« Je vous préviens tout de suite, c’est long et fastidieux », avertit Thibault Blondin, 32 ans, chargé des élections au Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA). Le jeune homme s’engouffre la Laguna noire, celle du parti, pour aller « chasser le parrainage ». A ses côtés, Pierre, un retraité de 64 ans, qui ne souhaite
pas donner son nom. Direction l’Aisne, qu’ils ont déjà arpentée la semaine précédente.
Quand on a peu ou pas d’élus locaux, trouver les 500 signatures relève parfois de la vraie galère. Car depuis 1976, pour pouvoir se présenter à la présidentielle,
le candidat doit avoir obtenu le parrainage d’au moins 500 élus, émanant de 30 départements différents. Députés, sénateurs, maires, conseillers généraux, régionaux... Ils sont en théorie 40 000
élus à pouvoir donner leur sésame. Le NPA a décidé de miser sur les maires, qui représentent le gros des troupes, et notamment ceux des petites communes, souvent sans étiquette
politique. « Notre angle d’attaque, c’est la question démocratique, explique Thibault Blondin. On leur dit qu’on représente un parti politique qui prend part à toutes
les élections et qu’eux seuls peuvent nous permettre de participer à celle-ci. »
« ON RAME DUR »
Sur la nationale 2, les deux hommes préparent leur plan d’attaque. « Voir un maire, c’est déjà compliqué, soupire Thibault Blondin. On
déconseille aux militants de prendre rendez-vous par téléphone. Ca ferme les portes tout de suite. » Avant de partir, le trajet a été repéré sur une Google map, les communes
répertoriées, les maires listés et l’argumentaire préparé. Pour le moment, le NPA dit avoir engrangé une centaine de signatures. Mais le temps file : les partis doivent déposer leurs
signatures avant le 16 mars. « On rame dur », dira Thibault Blondin devant un maire indécis.
Cette année, l’exercice est d’autant plus compliqué que les municipales sont passées par là et que les maires qui avaient parrainé Olivier Besancenot en 2007 ne
sont plus forcément en place. Autre difficulté : le nouveau candidat du NPA, Philippe Poutou, un inconnu qui plafonne à 0,5 % dans les sondages, et qui ne fait même pas l’unanimité
dans le parti.
Anizy-le-Château, Lizy, Merlieux-et-Fouquerolles. Les villages se succèdent, le même scénario aussi. Les maires, qui la plupart du temps travaillent, ne sont pas
là. L’accueil, souvent courtois, peut aussi s’avérer glacial. Les deux hommes ne se démontent pas : ils notent les horaires des permanences, laissent une lettre d’Olivier Besancenot
expliquant pourquoi il ne se représente pas, une autre de Philippe Poutou et un formulaire de pré-signature - sans aucune valeur juridique - où le maire s’engage à parrainer le candiadt du NPA.
Thibault Blondin rajoute toujours un petit mot avec ses coordonnées. Rarement, le nom du NPA est prononcé d’emblée : « Communiste, c’est déjà un gros mot. Alors
LCR [Ligue communiste révolutionnaire] ou anti-capitaliste, vous imaginez ! », déplore Thibault Blondin.
« CHASSE AUX SORCIÈRES »
Dans les rues désertes de ces petits villages, difficile de trouver son chemin. « Au niveau national, on pourrait investir dans un GPS,
non ? », lâche Pierre avec un sourire. Parfois, la chance sourit aux deux hommes. En cherchant la maison du maire de Montbavin, ils tombent dessus par hasard. Jean-Guy Naury, un
retraité de la banque de 59 ans, passe une tête par la porte de l’ancien presbythère qu’il a restauré. Les deux militants du NPA sont les premiers à venir le démarcher : les partisans de
Nicolas Dupont-Aignan, de Debout la République, l’ont appelé à plusieurs reprises mais ne sont jamais venus.
Mais la chance a aussi ses limites : monsieur le maire leur dit rapidement qu’il n’est « chaud ». En 2002, il avait donné sa signature à Jean-Marie
Le Pen et a vécu par la suite « une véritable chasse aux sorcières ». Publiés au Journal officiel huit jours avant le premier tour de l’élection, les
parrainages sont en effet publics.
« Pour moi, c’était normal que quelqu’un qu’on dit à 15 % dans les sondages puisse se présenter, explique-t-il. Je n’ai jamais adhéré à ce
parti mais les gens ont fait l’amalgame. » « C’est un ’non’ mais ça peut être utile de le revoir si on est en difficulté, note Thibault Blondin. On reviendra discuter avec
lui dans quelques semaines. » Il est temps de filer au seul rendez-vous calé à l’avance, à Brancourt-en-Laonnois. Une rencontre sur laquelle misent les deux militants, le maire,
Francis Koch, ayant donné son parrainage en 2007 à José Bové.
« SCHIVARDI, IL ME PLAÎT BIEN »
L’élu les attend à la marie. « Le dernier jour, il manquait des signatures à Bové, alors je lui ai donné la mienne, leur
raconte-t-il. Cette année, je ferai exactement la même chose : je donnerai ma voix à quelqu’un de gauche bien marqué qui en aura besoin. »L’édile de 55 ans, cadre
supérieur de santé, n’a aucun problème avec la publicité des parrainages et revendique son positionnement « fort rouge ».
Une heure plus tard, M. Koch finit par lâcher : « Je dois vous le dire, Schivardi, il me plaît bien. » Soutenu par le Parti
des travailleurs, celui qui se présentait en 2007 comme le « candidat des maires » n’a pas encore fait part de ses intentions pour 2012. Encore raté ! « La dernière
semaine avant la clôture des parraianges, faites un coucou à la secrétaire de mairie, glisse quand même M. Koch. »On est trop juste pour ne pas avoir de mémoire", lui
répond Thibault Blondin.
Une fois dans la voiture, les deux hommes se remettent en route. Ils auront encore le temps de frapper à la porte de quelques mairies, et même de rencontrer un élu
mais qui a déjà choisi son candidat. Le bilan de cet après-midi est maigre et les deux hommes repartent bredouilles.
« Trois maires rencontrés, on a largement amélioré notre score », positive Thibault Blondin, qui envisage d’y retourner dans quelques jours.
Pierre, lui, n’est pas sûr de pouvoir se libérer. En attendant, il est temps de rentrer. Sept heures et 300 kilomètres plus tard, ils sont enfin de retour à Montreuil. « Quelle
énergie ça représente ! », s’exclame Thibault Blondin. Difficile métier que celui de militant.