Mal ventilées au cours de l’hiver 2009, les céréales stockées par Eolys moisissent. Charançons, sylvains et moucherons s’y installent. Pour se débarrasser de la vermine, des ouvriers aspergent les graines d’insecticides. Un de leur collègue, chargé de transporter la marchandise du silo vers les camions, se sent mal : brûlures du cuir chevelu, de la langue, des narines et de la peau.« Ces brûlures étaient intenses, ça piquait, raconte-t-il. Le premier jour, une douche a suffi à faire passer ces sensations. Mais, progressivement, même les douches n’y pouvaient rien et les symptômes s’aggravaient : vomissements, yeux qui collaient, sensation terrible de soif. »
Pesticides à haute dose
Un autre, qui fait partie de l’équipe de fabrication – celle qui réceptionne les céréales, les broie puis les transforme en aliments –, se plaint également de graves maux : « Cela a commencé par un picotement de la langue, puis un mauvais goût dans la bouche, la salive devenait épaisse, la peau me brûlait puis, juste avant de quitter le travail, j’ai craché du sang. »
Alertée, l’inspection du travail mène l’enquête et relève l’utilisation d’un produit interdit depuis deux ans : le Nuvan total. L’insecticide se trouvait dans l’entreprise pour stockage en attendant sa destruction, affirme la direction. Entendus par la gendarmerie à la suite de la plainte contre X déposée par deux des leurs, divers salariés font par ailleurs état d’un surdosage de Nuvagrain, autre produit de traitement, pour l’instant encore autorisé. Le débit de la pompe était réglé sur 48 % au lieu des 10 % réglementaires. Il est même arrivé que le pesticide soit carrément injecté dans le système de ventilation générale sans être dosé correctement.
Le délai de de 48 h à 72 h avant lequel il ne faut pas entrer dans les lieux traités, et spécifié sur les modalités d’utilisation du Nuvagrain, n’a pas été respecté. Aussitôt le traitement terminé, les salariés manipulaient déjà les grains. Des résultats d’analyses effectuées sur les céréales pulvérisées révèlent que certaines atteignent sept fois la dose maximale autorisée ! Il est clair qu’à ce tarif-là les charançons ne résistent pas. Ni les ouvriers, malheureusement.
Les salariés victimes mis à la porte
Selon le syndicat Solidaires, qui soutient les travailleurs, 18 personnes sont concernées, sur les 70 salariés que compte le site de Plouisy. « Il arrive de plus en plus souvent que les entreprises fassent appel à des intérimaires, pour ces missions de pulvérisation. Il est probable que plusieurs d’entre eux souffrent de maux semblables à ceux dénoncés par les salariés qui ont porté plainte », insiste Éric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Soutenus aussi parAttac ou les écologistes de Générations futures et Phyto-victimes, les salariés espèrent rompre l’omerta qui règne dans le milieu agroalimentaires sur ce sujet. Ils entendent par ailleurs engager une action en reconnaissance de faute inexcusable de leur employeur devant les juridictions des affaires de sécurité sociale.
« Ils comptent enfin porter devant les prud’hommes le licenciement de deux d’entre eux pour inaptitude, au début de l’été, considérés comme abusifs », ajoute Éric Beynel. Qui précise aussi qu’avant « il y avait beaucoup moins d’utilisation de produits phytosanitaires dans les silos ». Pour éviter que les grains ne se détériorent, sous l’effet conjugué de l’humidité et de la chaleur, un système de ventilation doit souffler de l’air en permanence dans les silos. Mais il arrive désormais que cette ventilation soit coupée, notamment la nuit, histoire de faire quelques économies. Autre nouvelle habitude de gestion : l’allongement des temps de stockage, le cours du marché influant sur la date de commercialisation. Autant de prises de risque que les salariés paient très cher.
Nolwenn Weiler