SOCIETE -
Comment parler des relations amoureuses entre personnes du même sexe aux enfants? C’est en substance la question que s’est posé Sébastien Watel, réalisateur
rennais, lorsqu’il s’est lancé dans la réalisation du “Baiser de la Lune” un court-métrage d’animation qu’il destine aux écoliers de CM1/CM2.
“Le baiser de la lune dépeint, de façon poétique, différentes façons de s’aimer, dont celle de deux “poissons-garçons, explique t-il sur le site du film. Il s’agit de montrer que deux hommes ou deux femmes peuvent s’aimer, même si leurs amours paraissent différents ou impossibles. Ce film d’animation s’adresse à un public enfant, afin de lutter contre l’homophobie survenant à l’adolescence. Au-delà de la problématique homosexuelle, ce film est une lutte contre les discriminations, par un apprentissage du respect de l’autre et de sa différence.” Lire la suite...
L’histoire? Un conte très enfantin où Félix, le poisson-chat, promis à Clara - comme les princes ont de tout temps été promis aux princesses - tombe amoureux de Léon, un poisson-lune. Et celà sous le regard incrédule et perplexe de “la vieille Agathe”, sa grand-mère chatte, qui évoluera vers plus de compréhension. Il n’en fallait pas davantage pour déclencher les foudres du journal Minute qui dénonce un projet “con comme la lune” ou de l’hebdomadaire de la “droite libérale” les 4 Vérités qui a lancé sur son site internet une pétition intitulée: “halte aux incitations homosexuelles dans les écoles primaires”.
“En voilà assez ! Ce sont nos enfants qu’il s’agit de défendre, c’est leur intégrité mentale qui est menacée par ce genre de projet”, s’indigne le texte de la pétition. Une association qui milite contre l'homoparentalité au nom de la "défense de la famille", le Collectif pour l'enfant, a dénoncé dans un communiqué "une intrusion dans l'intimité de jeunes enfants". La présidente du parti chrétien-démocrate Christine Boutin a demandé de son côté dans une lettre ouverte au ministre de l'Education Luc Chatel "l'interdiction de la diffusion du film" dans les écoles, "au nom du respect de la neutralité de l'Education nationale".
Sébastien Watel avoue avoir été surpris par la virulence des réactions alors que la réalisation de son film, qui doit durer 26 minutes et mobilise six à huit personnes dans les locaux des Ateliers du Vent à Rennes, n’en est encore qu’à ses tout débuts.
“Il s’agit d’abord d’une belle histoire d’amour, souligne t-il, qui cherche simplement à donner une vision de l’amour moins stéréotypée que dans
les contes habituels, de montrer qu’il y a d’autres manières de s’aimer”. Le film a reçu le soutien du magazine Têtu, de SOS Homophobie, mais aussi du Conseil régional de Bretagne, des
conseil généraux des Côtes d’Armor et du Finistère, du CNC (1) ou encore de la Ville de Rennes. “Les réactions que ce film suscitent justifient déjà à elles seules qu’on le soutienne et
nous confortent dans notre décision, commente Marie-Anne Chapdelaine, adjointe au maire de Rennes.
Celà prouve que l’homophobie, ça existe encore.”
Pour Gaëlle Abily, vice-présidente du Conseil Régionale à l’égalité, les réactions hostiles au film ne sont également qu’une manifestation supplémentaire d’une
homophobie bien présente, d’intolérance et de refus du respect des uns et des autres. Pour l’heure, l’inspection académique d’Ille et Vilaine reste prudente et demande à voir. L’I.E. a
demandé au réalisateur de retirer le logo de l’éducation nationale qui figurait sur le site du film sans qu’il y ait eu un accord formel préalable.
“La lutte contre les discriminations et l’homophobie est une réelle préoccupation du ministre de l’éducation nationale, souligne Jean-Charles Huchet, inspecteur d’académie. Mais il s’agit de questions extrêmement délicales et toute démarche éducative demande réflexion, pour vérifier par exemple si le produit proposé est bien conforme aux publics auxquels il s’adresse. En l’occurence, je ne peux pas prendre position sur quelque chose qui n’est pas fini et que je ne connais pas”.
Pas sur donc que l’éducation nationale apporte son aval pour une diffusion du “Baiser de la Lune” dans les écoles. Mais les discussions se poursuivent,
assurent Sébastien Watel. De leur côté, l’Inter-LGBT (1), SOS homophobie et le collectif éducation contre les LGBTphobies en milieu scolaire, qui regroupe plusieurs syndicats d’enseignants,
ont demandé au ministère de l’Éducation nationale de “remplir sa mission sans céder aux lobbys ultra-conservateurs”.
“Nous exigeons que les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour faire reculer les préjugés et les discriminations relatifs à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, y compris en participant au financement de projets pédagogiques et éducatifs destinés à cet objectif”.
Le film, dont le budget de 150 000 euros est presque bouclé mais qui a néammoins lancé un appel à souscription, doit être achevé en juin. D’ici là les positions auront peut-être évolué.
Pierre-Henri ALLAIN
(1) Centre National de la Cinématographie
(2) Lesbian Gay Bi Trans