devant le congrès américain en mars 1947, le PCI (comme le PCF) sont exclus de leurs gouvernements respectifs.


Le gouvernement italien s’aligne résolument sur le gouvernement américain, dont il va devenir le protégé. De Gasperi décide de rompre avec le PCI. En ce qui concerne le Parti Socialiste, dès janvier 1947, une minorité conduite par Saragat et favorable à la rupture avec le PCI, avait fait scission. (Cette scission deviendra en 1952, le PSDI, Parti Social Démocrate italien). Mais la majorité du Parti Socialiste, avec Pietro Nonni, était pour le maintien du parti d’unité d’action conclu avec le PCI. De ce fait, la décision prise par la Démocratie chrétienne de mettre fin au gouvernement avec le parti communiste entraîna également la rupture avec le Parti socialiste. Le nouveau gouvernement De Gasperi, présenté le 31 mai 1947 et composé exclusivement de démocrates chrétiens et de " techniciens ", obtient l’appui des députés monarchistes te de ceux pro-fascistes.


La collaboration du PCI et du PSI avec la Démocratie chrétienne ne cessa pas pour autant et se poursuivit sereinement au sein de l’Assemblée et des commissions chargées de préparer la nouvelle constitution en décembre 1947 c’est ainsi que cette constitution inclut la reconnaissance du traité de Latran qui avait été conclu en 1929 entre le Vatican et le régime fasciste, concordat parfaitement contraire aux libertés bourgeoises les plus élémentaires. Il proclame en particulier le catholicisme, religion officielle de l’Etat, impose l’enseignement religieux dans les écoles publiques, donne au mariage religieux une valeur légale, etc.. On échappa de justesse à l’indissolubilité du mariage. Et si les écoles privées étaient autorisées, c’était " sans charge de l’Etat ".


Tout ceci fut voté avec la bénédiction des dirigeants staliniens du PCI mais sans l’appui ni du PSI ni du Parti d’action. En janvier 1948, la Ière République était installée. Et le gouvernement s’élargissait au groupe " social-démocrate " de Saragat. La bourgeoisie ayant ainsi entièrement repris l’initiative, la Démocratie chrétienne triomphe aux élections législatives de 1948, avec 48.5% des suffrages et 305 députés pour 574 sièges, tandis que le " Fronte populare " incluant PCI et PSI recueillait 31% des voix. L’hégémonie de la DC était désormais incontestable. Dans le cadre des " trente Glorieuses " et de la C.E.E., et sous l’impulsion de l’Etat, le capitalisme italien allait connaître un essor important, se prolongeant dans les années quatre-vingt. Néanmoins, comme sous produit de la vague révolutionnaire de la fin de la guerre, et en dépit de toute le politique conduite par le PCI et le Parti socialiste, la classe ouvrière italienne avait acquis outre l’élimination de la monarchie le rétablissement des libertés démocratiques, voire l’extension de certaines d’entre elles, ainsi que des concessions sociales et économiques importantes (fondamentales. Ce sont ces acquis, dont certains ont été renforcés au cours des décennies suivantes, que la bourgeoisie italienne a entrepris aujourd’hui de remettre en cause.

Partager cet article
Repost0
25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 08:54

479px-Capitalism_bild.jpg

Partager cet article
Repost0
24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 11:42

 

 

 

La chanson qui a donné le signal de la Révolution de Oeillets

 

Par Francisco Louça le Mardi, 04 Juillet 2006

 

La date du 9 septembre 1973 ne dit sans doute rien à personne. Elle fut pourtant le point de départ d'un événement qui allait secouer toute l'Europe: la révolution portugaise de 1974-1975. Ce jour-là, cent trente-six officiers de l'armée portugaise se réunissent. Ils discutent de revendications professionnelles, dans un esprit de corporation menacée. Mais les circonstances de la guerre coloniale (le Portugal s'essoufflait à défendre un vaste empire colonial contre les guerres de libération au Mozambique et en Angola, notamment) et de la dictature allaient les pousser beaucoup plus loin.


Deux mois plus tard ils préparaient un coup d'État contre la dictature du général Caetano. C'était un secret de polichinelle: le commandant de la région militaire d'Evora avait pris note des numéros d'immatriculation des voitures qui avaient amené les participants à la réunion. Mais la police secrète du régime, la Pide, n'avait pas l'habitude d'agir contre ses propres alliés, les militaires, ce deuxième pilier du régime...

 

La dictature s'efface


Le l4 mars 1974, les généraux jurent fidélité aux chefs de la dictature. Une révolte militaire devait éclater deux jours plus tard. Elle est annulée, mais le contre-ordre tarde à parvenir à Calda da Rainha, de sorte que des militaires marchent sur Lisbonne, où tout se résout sans grandes émotions. La "révolution des oeillets" triomphe. Le dictateur Caetano? Il était déjà en train de tomber, convaincu de l'inévitabilité d'un coup d'État militaire contre son régime.

La police secrète mise à part, la dictature s'effaça donc sans grande résistance. Elle était isolée de la population, sans volonté ni initiative, comme dégoûtée de sa propre répression et du machiavélisme jésuitique de son fondateur, le fasciste Salazar. Cette chute allait plonger la société portugaise, atomisée, dépendante, subordonnée dans une crise pré-révolutionnaire que l'on peut découper en trois grandes périodes.

 

La période des généraux


La première période fut celle des généraux. Le général Spinola, qui avait énoncé ses projets dans un livre, "Le Portugal est l'avenir", occupa le pouvoir comme si celui-ci lui était naturellement destiné. Les capitaines se soumirent, fidèles au sens de la discipline et de la hiérarchie. Mais les discussions sur le programme du Mouvement des Forces Année, le MFA, allaient être rapidement dépassées par les événements.

 

Très vite, la mobilisation populaire entame en effet la libération de tous les prisonniers politiques et exige la fin des hostilités dans les colonies et le rapatriement des troupes d'outre-mer. Le projet de Spinola était tout différent. Le général voulait barrer la route à un pouvoir multipolaire dans lequel les rapports de forces se seraient décidés entre la junte, le MF A, les initiatives populaires et celles des partis. Son projet était un projet de continuité organique du régime. il visait seulement, par une ouverture temporaire, à lâcher une partie de la pression sociale et politique.

Le discours de Spinola lors de la prise du pouvoir était très clair à ce sujet: le général déclara en effet que "le destin des territoires d'Outre-mer devrait être décidé par tous ceux qui considéraient ces territoires comme les nôtres" et que la présidence allait garantir "la survie de la Nation souveraine comme un tout pluricontinenta1". Mais ce projet d'État fort échoua, faute de légitimité. Spinola se réfugia en Espagne, d'où il lança une campagne terroriste. Aujourd'hui il est maréchal tandis que son compère Mellos est banquier...

 

La période des capitaines


Mais n'anticipons pas, la deuxième période fut celle des capitaines. Après l'échec de Spinola, on vit se constituer une étrange pouvoir militaire à géométrie variable. il s'adapta avec souplesse aux accords entre partis, prit des mesures économiques d'urgence, élabora des réponses aux pressions sociales qui se focalisaient autour des occupations de terres par les paysans pauvres et des occupations de fabriques par les ouvriers. il prit même des mesures défensives contre le sabotage économique d'un patronat rétrograde, pour pouvoir résister à la montée impétueuse des revendications et des actions populaires. C'est de cette époque que datent toute une série d'acquis tels que les nationalisations de terres et d'entreprises, que les gouvernement ultérieurs s'acharnèrent à démanteler, sous la houlette de la social-démocratie.

 

La fragilité des structures sociales était le fait dominant dans cette situation sans précédent. Comme le dictateur déchu devait l'expliquer lui-même, dans un livre publié au Brésil où il s'était réfugié: « La bourgeoisie portugaise, habituée à jouir d'un climat de paix durant plus d'un demi-siècle, sous la protection des nombreuses institutions qui lui servaient de tuteur, n'avait pas d'esprit combatif et ne semblait pas agir pour défendre les principes qu'elle disait professer".

Les spinolistes financèrent et impulsèrent des partis bourgeois, le PPD (Parti Populaire Démocratique) et le CDS (Centre démocratique et Social), mais ces partis étaient si marginaux et si mal articulés sur le pouvoir politique qu'ils n'avaient guère de capacité de manoeuvre sociale. De l'autre côté, les partis de la gauche institutionnelle ne canalisaient pas non plus les mobilisations et ne contrôlaient pas la dynamique sociale.

Cette déshérence permanente des partis conféra une grande autorité au Mouvement des Forces Armées (MFA) qui, auréolé du prestige du coup d'État, put jouer un rôle de premier plan pour tenter de canaliser les multiples pressions sociales en s'y adaptant.

 

Le phénomène MFA

Minoritaire au sein de la hiérarchie militaire, sans projet cohérent, le mouvement des capitaines vivait de ses propres illusions. Il ambitionnait de créer "un appareil d'État à base populaire". Son document programmatique détaillait une véritable géographie des pouvoirs populaires, de la base au sommet, à laquelle aucun signataire ne croyait évidemment. Le MF A discuta en profondeur ces thèses, totalement inédites pour des militaires. A telle enseigne que le conflit social finit par éclater au sein de l'armée.

 

La période des soldats


Ainsi s'ouvrit la troisième période de la révolution portugaise, celle des soldats. Ce fut la période la plus courte, qui dura l'espace d'un printemps au cours duquel les soldats se manifestèrent tandis que le MF A se dissolvait en diverses fractions. Le Président décréta l'État de siège à Lisbonne. Des centaines de soldats bouclèrent la ville, des centaines d'ordres furent donnés pour tenter de contrôler une armée dans laquelle plus personne ne savait quoi faire.

Mais la bataille pour un changement social en profondeur était déjà perdue, et la stabilisation du Portugal capitaliste sous un régime "démocratique" était déjà en bonne voie. La chance a été manquée par manque de capacité de mobiliser un front uni des travailleurs, et aussi parce qu'il aurait été nécessaire de développer et d'approfondir un processus de mobilisation populaire condensant les expériences concrètes de démocratie directe, de participation et d'action immédiate des habitants des quartiers et des organisations de travailleurs.

 

Le 25 novembre 1975 marque le point final de la montée pré-révolutionnaire et la victoire de la contre-révolution "démocratique". La question centrale de la période ouverte par le 25 avril 1974 fut la désynchronisation entre les rythmes de développement de la crise des appareils d'État et de la mobilisation/organisation des classes sociales. Cette distance a marqué tous les conflits, mais elle a aussi donné une légitimité au conflit: la fragilité des appareils de répression et la contradiction entre les organes de décision, décentralisés du fait des luttes de tendance au sein du MFA, a ouvert tout un champ d'action aux mouvements populaires et, dans certains cas, a stimulé les initiatives. Mais elle a aussi aggravé les illusions sur l'appareil d'État, notamment sur certains secteurs des forces années.

 

Leçons stratégiques


Le problème que cette réalité nous pose aujourd'hui est de comprendre que l'augmentation de la marge d'autonomie réelle de l'État face à la société dans une situation de confrontation généralisée peut être un instrument efficace pour l'absorption des conflits. De la sorte, l'expérience portugaise s'inscrit en faux contre les théories de la gauche réformiste institutionnelle, qui voit l'occupation de parties de l'appareil d'État comme stratégie de la transformation sociale.

 

Elle s'inscrit en faux aussi contre des théories plus sophistiquées, prétendant que l'État, au sens marxiste et léniniste du terme, c'est-à-dire en tant qu'instrument de coercition au service de la dictature plus ou moins ouverte du capital, n'existait plus pendant la révolution portugaise.

L'État portugais n'était certes plus capable de jouer son rôle de coercition et de répression, mais il gardait son hégémonie sur la société, et cette hégémonie faisait barrage à une organisation populaire alternative. Cet État délabré, divisé, n'en montra pas moins sa capacité d'initiative, de résorption des conflits, d'absorption des fractures sociales.

Le 25 novembre 1975, qui marque la fin de la période pré-révolutionnaire dans le pays et la victoire de la "contre-révolution démocratique", est la démonstration chimiquement pure du pouvoir propre de la superstructure étatique, et de son rôle décisif dans le maintien du système capitaliste.

 

Les crises révolutionnaires ne durent pas éternellement. Tant que la classe dominante garde son appareil d'État, et si délabré que soit celui-ci, elle garde en même temps la possibilité de rasseoir son pouvoir dès que la mobilisation de la classe ouvrière s'essouffle. Du coup, elle garde aussi la possibilité de récupérer tous les acquis qu'elle a dû concéder aux masses pour éviter l'irréparable.

C'est ce que la classe dominante portugaise s'est employée à faire à partir de l'automne 1975, jusqu'au jour d'aujourd'hui. Sous la houlette de la social-démocratie d'abord, en se passant des services de celle-ci ensuite.

 

 

Partager cet article
Repost0
23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 11:02

 

 

1er janvier 2009

Le 1er avril dernier, nous apprenions la mort de Manning Marable, l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire afroaméricaine, professeur à Columbia (New York). Âgé de 60 ans, il venait de publier une imposante biographie de Malcolm X, sur laquelle il travaillait depuis de longues années. Jusqu’ici, la vie de Malcolm avait été lue au prisme de son autobiographie, mise en musique par Alex Haley. Son principal intéressé n’avait pu en contrôler la version finale avant sa mort. En 1992, elle était mise en images par Spike Lee. Les circonstances précises de son assassinat, le 25 février 1965, et surtout les noms des commanditaires de celui-ci, ne sont toujours pas connus avec certitude. Enfin, la vie de Malcolm X, une « réinvention » permanente, défie les interprétations les plus hardies. Saisir l’évolution de sa pensée est le principal défi que tente de relever Marable. Son livre fera date et on peut en espérer une traduction française rapide. Nous publions ici le texte d’une interview qu’il a donnée à un journaliste free-lance canadien, Simon J. Black, publiée en 2009. (Jean Batou). [Cette interview est disponible en anglais sur ESSF [1].]

 


Simon J. Black – Quand on parle de W.E.B. Dubois, de A. Phillipp Randolph, de Bayard Rustin ou de Martin Luther King, on n’évoque pas seulement de grands intellectuels, dirigeants du mouvement pour les droits civiques, mais aussi des partisans d’un socialisme démocratique. Malcolm X s’est aussi positionné à gauche dans la dernière partie de sa vie. Tout ceci a été largement occulté ou censuré par l’histoire dominante du mouvement pour les droits civiques. Quels effets cela a-t-il eu sur la manière dont les Afroaméricain·e·s se situent par rapport à la gauche, sur les relations de la gauche, noire et blanche, avec la communauté afroaméricaine ?


Manning Marable – Les Afroaméricain·e·s qui s’identifient au socialisme ou à des perspectives de gauche ont été attirés par cette orientation en comprenant que l’injustice raciste ne découle pas d’une simple dynamique de couleurs, mais qu’elle est en lien avec les handicaps cumulés qui découlent de l’économie de marché et de l’hégémonie du capital sur le travail. Les Noir·e·s états-uniens et de toutes les Amériques sont arrivés sur ce continent involontairement, du fait de la demande de main d’œuvre et de la soif inextinguible des propriétaires de moyens de production de développer, au meilleur compte, un réservoir de travail pour en extraire de la plus-value et des surprofits.

Le moteur de la traite transatlantique a été le capital, comme l’a montré Eric Williams, il y a plus de cinquante ans, dans Capitalisme et esclavage (1944). Le 15 janvier 1965, un mois avant sa mort, Malcolm a donné une interview au Canada, dans laquelle il disait : « Toute ma vie j’ai cru que la lutte fondamentale opposait les Noirs et les Blancs, Je comprends maintenant que c’est en fait celle des possédants contre ceux qui n’ont rien ». Malcolm est arrivé à la même conclusion que Martin Luther King. La lutte se situe entre possédant·e·s et dépossédé·e·s, c’est aussi celle de Fanon dans Les damnés de la terre (1961).

 

Ceci a conduit à ce que certains ont appelé le marxisme noir, qui combine la tradition de radicalité découlant des formes extrêmes de surexploitation de la main d’œuvre noire à l’échelle planétaire et les réponse politiques qu’elles ont suscitées. Ainsi, […] nous avons été attirés par Marx parce qu’il nous aidait à mettre en lumière et à clarifier les conditions matérielles objectives de la pauvreté, du chômage et de l’exploitation dans la vie des Noir·e·s. Nous sommes devenus socialistes ou marxistes, parce que nous avions compris qu’il n’y avait pas de chemin vers la libération des Noir·e·s qui ne soit pas simultanément une mise en cause de l’hégémonie du capital sur le travail.

 

Dans votre nouvelle biographie, Malcolm X : A Life of Reinvention, vous parlez de trois chapitres manquants de l’autobiographie de Malcom, écrite en collaboration avec Alex Haley. Que leur est-il arrivé ? Et quelle est leur importance pour comprendre sa vie ?


Ils sont dans le coffre-fort d’un avocat, Gregory Reed, à Detroit (Michigan). Il ne les montre à personne. Pourquoi et comment est-ce arrivé ? Fin 1992, lors d’une vente aux enchères des affaires d’Alex Haley, il a acheté ces chapitres écartés de l’autobiographie pour cent mille dollars.

 

Alex Haley était le « nègre » de Malcolm X et le co-auteur du livre. Il faut se souvenir que Haley a ensuite accédé à une grande célébrité comme auteur de Roots (1976) [Racines, Paris, 2000], l’un des plus gros tirages de l’édition étasunienne et un documentaire-fiction à la TV qui a eu un profond impact sur les relations raciales à la fin des années 1970. Haley était profondément hostile aux idées politiques de Malcolm. C’était un républicain, un adversaire du nationalisme noir, un intégrationniste. Il avait servi dans les garde-côtes pendant vingt ans. Mais il savait aussi reconnaître une bonne affaire.

 

Un dirigeant noir charismatique, élégant, éloquent, au passé controversé dans le monde de la drogue et de la prostitution […], qui aurait terrorisé la communauté de Harlem dans les années 1940, avant d’être condamné à dix ans de prison. Il va subir une métamorphose, devenir un Black Muslim, sortir de prison et s’affirmer comme personnalité de tout premier plan. Il crée 70 à 80 nouvelles mosquées en moins de dix ans et transforme une petite secte de 400 adeptes en une organisation de cinquante ou cent mille personnes en 1960-1962. Puis, il se tourne plus ouvertement vers la politique, rompt avec la Nation of Islam (NOI) et construit deux nouvelles organisations : la Muslim Mosque Incorporated en mars 1964 et l’Organisation of Afro-American Unity (OAAU) en mai 1964. Il voyage en Afrique et au Moyen-Orient, où il est traité comme un chef d’Etat. Il est accueilli par la famille royale saoudienne, s’assied aux côtés de Nasser et déjeune avec Sadate en Egypte. Il fait la connaissance de Che Guevara et le fréquente au cours de son périple africain, comme il le racontera dans une causerie de 1964 à l’Audubon Ballroom.

 

Malcolm est un personnage extraordinaire, qui meurt à 39 ans. Une histoire d’enfer… ce qu’Haley a compris. C’est sur cette base qu’il accepte de travailler avec Malcolm et d’écrire le livre. Mais ce que Malcolm ignore, c’est qu’Haley est déjà un pourvoyeur d’informations pour le FBI, dans sa campagne de désinformation contre la NOI. Halley est donc un collaborateur du FBI, ce que Malcolm n’a jamais su. En été 1964, alors que Malcolm est en Egypte, Haley reprend le livre et le confie à un avocat, William O’Dwyer, récrivant des passages en tentant de faire passer ce travail pour celui de Malcolm. Or Malcolm est en cavale, fait l’objet de tentatives d’assassinat, on essaie de l’empoisonner en Egypte… il n’a pas le temps d’examiner le livre attentivement. Puis, il meurt.

 

Haley ajoute un appendice de 79 pages, dans lequel il développe son point de vue intégrationniste et républicain libéral. […] Ainsi, il fait nombre de choses pour « recadrer » le livre. Vers la fin, il contient de nombreux passages où ce n’est pas Malcolm qu’on entend, ça ne lui ressemble pas. Il donne beaucoup d’informations qui sont tout simplement fausses. […] de simples erreurs de dates, de noms, sur des événements, qui montrent que Malcolm n’a pas eu accès au manuscrit final. Et le livre est publié neuf mois après sa mort […] Cela me fait dire qu’il faut lire cet ouvrage avec un esprit très critique. C’est un livre merveilleux, une œuvre littéraire de premier plan. Mais pas une véritable autobiographie. […] J’ai compris que je devais déconstruire l’autobiographie pour écrire la biographie. […]

 

Que soupçonnez-vous que contiennent ces trois chapitres manquants ?


Je les ai vus pendant 15 minutes environ. J’ai rencontré leur propriétaire. J’en ai parlé dans mon livre Living Black History (2006), qui contient tout un chapitre à ce propos. Je ne pouvais pas m’en servir dans la biographie, mais je devais raconter cette histoire à quelqu’un. J’ai parlé à Gregory au téléphone, l’avocat qui avait acheté ces chapitres pour cent mille dollars et qui veut en tirer profit. Je l’ai appelé, nous en avons parlé. Il m’a dit : « Prenez un vol pour Detroit, venez à mon étude. Je vous y montrerai ces chapitres ». Je suis allé à Detroit, où il m’a dit de ne pas venir à son bureau et m’a fixé rendez-vous une heure plus tard dans un restaurant. Il y est arrivé avec une demi-heure de retard, muni d’une serviette, et m’a dit : « Je vous laisse les voir quinze minutes ». […]

 

Me voilà donc assis à lire frénétiquement ces pages. Je me rends compte très vite de ce dont il est question. Elles ont été écrites de toute évidence entre août et décembre 1963 et semblent indiquer que Malcolm faisait encore partie de la NOI ; il n’avait pas rompu avec elle. Elles appellent à la création d’un front unique sans précédent des organisations noires, dirigé – notez-le – par la NOI. Ainsi, Malcom envisage-t-il que la NOI puisse participer aux luttes antiracistes et développer différents types de campagnes : économique, sur le logement, sur la santé publique, etc., avec la NAACP, avec l’Urban League, avec le Congress of Racial Equality (CORE), le Student Non-violent Coordinating Committee (SNCC). Ainsi, il compte pousser cette organisation semi-islamique, de nature religieuse, vers la société civile noire, et ceci de façon agres- sive. Il veut ouvrir la NOI.

 

Je suspecte fortement que c’est cette orientation de Malcolm et son insistance à s’adresser à la communauté des droits civils, au SNCC et au CORE, qui lui ont attiré des ennuis au sein de la NOI, parce qu’elle était en grande majorité opposée au prosélytisme de Malcolm, qui avait amené des dizaines de milliers de nouveaux membres à adhérer. La vieille garde se sentait menacée. De surcroît, en avril 1962, le meurte de Ronald Stokes, dans la mosquée de la NOI à Los Angeles, a marqué un tournant dans la carrière de Malcolm. Il s’est envolé pour LA et y a passé plus d’une semaine, appelant à une large coalition contre la violence policière envers les Noir·e·s, très proche de celle qu’il évoquait dans les chapitres manquants de son autobiographie, avec le CORE, le NAACP et le SNCC. Il évoquait la participation de la NOI en tant que telle dans cette coalition. Pour Elijah Muhammad , dirigeant de la NOI, il n’en était pas question ; il l’a rappelé en lui disant : « tu va calmer le jeu et te tirer de Los Angeles ». Malcolm a été profondément gêné et humilié d’avoir à abandonner la lutte après le meurtre d’un membre de la NOI par la police de Los Angeles. […]

Malcolm revient donc à New York et, en juillet 1962, prend la parole dans une manifestation syndicale. J’ai une photo où il s’exprime pour le Local 1199, favori de Martin Luther King, aujourd’hui le plus important syndicat de New York. A Noël 1962, deux membres de la NOI qui vendent Muhammad Speaks [son journal] à Time Square, sont arrêtés par la police. Comment Malcolm réagit ? Il envoie 140 à 150 membres du Fruit of Islam – l’organisation paramilitaire de la NOI – manifester à Times Square pour le Nouvel An. Pour Elijah Muhammad, il ne faut pas de manifestation, pas d’activité politique publique. Malcolm fait exactement le contraire. Et il commence à faire cela un an et demi avant sa réduction au silence, avant sa rupture. […]

 

Dès la fin 1962, le journal de la NOI cesse de parler de Malcolm. En dépouillant méthodiquement la dernière année – de décembre 1962 à décembre 1963 – on ne trouve qu’une seule référence à Malcolm dans son propre journal. Porte-parole national de la NOI, il est mentionné plus souvent par le New York Times. Nous sommes pratiquement une année avant la rupture, et on voit déjà où il va. Il ne faut donc pas être bien perspicace pour réaliser qu’Elijah Muhammad et son entourage se sont contentés d’utiliser la déclaration de Malcolm, après l’assassinat de Kennedy, en novembre 1963 – « qui sème le vent récolte la tempête » – comme prétexte pour faire ce qu’ils voulaient, détruire son influence et rompre avec son orientation politique. Je pense qu’ils s’attendaient à sa soumission. La plupart de ses proches collaborateurs au sein de la NOI pensaient aussi qu’il allait baisser la tête. Ils n’étaient pas prêts à une rupture, tandis que Malcolm l’avait envisagée. Peut-être n’y était-il pas prêt non plus, mais il en avait anticipé la possibilité.

 

Au début de 1964, il commence à prendre contact avec de nombreuses personnes en dehors de la NOI pour développer l’Organization of Afro-American Unity (OAAU). Lorsqu’il quitte la NOI, peu de ses membres le suivent, peut-être 100 à 150, alors que la mosquée d’Harlem a quelque 7000 membres. Ils fondent la Muslim Mosque Incorporated (MMI) et deviennent des musulmans sunnites. Mais l’OAAU est une organisation séculière avec une base ouvrière et des classes moyennes, de salarié·e·s qualifiés, d’écrivains comme Huey et Mayfield, d’historien·ne·s comme John Henrik Clark, etc. Son principal organisateur est Lynn Shifflet de NBC News, une jeune productrice noire d’une petite vingtaine d’années. […]

 

L’Organization of Afro-American Unity est-elle réellement le point culminant du développement de la pensée de Malcolm, qui a été retracée par Haley dans ces trois chapitres ?


Les chapitres manquants ont été écrits avant la rupture. Haley prétend que Malcolm a changé d’avis après son voyage à la Mecque et décidé de les supprimer. Peut-être est-ce vrai. Nous ne le saurons jamais. Mais ce qui est certain, c’est qu’il serait bien d’imprimer ces éléments supprimés, d’ajouter un addendum ou une annexe à l’autobiographie. Il serait sans doute utile d’en avoir connaissance, bien que je ne puisse pas vraiment l’affirmer. Je n’ai eu ces papiers entre les mains qu’une quinzaine de minutes. Peut-être suis-je l’heureux élu, mais ils finiront pas être publiés. Nous les verrons.

 

L’œuvre de Malcolm et son héritage intellectuel ont été activement effacés depuis quarante ans. Et cet effacement a été délibéré pour plusieurs raisons. D’abord, de nombreuses personnes clés de son entourage, au sein de la NOI et de l’OAAU, ont dû prendre le large. Je viens juste d’interviewer cette semaine James 67X Shabazz (Abdullah Razzaq) qui a vécu dans la clandestinité en Guyanne pendant 19 ans, parce qu’il était menacé d’assassinat et poursuivi par le FBI. C’est seulement maintenant, à l’âge de 75 ans, qu’il revient aux Etats-Unis quelques mois par an. […] Les autres compagnons les plus proches de Malcolm sont morts. […]

 

Durant ces sept dernières années, nous avons travaillé très dur pour mener une enquête criminelle sur l’assassinat de Malcolm. Et nous pensons être arrivés à établir comment il a été commis. Pour autant, nous ne savons pas qui a donné les ordres. [Marable fournit ici une série d’éléments détaillés sur les circonstances du drame avant de cibler des responsables, NDT]. Il a été tué le 21 février 1965, comme point culminant de l’action […] de différents groupes. Il ne s’agit pas d’une conspiration classique, d’une collusion directe, mais plutôt d’une convergence. […] Les forces de l’ordre, le FBI, la police de New York et son Bureau des services spéciaux (BOSS) – son équipe de choc – se sont activement efforcés d’interrompre la surveillance de Malcolm, s’ils n’ont pas tentés directement de l’éliminer ; le FBI voulait certainement s’en débarrasser, parce que leur cauchemar était de voir M. L. King et Malcolm X se donner la main. […]

 

Malcolm était allé en Alabama, trois semaines avant son assassinat, pour se rapprocher de King. Ce dernier se trouvait alors en prison pour avoir dirigé des manifestations. Malcolm s’est alors adressé à Coretta Scott King [son épouse, NDT] pour lui dire la chose suivante : « Je voudrais que vous transmettiez à votre mari mes plus profonds respects et que vous lui disiez que je ne cherche pas à miner l’œuvre du Dr King. Mon objectif est d’être à la gauche du Dr King, de défier le racisme institutionnel afin que ceux qui sont au pouvoir doivent négocier avec King. C’est mon rôle ». C’est ainsi que Malcolm comprenait son rôle. C’était le cauchemar du FBI. Si bien que celui-ci a voulu briser son influence, voire le réduire au silence pour toujours.

Mais il y a aussi la NOI. Il faut comprendre qu’il y avait différents points de vue sur Malcolm en son sein. Certains membres de la direction, spécialement à Chicago, comme le secrétaire national John Ali, Raymond Shareef à la tête de Fruit of Islam, le beau-fils d’Elijah Muhammad Jr., et quelques autres voulaient le faire taire définitivement. Joseph X, qui était l’un des capitaines de Fruit of Islam et le directeur de la sécurité de la Mosquée nº 7, dans la région du Nord Est, auparavant associé et ami de Malcolm, comme John Ali, ont activement envisagé de l’éliminer, de le tuer, de faire exploser sa maison etc. Mais d’autres membres de la NOI étaient contre le meurtre ; on peut même se demander si Elijah Muhammad en a jamais donné l’ordre. […] En fait, il n’avait pas besoin de donner l’ordre, le mal était fait. Ce qui devait être accompli avait été compris. […].

 

Que fait globalement votre biographie pour mettre en scène un nouveau Malcolm X, une réinvention de lui-même, comme le suggère le titre de votre livre, puisqu’il s’est réinventé à plusieurs reprises ? Que fera-t-elle pour détrôner l’interprétation dominante de Haley et de Spike Lee sur le sens à donner à la vie de Malcolm ?


Il y a trois choses fondamentales dans mon livre. La première est ce que j’ai appelé « une vie de réinvention ». L’histoire de Malcolm est celle d’un héro qui n’est pas différent de celui de L’Odyssée – un voyage, un apprentissage, une expérience, des épreuves et des tests, une sorte d’épopée classique. C’est une histoire tragique, qui se termine fréquemment ou habituellement par la mort. Mais à la fin, on atteint une conscience critique plus étendue, plus riche, plus profonde. Le point important de ce récit, c’est que Malcolm se développe au fil d’une série de réinventions créatives, artistiques.

 

Il se réinvente tant et si bien que ces réinventions prennent différents noms. Il est Jack Carlton à l’été 1944. Lorsqu’il a 19 ans, il veut percer dans le show biz et travaille au Lobster Pond bar, sur la 42e rue de Manhattan, comme batteur et danseur professionnel, durant trois à quatre mois. Il ne dit rien de cela dans son autobiographie. Il faut aller à la recherche de ce type d’informations pour les trouver. […] En prison, Malcolm se fait appeler à certains moments Malachi Shabaz. Il est Malcolm X, El-Hajj Malik El-Shabazz. Il a beaucoup, beaucoup de noms différents, Detroit Red, Homeboy, Mascot, Satan, lorsqu’il est en prison. Pourtant, à travers ces transformations, il est capable de piloter brillament une vie de réinvention.

 

Ce qui distingue Malcolm des autres figures noires de l’histoire américaine, c’est qu’il combine les deux caractères centraux de la culture populaire noire. Il est à la fois le filou et le pasteur. Il est Detroit red – l’arnaqueur, le joueur, le hors-la-loi – et le pasteur qui sauve les âmes, qui rédime les vies, qui guérit les malades et ressuscite les morts. Il est les deux à la fois. M. L. King est l’un d’entre eux, Jesse Jackson aussi. Malcolm est les deux : il saisit la rue et le lumpenprolétariat (je déteste, ce terme, mais il vient de Marx). Il se perçoit aussi comme un pasteur, un ecclésiastique. Il incarne l’esprit et la culture du peuple noir mieux que quiconque. Lorsque j’ai demandé, il y a une dizaine d’années, à l’un de mes étudiants : «  Quelle est la différence fondamentale entre Malcolm et Martin ? ». Il m’a répondu : « C’est simple. M. L. King Jr appartient au monde entier. Malcom X est à nous ». Il y a un degré considérable d’identification de la part de personnes d’ascendance africaine et, dans le monde, de la part des musulmans qui ont investi la figure de Malcolm. Le premier timbre poste honorant sa figure n’a pas été imprimé aux Etats-Unis, mais par le gouvernement de Khomeini en Iran, en 1982, par les musulmans chiites. Peut-être savaient-ils quelque chose que personne d’autre ne savait.

 

Le second thème du livre est un voyage spirituel : l’évolution de Malcolm à la périphérie de l’islam, de la NOI à l’islam sunnite. […] Il a dû embarrasser Nasser et sa définition de l’islam dans le monde panarabe. Nous disposons en effet d’articles et de discours très intéressants de Malcolm au Caire. Les textes qu’il a écrits au cours de l’été et du mois de septembre 1964, très critiques par rapport à Israël, l’ont placé sous un jour très intéressant par rapport aux luttes arabes et palestiniennes, que l’on n’avait observé que rarement aux Etats-Unis auparavant.

 

Le troisième thème est la trahison. Malcolm avait une faculté ethnographique pour déchiffrer un auditoire, bien mieux que n’importe quel orateur de sa génération. Il connaissait les gens. Il pouvait se tenir devant un public, le décoder et s’adresser à lui brillamment. Il pouvait ainsi débattre aussi bien à Harvard ou à Oxford, qu’à la 125e rue ou à Lenox Avenue/7e Avenue [Harlem, NDT]. C’était un orateur remarquable. Cependant, il péchait par son incapacité à porter des jugements critiques appropriés sur les personnes qui lui étaient le plus proche et allaient le trahir. Parmi celles-ci, ses deux frères, Philibert et Wilfred Little, qui ont pris le parti d’Elijah Muhammad contre Malcolm ; son principal protégé Louis X/Louis Farakhan, qui proclamait que Malcolm était un homme pour lequel on pouvait mourir, et qui a conçu le parcours menant à son assassinat.

[…] Par ailleurs, une grande partie du livre tourne autour de nos théories sur le meutre. Je pense que les lecteurs·trices y trouveront des informations plus que suffisantes.

 

[…] Nous avons vécu une période de nettoyage social : la New York de Giuliani, marquée par la brutalité policière, la gentrification sans frein, la privatisation des logements publics. J’étais aujourd’hui à la Mosquée de Malcolm Shabazz, à Harlem, et le message délivré concernait l’homosexualité, envisagée comme une pratique anormale et immorale. L’autre message insistait sur l’auto-assistance et l’idée que la communauté devait se lever et prendre soin de ses propres problèmes. Qu’est-ce que le Malcom X de votre livre dirait de la situation politique et économique actuelle ?


Une présentation honnête de Malcolm doit montrer la personne dans sa totalité, avec son évolution. La trajectoire de Malcolm s’opposait toujours plus au capitalisme des grandes sociétés. Il parlait de la nécessité de ne pas faire appel aux Etats-Unis pour redresser les torts, mais d’amener les criminels devant les tribunaux, c’est-à-dire le tribunal de l’opinion mondiale aux Nations Unies. Il a plaidé pour ce qu’on appelle aujourd’hui le dialogue Sud-Sud, entre les Caraïbes, les Noirs d’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie du Sud, qui s’étendrait sur tous les continents et serait autant arabe et musulman, que noir et « de couleur ». Il envisageait une sorte de jihad globale des mondes contre l’impérialisme occidental et la nécessité pour les gens qui ont connu le colonialisme de reprendre le pouvoir au moyen d’organismes internationaux qui consruiraient une unité trans nationale à grande échelle.

 

Voilà les orientations politiques de Malcolm. Ce n’était ni un programme capitaliste, ni une acceptation de la gentrification. Néanmoins, après sa mort, son image était bonne à prendre. En 1972, Richard Nixon a invité Betty Shabazz [son épouse, NDT], qui a accepté, à participer, sur l’estrade, au dîner organisé à Washington DC pour sa réélection. C’était seulement six ou sept ans après l’assassinat de Malcolm. Les morts ne peuvent pas maîtriser ce que feront les personnes qui ont entretenu des relations partculières avec eux – conjoints, associés ou militants proches. […] Mais la lutte continue.

 


Notes

* Version originale en anglais dans « International Socialist Review », nº 63, janvier-février 2009. Traduction française, titre et coupures de la rédaction de « solidaritéS ». Version française parue en Suisse dans « solidaritéS » n°186 (14/04/2011).

Partager cet article
Repost0

Contactez le NPA du Finistère

 

faou

 

UNE-190.JPG

 

cgt-gg.jpg

 

affiche_Peillon_Fioraso_BAT_0_0.preview.jpg

 

encart npa taille normale

 

 

nukleel-nam-bo-ket.jpg

accueil
*

Brest

06 42 22 96 37

brest.npa@gmail.com

 

Quimper

06 59 71 42 21

quimper.npa@gmail.com
 

Le blog sur les

questions maritimes

L'autre grenelle de la mer

 

Le blog de solidarité avec

les camarades arabes

Revolution arabe 

 

fermoez-fesse.jpg

Recherche

Actions !

Pour plus de détails voir les liens: 

 

diapo prisonnier palestine

Soirée prisonniers palestiniens

AFPS Brest

mardi 16 avril

20H30

Maison des syndicats

 

sortir-copie-1.jpg


manifestants-hopital-SUD-copie-1


Quimper Gourmelen

Rassemblement

vendredi 19 avril

8 h 45


foto2-205-ebf3f

 

Fermez Cofrents

(pays Valencian)

 

 

laniion.jpg

  Concert à Lannion

 

no nuk

 

Dimanche 28 avril

Brennilis

anti-r-1-r-copie-1.jpg

 


robertbelle5mai13DZ

 

 

Mardi 7 mai

 Yves-Marie Le Lay,

Président de

Sauvegarde du Trégor

  Douarnenez

Librairie l'Ivraie à 20h00

 

nddk.jpg

 

yy.jpg

 

st nnonon

 

grece.jpg