Il y aura des grèves et des manifestations, le mardi 23 mars, à l’appel de cinq syndicats sur huit (FO ne croit plus à l’efficacité des manifestations à
répétition, la CGC et la CGC réservent encore leurs réponses). Suspense torride : lundi en début d’après-midi, le conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie, leur avait grillé la
politesse en la confirmant à leur place. En fait, le principe d’une manifestation est acquis depuis plusieurs jours. Tout est déjà orchestré. Les syndicats attendront bien sagement le lendemain
des régionales pour défiler.
Le pouvoir, en retour, laissera la manifestation passer avant d’annoncer, en avril, de nouvelles mesures en faveur de l’emploi. Le contraire eût été discourtois,
fait-on savoir à l’Elysée. « En matière sociale, la symbolique est importante et cette symbolique a été respectée » , professe-t-on au Château. Le jeu des partenaires sociaux
hexagonaux a de ces figures imposées qui confinent parfois au grotesque. Surtout en période d’urgence sociale. Les centrales syndicales ont cependant chamboulé leurs plans. Ce week-end encore,
elles prévoyaient de mobiliser pour la défense des retraites d’abord, puis pour l’emploi et le pouvoir d’achat.
Elles ont inversé leurs priorité, concentrant leur communiqué commun sur la situation économique. Car ce lundi, Nicolas Sarkozy les a encore prises à contre-pied.
On l’attendait va-t-en-guerre, prêt à montrer les muscles pour provoquer un clash social sur les retraites, histoire de ressouder son camp à un mois de régionales qui s’annoncent difficiles
pour la majorité. Pour l’instant, il ne semble pas avoir choisi cette voie. Au contraire, le chef de l’Etat a affiché ce lundi devant syndicats et patronat réunis à l’Elysée un tout autre
visage, assez inhabituel : celui du pacificateur. Alors que les syndicats craignaient un passage en force sur les retraites, et peut-être même un « mauvais coup » au cœur de
l’été, le chef de l’Etat a d’emblée tenu à dissiper les inquiétudes.
« Nous prendrons tout le temps nécessaire pour dialoguer, pour que les positions de chacun soient parfaitement comprises, pour que les Français soient
clairement informés des enjeux et des solutions » , a-t-il affirmé dans son propos introductif, distribué en quasi temps réel aux journalistes par les petites mains de l’Elysée
(téléchargez-le en cliquant par ici).
« Je veux un débat approfondi (...) Il n’est pas question de passer en force . » Le message est martelé : « En tout état de cause, la réforme
ne sera pas adoptée par le Parlement en juillet . » La concertation commencera début avril, après les élections régionales, une fois que le Conseil d’orientation des retraites aura publié
ses prévisions de déficit pour les régimes de retraite d’ici 2050. Elle pourra durer jusqu’au mois d’août. Une loi sera examinée en septembre. Voilà les parlementaires prévenus : il leur
faudra siéger tôt à la rentrée.
« La question de la pérennité de nos systèmes de retraite sera réglée à l’automne prochain » , a dit le chef de l’Etat juste après la réunion au cours
d’une conférence de presse où les journalistes ne pouvaient pas poser de questions. Une nécessité politique pour ce président qui veut d’abord apparaître comme celui des réformes permanentes.
Et, si possible, récupérer le crédit politique d’être le président qui s’est attelé à la douloureuse question des retraites, sujet qui a brûlé les doigts de plus d’un premier ministre...
->
« Ecran de fumée », pour le PS
Pourtant, depuis plusieurs semaines, tout semblait indiquer que le gouvernement désirait aller vite. A en croire les comptes-rendus de presse, le scénario avait
déjà l’air écrit : simple allongement de la durée de cotisation et/ou recul de l’âge légal, réforme ficelée dans l’été. Le chef de l’Etat n’avait-il pas lui-même évoqué ce calendrier
estival lors de son émission télévisée du 26 janvier ?
Que s’est-il passé ? Simple contre-pied tactique pour dégonfler d’éventuelles manifestations ? Aveu de faiblesse politique d’un chef de l’Etat en mal de
popularité désireux de ne pas aggraver son cas avant les régionales ? Et/ou énième pan sur le bec de François Fillon, son premier ministre qui, ces derniers jours, évoquait de façon
dramatique un possible déficit de 100 milliards d’euros du régime de retraite en 2050, semblant accréditer l’hypothèse de mesures d’urgence rapides ? Selon Le Monde daté de ce mardi, le
débat a fait rage au sein du gouvernement : Xavier Darcos semblait partisan d’une « Blitzkrieg » , rapporte le quotidien. Mais Raymond Soubie, le vrai ministre des relations
sociales, y était opposé...
Sur quasiment tous les sujets, le chef de l’Etat a donc joué l’apaisement. La pénibilité au travail, dont les syndicats ont fait un préalable de la réforme des
retraites ? Elle sera traitée « en parallèle des retraites » , « dans le cadre d’une concertation ad hoc » . La dépendance, dont certains syndicats craignaient qu’elle
ne soit traitée de façon express en même temps que les retraites, et sous-traitée au secteur privé en catimini ?
Dissociée, et renvoyée « une fois la réforme des retraites achevée » , c’est-à-dire en clair fin 2010, au mieux. Même ton patelin en ce qui concerne la
crise et ses conséquences sociales. Les mesures prises il y a un an (chômage partiel, primes diverses) seront évaluées en avril, et éventuellement complétées, poursuivies ou supprimées. Sur la
question des chômeurs en fin de droit(un million cette année, dont 400.000 devraient n’avoir aucune ressource), Nicolas Sarkozy promet que l’Etat s’engagera financièrement avec
l’assurance-chômage, à condition que les chômeurs bénéficient d’une « formation rémunérée » .
Les représentants du patronat ont profité de l’aubaine pour demander de nouvelles exonérations de charge en cas d’embauche d’un chômeur en fin de droits... Mais
pour l’heure, aucune annonce concrète, si ce n’est que le chef de l’Etat demande aux syndicats et au patronat d’aboutir d’ici trois mois sur la question du partage de la valeur ajoutée, dossier
au point mort depuis un an. Et encore n’est-il plus question du tout du partage en trois tiers, dont le chef de l’Etat avait fait son cheval de bataille : le patronat y est fermement
opposé. En matière de retraites, toutes les options évoquées (allongement de la durée de cotisation, recul de l’âge légal de départ à la retraite) restent sur la table.
Voilà qui fait dire au Parti socialiste que ce sommet social n’était qu’un « écran de fumée » qui, sur le fond, n’apporte aucune réponse.
-> Molles réactions
Les syndicats s’y seraient-ils laissé intoxiquer ? Certes, ils auraient aimé des mesures anti-crise avant avril. Mais leurs critiques à l’issue de la réunion
étaient assez molles. Premier à s’exprimer après Laurence Parisot la patronne du Medef, Jacques Voisin, président de la chrétienne CFTC, plutôt positif (le son dure 3 minutes) :
Après lui, Jean-Claude Mailly(Force ouvrière) joue presque les porte-parole de l’Elysée, en annonçant la prolongation de l’allocation équivalent-retraite en 2010
pour les chômeurs qui ont toutes leurs années de cotisation (ils sont 70.000), mais fustige un calendrier retraites « encore trop court » (2’30) :
Voici ensuite François Chérèque. Il réclame encore plus de temps pour discuter des retraites (la CFDT veut une réforme d’ampleur du système), et appelle déjà à la
manifestation « pour montrer que l’urgence, ce sont d’abord les victimes de la crise » . Commet un lapsus, parle de sa « présentation » (comme on présente un exposé) au lieu
de son « intervention » ...
Enfin, Bernard Thibault, qui, en trois minutes, appelle de ses vœux une « mobilisation coordonnée sur les questions d’emploi, de pouvoir d’achat et de
retraites » .
Vient encore Bernard Van Craeynest, président des cadres CGC. Mais la plupart des journalistes sont déjà partis : dans une aile de l’Elysée, le président
commence sa conférence de presse... -> Les syndicats, dindons de la farce des sommets sociaux A cette atonie syndicale, quatre raisons (au moins) :
Ce sommet social, le troisième depuis un an,
s’est déroulé selon un cérémonial qui n’est pas à l’avantage des syndicats (pas plus du patronat d’ailleurs, mis au même régime). Alors que ce genre de réunions avait lieu auparavant à
Matignon, elles ont été délocalisées à l’Elysée, ce qui rend le tout bien plus solennel et attire immanquablement tous les médias de la place. Le rituel est désormais immuable : une
déclararation liminaire du président qui fixe le cap de la discussion, suivie de la réponse de chacun, le tout suivi d’échanges. Au terme des trois heures de réunion, chacun des leaders
patronaux et syndicaux est invité à dire un mot. Sur le perron de l’Elysée, à la queue leu leu. Entre trois et cinq minutes pour chacun, format télé et radio oblige. Gare à celui qui s’enferre
dans des propos confus, trop longs, trop techniques. Ensuite, ce sont les conseillers de l’Elysée qui débriefent les journalistes dans une salle à part. Clairement, c’est la partie
présidentielle qui a le beau jeu dans ce dispositif pensé par les communicants de l’Elysée. Voilà qui explique sans doute le ton assez soft des leaders syndicaux.
Sur le fond : la crise sociale
(chômage, précarités) se poursuit. Et elle plonge les syndicats dans des abîmes tactiques : comment rester revendicatifs sans donner le sentiment d’exploiter la misère sociale et sans
s’aliéner le secteur privé, ce public rétif que convoitent ardemment tous les syndicats ? Comment se montrer responsables face aux enjeux sans pour autant donner le sentiment de cogérer la
crise avec le pouvoir, qui, d’ailleurs, ne rate pas une occasion de souligner la « responsabilité » des partenaires sociaux, comme l’a encore fait aujourd’hui le chef de
l’Etat ?
Les syndicats restent divisés, et leurs
intérêts divergent. Il y a la bouderie de FO. La façon dont l’intersyndicale s’est délitée cet été, après des manifestations de moins en moins réussies. Et les fâcheries nées de la réforme de
la représentativité en 2008. Des différences de philosophie, aussi, qui tiennent à l’ADN de chaque organisation. Le conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie, est un expert de ces
subtilités, dont il se délecte. Il avait scrupuleusement préparé ce sommet en amont. Le conseiller social de Nicolas Sarkozy avait jaugé l’opinion de chacun, recensé toutes les demandes.
Pratique pour préparer la riposte et ajuster le comportement présidentiel.
Enfin, il y a le malaise de nombreuses
organisations face à la question des retraites. Si, officiellement, la plupart affirment que l’âge légal de 60 ans ne devra pas être touché, et qu’il n’est pas non plus question d’allonger la
durée de cotisation, elles savent aussi, pour participer aux travaux du Conseil d’orientation des retraites et compter en leur sein d’éminents spécialistes de la question, que des paramètres
devront nécessairement évoluer. Elles connaissent les évolutions démographiques défavorables, l’ampleur des déficits à venir des régimes de retraites, savent qu’à l’avenir, beaucoup
travailleront après 60 ans. Mais, dans une sorte de grand écart permanent, elles doivent aussi satisfaire leur base, opposée à toute remise en cause d’ampleur. Autant de dilemmes dont le chef
de l’Etat tire parti. Performance étonnante, pour un président en mal de popularité qui s’apprête, si l’on en croit les intentions de vote, à subir dans quelques semaines une défaite
électorale...
Boîte noire Le début de l’article a été remanié ce jeudi soir à 22 heures, sitôt annoncée la journée de grève interprofessionnelle du 23 mars.
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