Une ancienne ministre de Sarkozy a été rattrapée par la justice de son pays. Et Nicolas Sarkozy par sa désinvolture.
Jeudi 4 août, date historique, la Cour de Justice de la République a finalement et enfin annoncé qu'elle ouvrait une enquête pour «
complicité de faux » et «
complicité de
détournement de biens publics » sur le rôle joué par l'actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, dans
l'affaire Tapie/Crédit
Lyonnais. quand elle était ministre de l'Economie. L'avocat de Mme Lagarde a dénoncé ces accusations.
Au-delà des accusations générales, que pouvait-on reprocher à l'ancienne ministre ?
1. La ministre ne s'est pas assurée «
par toutes les voies appropriées, y compris la consultation du Conseil d'Etat, que le CDR était habilité à recourir à l'arbitrage pour le compte
d'un établissement public», avait expliqué la Cour des Comptes.
2.
La ministre a ignoré les recommandations de ses services ou des représentants du Crédit Lyonnais. Le directeur général de l'Agence des participations de l'Etat avait
découragé les ministres des finances successifs de transiger (février 2007, août 2007, septembre 2007). Elle n'a consulté le comité d'audit du CDR que deux fois, et pour des points
mineurs. Le 28 septembre 2007, le directeur général de LCL exprimait ses réserves sur le recours à l'arbitrage.
3.
Christine Lagarde a donné des instructions pour faciliter le recours à l'arbitrage. Parlant du directeur de cabinet de Lagarde, Bernard Scemama, président de lʼEPFR
(l'établissement public actionnaire du CDR), a rappelé au Monde, vendredi 5 août les consignes gouvernementales : «
Il m'a tout de suite parlé du dossier Tapie et m'a donné une
consigne claire: il fallait aller à l'arbitrage. "C'est la décision du gouvernement", m'a-t-il dit ».
4.
On a pu douter de l'indépendance du collège d'arbitres: parmi les trois arbitres désignés par le gouvernement, l'un, Jean-Denis Bredin, a été vice-président du
Mouvement des Radicaux de Gauche de Bernard Tapie, et un autre, le magistrat Pierre Estoup, a déjà joué l'arbitre dans une procédure liée à l'affaire Elf.
Le site Mediapart avait révélé, en juin
dernier, que M. Estoup avait également joué l'arbitre à la demande de Bernard Tapie dans deux autres affaires, en 1999 et en 2001.
5.
La procédure d'arbitrage elle-même est entachée de graves soupçons d'abus : (1) la Cour des Comptes a critiqué que le Crédit Lyonnais n'ait pas été entendu par les
trois arbitres avant leur jugement ; (2) La version finale du compromis d'arbitrage, signée le 16 novembre 2007, fut différente de celle approuvée par les administrations du CDR en
octobre : ce dernier avait plafonné son accord sur la demande d'indemnisation des époux Tapie à 50 millions d'euros au total. L'arbitrage définitif limitait ce plafond... à
l'indemnisation du préjudice moral uniquement ! Fin juin, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour abus de pouvoirs sociaux à l'encontre de Jean-François Rocchi, le
président du CDR de l'époque, qui a permis l'ajout dans le projet d'arbitrage de la mention
« préjudice moral » , permettant à Tapie de récupérer quelque 45 millions d'euros
supplémentaires.
6.
Christine Lagarde a refusé de faire appel de la condamnation du CDR (c'est-à-dire de l'Etat dont elle était ministre). Bernard Scemama et les administrateurs
représentant lʼEtat au conseil dʼadministration de lʼEPFR ont reçu des instructions écrites et «
claires » du cabinet de la ministre Lagarde fin juillet 2008, pour se prononcer
en défaveur dʼun recours.
7.
La gouvernance du CDR a été affaiblie pendant cette période cruciale. Primo, Lagarde a fait remplacer l'un des administrateurs du CDR atteint par la limite d'âge par
un autre, Bernard Scemama, lui-même atteint par la limite d'âge 3 mois plus tard. Secundo, ce dernier est arrivé très tard dans le processus (juste pour «
appliquer » les
consignes): «
je n'avais pas les éléments d'analyse au moment de ma nomination, le processus étant déjà très avancé ».
Tertio, un second administrateur a démissionné avec fracas, dénonçant l'interventionnisme du gouvernement (cf. la lettre de démission de Patrick Peugeot le 28 juillet 2008). Il n'a pas
été remplacé. Quarto, le conseil n'a pas été informé par les services de Lagarde de quelques informations décisives (le courrier du DG de LCL du 28 septembre 2008, qui
En définitive, le cabinet de Lagarde a expliqué que toutes les instructions venaient de Christine Lagarde elle-même. Christine Lagarde n'a pas confirmé que ces instructions venaient de
Nicolas Sarkozy. Or c'est là toute l'affaire.
Le président français est aujourd'hui accusé d'avoir agi avec légèreté en favorisant la candidature de Lagarde au FMI. Quand la ministre fut désignée à la tête du FMI, après quelques
semaines de campagne, on s'est félicité, à droite comme à gauche, à quelques exceptions, de cette nomination. On avait bien tort. Il est probable que Mme Lagarde ne démissionnera
pas. Son avocat a déjà annoncé que les administrateurs du FMI qui l'ont nommé était au courant de ce risque. Mais pour la France, quelle image !
Mais le plus grave est ailleurs : les contribuables français vont devoir régler quelques 245 millions d'euros de dédommagement. On imagine mal Christine Lagarde avoir agi seule et sans
instruction de son patron élyséen: «
Est-ce que vous croyez que j’ai une tête à être copine avec Bernard Tapie? » s'étonnait-elle, en juillet 2008. Non, bien sûr. La véritable
intervention vient sans doute d'ailleurs, de plus haut, juste au-dessus d'elle.
La vraie question est donc : qui enquêtera sur le rôle réel de Nicolas Sarkozy dans cette affaire ?
Lire aussi :
http://www.marianne2.fr/sarkofrance/Affaire-Lagarde-Sarkozy-rattrape-par-sa-desinvolture_a531.html
Commentaire:
Cà c'est envoyé! Bon, d'accord, Marianne ce n'est pas notre genre, qui nous descend à longueur de colonnes. Et pourtant! Dans ses lecteurs il doit y avoir des tas d'électeurs "Npa" qui
reconnaissent le seul hebdo un peu "pêchu" contre Sarko. Qui s'oppose le plus à Sarko: le PC-PS ou Marianne? Mais entre Marianne et nous, il y a le fossé du souverainisme, un
nationalisme français (mais de gauche) qui ne dit pas trop son nom.