Farid Ghehioueche, de l’association Cannabis sans frontière, m’a adressé cette lettre ouverte
que lui a remis un gendarme à l’attention du nouveau président. Tenu par le devoir de réserve, le rédacteur souhaite rester anonyme, mais son témoignage m’a semblé intéressant. Le
voici.
Monsieur le Président,
Le cannabis doit être l’objet d’une légalisation contrôlée par l’État, c’est une urgente nécessité pour notre pays.
Je ne reprendrai pas avec d’autres mots les arguments pertinents développés par de nombreuses et éminentes personnalités du monde politique, médical ou
associatif qui militent en faveur de sa légalisation pour des raisons de sécurité publique, de santé publique, de lutte contre les bandes et les réseaux mafieux et de finances publiques
; c’est inutile, ils sont largement connus depuis plusieurs années. Ils démontrent talentueusement la nécessité et l’intérêt d’adopter une politique tolérante et pragmatique de
légalisation contrôlée.
Pour ma part, j’approuve la plupart d’entre eux avec force et sans la moindre ambiguïté car je juge qu’ils vont dans le sens de la justice, axe de votre
campagne électorale, de la liberté, valeur essentielle au pays des droits de l’homme, particulièrement dans votre famille politique, et de la compassion.
Je souhaite juste ici, Monsieur le Président, participer, par mon témoignage, à l’enrichissement de votre réflexion sur ce sujet. A ma connaissance, peu de
gendarmes et plus généralement peu de personnels des forces de l’ordre consomment eux-mêmes ou ont un a priori positif au sujet du cannabis ainsi qu’à propos de sa légalisation.
Mais les mentalités et les mœurs évoluent sensiblement, progressent et aujourd’hui, chez beaucoup d’entre nous ainsi que chez de nombreux magistrats le maintien
de l’interdit apparaît être le problème et non la solution. Encore minoritaire, je sais ne plus être un cas isolé et surtout, l’être moins chaque jour.
La simple consommation, d’ailleurs rarement constatée n’est jamais réprimée avec la dureté imposée par les textes en vigueur ; c’est dire leur désuétude
et leur inadéquation.
Pour ma part, consommateur récréatif occasionnel de cannabis depuis près de trente sept ans, fervent partisan de sa dédramatisation dans l’opinion publique et
de sa légalisation, j’affirme être un père normal, un compagnon normal, un gendarme normal, bref, un homme normal, sérieux, responsable et parfaitement socialisé, loin des clichés de
délinquant et de lamentable drogué dépendant.
L’hypocrisie et l’aveuglement qui prévalent quant à cette question dans notre société, parmi ses dirigeants et les principales institutions qui l’organisent et
la défendent n’ont que trop duré. Pour moi-même, comme pour des millions d’autres usagers, cette situation est inacceptable et révoltante.
Ma démarche publique consiste à ne plus vouloir me taire ni m’appliquer le trop célèbre adage : pour vivre heureux, vivons cachés, et à le faire très largement
savoir. Il est indigne de l’homme que je veux être et de l’honnête citoyen que je suis. J’espère faire des émules, de très nombreux émules et notamment parmi les acteurs de la sécurité
publique, du droit et du respect de la loi, ainsi que ceux de la santé publique et du soin palliatif.
Je suis en mesure aujourd’hui de démontrer à ceux que le débat intéresse et à ceux que leurs responsabilités désignent de facto pour y participer que
l’usage modéré du cannabis n’a altéré ni ma santé, ni ma sociabilité, ni mes qualités professionnelles ; pas plus que l’usage modéré de l’alcool et du tabac.
Pour preuve, il m’est bien évidemment loisible de produire plusieurs documents dont la véracité, compte tenu de l’institution rédactrice, ne peut être mise en
cause. Ceux attestant de mon aptitude physique à tous services et aux sports, puis ceux, suffisamment éloquents, précisant mon sérieux, mes qualités professionnelles et relationnelles.
Quant à la sociabilité, dans mon cas, elle va de soi.
Cela va naturellement sans dire, je n’ai bien évidemment pas glissé progressivement dans l’usage de drogues dures, nocives et addictives vers lesquelles une
hypothétique dépendance au cannabis m’aurait irrémédiablement conduit selon certains services officiels d’information ; de propagande devrai-je dire.
Une propagande d’un autre âge qu’il est temps de combattre sans ménagement tant on observe les inepties qu’elle inspire à beaucoup, et notamment à certains
hauts responsables, esprits prétendument éclairés et attachés aux valeurs humanistes et progressistes.
J’arrête ici la démonstration publique de son innocuité dans le cadre d’une consommation maîtrisée, avant d’être accusé de
le présenter sous un jour favorable.
Je note seulement au passage, qu’avec seuls des arguments objectifs, incontestables et intelligents, il est illusoire de vouloir le présenter sous un
jour exclusivement défavorable de quelque manière qu’on l’aborde. C’est l’abus qu’il faut combattre, pas le produit ! Ça tombe sous le sens commun.
Je note également qu’en l’utilisant seul ou entre adultes, je ne nuis à personne en particulier, ni à l’ordre public, ni à l’intérêt général mais que j’use
simplement d’une liberté individuelle qu’il est inconcevable de voir encore de nos jours bafouée dans notre Pays.
Compte tenu de l’évolution des mentalités, de la banalisation croissante de son usage chez les jeunes et les moins jeunes quels que soient le milieu ou la
classe sociale, l’utopie de l’abstinence, l’aveugle prohibition et la guerre qui en découle, en lieu et place d’une politique de prévention et de qualité, ont, à mon sens, au moins ces
quelques effets désastreux :
• Saper l’autorité de l’État aux yeux des quelques millions de Français utilisateurs, leurs proches et plus généralement ceux des observateurs avisés de
la société.
• Amener plusieurs métropoles en France et plusieurs banlieues à ressembler plus aujourd’hui, par la violence qui les gangrène, à de lointaines
provinces d’Amérique Centrale ou du d’Amérique du Sud qu’au fier pays des droits de l’homme, exemple des peuples et des Nations pour la paix, la liberté, la justice, contre
l’obscurantisme et l’arbitraire.
• Laisser quelques millions de jeunes adultes consommateurs, tout encore empreints d’une certaine fragilité juvénile entre les mains expertes des
dealers de rue et de cités en attendant benoîtement que ces derniers s’assurent de leur majorité, leurs proposent des produits sans additifs plus que douteux et leurs dispensent en
prime quelques sages conseils de modération.
N’est-il pas légitime de se demander à qui profite ce crime ?
Sauf à admettre une position purement idéologique ou seulement guidée par de basses considérations, les citoyens normaux ne peuvent cautionner l’État quand il
prive les consommateurs de cannabis, plus nombreux chaque jour, de son autorité et de sa protection. La situation me paraît en tout point comparable aujourd’hui à celle que dénonça
madame Simone Veil le 26 novembre 1974 devant l’assemblée nationale à propos de l’avortement ; comme elle, je vous demande de mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et
d’apporter une solution mesurée et humaine à ce problème.
La France n’est ni le Massachusetts au XIXe siècle ni l’Afrique du Sud à la même époque, pourtant aujourd’hui encore il semble que l’action directe doive venir
en complément de toute proposition politique pour faire évoluer la législation dans le sens de l’intérêt général.
Devant ce triste constat, je soutiens bien évidemment sans la moindre réserve l’idée des « cannabis social clubs » à la française ou toutes
autres initiatives citoyennes et courageuses du même acabit visant à sortir l’État de sa frilosité, de sa cécité, de son immobilisme.
http://blogs.lesinrocks.com/droguesnews/2012/07/06/le-cannabis-doit-etre-legalise-lettre-ouverte-dun-gendarme-a-hollande/
Commentaire: Inutile de dire qu'empêcher de "saper l'autorité de l'état" n'est pas notre tasse de thé aux fines herbes...