La cour d'appel de Paris rend aujourd'hui sa décision dans le procès du naufrage de l'Erika. Un arrêt très attendu quant à la
responsabilité pénale de l'affréteur Total et la reconnaissance d'un préjudice écologique.
Durant les sept semaines du procès en appel, qui s'est achevé le 18 novembre 2009, le groupe pétrolier et ses co-prévenus ont tous
clamé leur innocence dans cette catastrophe écologique. Total, la société de classification Rina, l'armateur du navire, Giuseppe Savarese, et son gestionnaire, Antonio Pollara, avaient été
reconnus coupables du délit de pollution en première instance. Ils avaient écopé de l'amende maximale:375.000€ pour les personnes morales, 75.000€ pour les personnes physiques.
Un jugement novateur
Le jugement du 16janvier 2008 avait innové en reconnaissant la responsabilité pénale de Total, alors que le droit maritime vise plutôt le capitaine - relaxé - ou l'armateur. Le parquet général a
requis la confirmation de ces peines et a également demandé l'amende maximale pour une filiale de Total relaxée en première instance, Total Petroleum Services (TPS).
L'avocat de Total, MeDanielSoulez-Larivière, avait exhorté la cour d'appel à infirmer un jugement qui constitue «une véritable révolution». Il avait plaidé la
relaxe du groupe, victime selon lui d'un «travail de diabolisation» et de la recherche d'un «coupable idéal». Les conseils des trois autres principaux prévenus avaient également invoqué une
incompatibilité de la loi française avec la convention internationale sur la pollution maritime Marpol.
La décision du président JosephValantin concernant le volet civil du procès sera également lourde de conséquences. Le jugement de première instance avait reconnu un
préjudice écologique pour le Morbihan et la Ligue de protection des oiseaux (LPO), donnant pour la première fois un prix à la nature et ouvrant une perspective novatrice en droit de
l'environnement. D'autres collectivités prétendent à une indemnisation à ce titre, comme les régions Bretagne, Poitou-Charentes et Pays-de-la-Loire, et les départements du Finistère et de la
Vendée.
192 M€ d'indemnités en première instance
Au total, le jugement de première instance avait condamné Total, Rina, MM.Savarese et Pollara à verser solidairement 192 M€ d'indemnités à une centaine de parties civiles. L'État s'était taillé
la part du lion avec 154 M€, ce qui explique que plusieurs dizaines d'associations et collectivités s'estimant victimes de la marée noire se soient à nouveau portées parties civiles.
Erika : la cour d'appel se prononce aujourd'hui (OF)
mardi 30 mars 2010
+ Notre dossier spécial
C'est ce matin que la Cour d'appel de Paris doit rendre son arrêt sur le naufrage de l'Erika. Plus de dix ans après les faits, une
étape judiciaire déterminante va être franchie. Mais sans doute pas la dernière, car il ne fait guère de doute qu'en cas de nouvelle condamnation, le groupe Total voudra se pourvoir en cassation.
Que va décider la juridiction ? Comment justifiera-t-elle ses choix ? Plusieurs scénarios sont envisageables.
Total est relaxé, ainsi que les autres prévenus (la société de classification Rina, l'armateur Giuseppe Savarese, le gestionnaire Antonio Pollara). Dans ce
cas, la cour infirme le jugement de première instance, rendu en janvier 2008, qui avait condamné le groupe pétrolier à 375 000 € d'amende et 192 millions d'euros de dommages et intérêts. Elle
prend en compte les arguments de la défense, faisant valoir que Total n'était que l'affréteur, propriétaire de la cargaison de fioul.
Et qu'il n'avait pas son mot à dire concernant l'entretien et la conduite du vieux navire. Une telle décision ferait l'effet d'une bombe, tant le jugement en
première instance a paru, pour beaucoup, une évolution sans retour dans l'application du droit.
Une variante, peu plausible : la relaxe, pour les motifs de procédure évoqués pendant le procès en appel, en novembre et décembre derniers. Le groupe pétrolier a
plaidé que la France ne peut pas se montrer plus sévère que le prévoient les conventions internationales signées par elle. Et qu'il ne peut pas être poursuivi en tant qu'affréteur.
Total est condamné, avec des pénalités à peu près équivalentes. La Cour retient à nouveau le principe de l'indemnisation du préjudice écologique. Elle
l'étend à toutes les collectivités (communes, Régions,...) qui en ont fait la demande. Là aussi, l'arrêt ferait date, en France mais également dans les pays étrangers car le shipping est, par
nature, une activité internationale. Beaucoup d'armateurs suivent avec attention l'issue du procès.
Ce serait la confirmation que les compagnies pétrolières ne peuvent plus s'abriter derrière des montages pour s'exonérer de leurs responsabilités en cas de
naufrage. Qu'importe qu'elles soient ou non propriétaires ou gestionnaires du bateau qui transporte leur pétrole. Le fait de tirer profit de l'activité vaut présomption de responsabilité.
À l'avenir, gare aux pollutions maritimes ! Elles coûteront d'autant plus cher que la prise en compte du préjudice écologique peut aboutir à des dédommagements
colossaux. Aux États-Unis, après la catastrophe de l'Exxon-Valdès, quand, pour la première fois, un juge l'avait retenu, il avait alloué 2,5 milliards de dollars de réparations.
La Cour frappe plus fort. Elle confirme le jugement de première instance, mais corse considérablement l'addition, prenant en compte le souci grandissant des
Français pour l'environnement. Ce serait une forme de baroud d'honneur pour le président Valantin, qui part en retraite. Pour mémoire, les parties civiles réclament un milliard d'euros.
Marc MAHUZIER