CARROS AMIGOS Qu'attendez-vous de Rio + 20 ?
MICHAEL LÖWY Rien ! Tout est déjà dans le fameux Draft Zero [avant-projet publié en janvier], qui, comme l'indique (involontairement) son nom, est une nullité. Ce qui en sortira n'aura aucune efficacité étant donné qu'il n'y
aura aucune obligation internationale. A l'image des conférences internationales sur le changement climatique de Copenhague, Cancún et Durban, la montagne devrait accoucher d'une souris :
de vagues promesses et surtout de bonnes affaires "vertes". Comme le disait en septembre 2009, Ban-Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU – qui n'a rien d'un révolutionnaire –,
"notre pied est bloqué sur l'accélérateur et nous nous dirigeons vers un abîme". Les initiatives intéressantes auront lieu dans les forums alternatifs.
Depuis vingt ans, il y a eu des changements dans la façon dont les Etats appréhendent les thèmes écologiques.
Des changements très superficiels ! Pendant que la crise écologique s'aggrave, les gouvernements – en premier lieu ceux des Etats-Unis et des autres pays
industrialisés du Nord, les principaux responsables du désastre – se sont intéressés au problème à leur façon : en développant à petite échelle des sources d'énergie alternative et en
introduisant des "mécanismes de marché" totalement inefficaces pour contrôler les émissions de CO2. "Buziness as usual"...
Mais la société semble plus consciente de la nécessité de protéger l'environnement. Cela peut-il influencer de façon positive les discussions de Rio +
20 ?
En effet, il y a eu un vrai changement. L'opinion publique, de larges secteurs de la population, au Nord comme au Sud, sont de plus en plus conscients de cette
nécessité, non pour "sauver la Terre" – notre planète n'est pas en danger –, mais pour sauver la vie humaine (et celle de nombreuses autres espèces). Malheureusement, les gouvernements (à
l'exception notable de la Bolivie par exemple), les entreprises et les institutions financières internationales représentés à Rio + 20 sont peu sensibles à l'inquiétude des populations. Ils
cherchent plutôt à les tranquilliser avec des discours sur les prétendus bienfaits de l'"économie verte".
Quel est le lien entre destruction de l'environnement et inégalité sociale ?
Les premières victimes des désastres écologiques sont les couches sociales exploitées et opprimées, les peuples du Sud et en particulier les communautés
autochtones et paysannes qui voient leurs terres, leurs forêts et leurs rivières polluées, empoisonnées et dévastées par les multinationales du pétrole et du secteur minier, ou par
l'agrobusiness du soja, de l'huile de palme et du bétail. Il y a quelques années, Lawrence Summers, un économiste étasunien [ancien secrétaire au Trésor], expliquait dans un rapport interne
pour la Banque mondiale qu'il serait logique, du point de vue d'une économie rationnelle, d'envoyer les productions toxiques et polluantes vers les pays pauvres, où la vie humaine possède
un prix bien inférieur : une simple question de calcul de pertes et de profits en somme. En parallèle, ce même système socio-économique – appelons-le par son nom : le capitalisme – qui
détruit l'environnement, est responsable des inégalités sociales brutales entre l'oligarchie financière dominante et la masse du "pobretariat" [pobre signifie pauvre en portugais].
Ce sont les deux faces d'une même monnaie, l'expression d'un système qui ne peut exister sans une croissance infinie – et donc sans dévaster la nature – et sans produire et reproduire les
inégalités entre exploités et exploiteurs.
Nous sommes au cœur d'une crise du capital. Quelles en sont les conséquences environnementales ?
La crise financière a servi de prétexte aux gouvernements au service du système pour repousser "à plus tard" les mesures urgentes nécessaires à la limitation
des émissions de gaz à effet de serre. L'urgence du moment – un moment qui dure depuis quelques années – est de sauver les banques, de payer la dette (à ces mêmes banques), et de "réduire
les dépenses publiques". Il n'y a pas d'argent pour investir dans les énergies alternatives ou pour développer les transports collectifs.
L'écosocialisme constitue
en ce sens une réponse radicale aussi bien à la crise financière qu'à la crise écologique. Les deux sont l'expression d'un processus plus profond : la crise du paradigme de la civilisation
capitaliste industrielle moderne. L'alternative écosocialiste signifie que les principaux moyens de production et de crédit sont expropriés et mis à disposition de la population. Les
décisions sur la production et la consommation ne seront pas prises par des banquiers, des dirigeants de multinationales ou des maîtres de puits de pétrole mais par la population elle-même,
après un débat démocratique, en fonction de deux critères fondamentaux : la production de valeurs d'usage afin de satisfaire les besoins sociaux et la préservation de
l'environnement.
Le projet zéro de Rio + 20 cite à plusieurs reprises l'expression "économie verte", mais sans en définir le concept. Peut-elle stopper la destruction
de la planète et les changements climatiques ?
Ce n'est pas un hasard si les rédacteurs de ce projet entretiennent le flou. En vérité, il n'existe pas d'"économie" en général : il s'agit d'une économie
capitaliste, ou alors non capitaliste. L'"économie verte" n'est pas autre chose qu'une économie capitaliste qui cherche à traduire en termes de profit et de rentabilité certaines
propositions techniques "vertes" des plus limitées. Bien sûr, une entreprise qui tente de développer l'énergie éolienne ou photovoltaïque, c'est très bien, mais cela n'entraînera pas de
modifications substantielles s'il n'y a pas un investissement massif des Etats, détournant des fonds qui à l'heure actuelle financent plutôt l'industrie nucléaire et faisant le choix de
réduire de manière draconienne la consommation d'énergies fossiles.
Mais rien de cela n'est possible sans rompre avec la logique de compétition marchande et de rentabilité du capital. Ajoutons qu'il y a des propositions
"techniques" qui sont bien pires : les célèbres "agrocarburants" par
exemple, qui cherchent à utiliser les sols fertiles pour produire une pseudo "essence verte", au lieu de produire de la nourriture pour remplir les estomacs des affamés de la
planète.
Vous pensez qu'actuellement, au nom de la préservation de l'environnement, on pointe uniquement sur le citoyen la responsabilité de la destruction de
la planète en oubliant les entreprises ? A São Paulo, par exemple, nous devons acheter des sacs plastiques biodégradables, pendant que les entreprises usent de cette image verte comme outil
de marketing.
Les responsables du désastre environnemental s'efforcent de culpabiliser les citoyens et créent l'illusion qu'il suffirait que les individus aient des
comportements plus écologiques pour résoudre le problème. L'objectif de l'écosocialisme est la transition vers un nouveau modèle de civilisation, fondé sur des valeurs de solidarité, sur la
démocratie participative, sur la préservation de l'environnement. Mais la lutte pour l'écosocialisme commence ici et maintenant, dans toutes les luttes socio-écologiques concrètes qui se
heurtent, d'une façon ou d'une autre, au système.
Note :* Michael Löwy, est né en 1938 au Brésil et vit à Paris depuis 1969. Spécialiste de l'histoire du marxisme en Amérique latine et de la théologie de la
libération, il est directeur de recherches émérite au CNRS et enseigne à l'EHESS. Dernier ouvrage publié : "Écosocialisme : l'alternative radicale à la catastrophe écologique
capitaliste" (Mille et Une Nuits, 2011).
http://www.courrierinternational.com/article/2012/04/02/les-premieres-victimes-des-desastres-ecologiques-sont-les-plus-pauvres
Commentaire: Et aussi membre du NPA et de la 4è Internationale