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Doctorant en histoire à l’université d’Évry-Val d’Essonne, Vincent Gay termine une thèse sur les « OS » (ouvriers spécialisés) immigrés dans les
usines automobiles d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis et de Poissy dans les Yvelines. Le jeune chercheur suit de très près la grève qui paralyse depuis le 16 janvier le site
d’Aulnay-sous-Bois. À plusieurs reprises, il a rendu visite ces dernières semaines aux salariés en grève, constatant non pas une violence de leur part, mais « une violence
patronale ». Entretien.
Rachida El Azzouzi –À Aulnay, la direction et certains syndicats parlent d’une « violence intolérable de grévistes ». Sylvain Pattieu,
maître de conférences à Paris VIII, et vous venez de signer une tribune dans Le Monde dans laquelle vous dénoncez « une violence patronale ». Pourquoi ces
mots ?
Vincent Gay – Il nous semblait nécessaire de témoigner de ce que nous avions vu. Nous ne nions pas un haut niveau de tension, qui peut se manifester
par des agressions essentiellement verbales, signe d’une colère ouvrière légitime. Mais il faut relativiser par rapport à la violence sociale et patronale que les salariés endurent depuis des
semaines. Contrairement à ce que martèlent les syndicats hostiles à la grève, la direction et certains médias, la violence, la tension et la pression qui règnent au sein de l’usine ne sont pas
d’abord le fait des salariés grévistes. Elles sont dues à la gestion de la crise par l’entreprise. Depuis six mois, l’avenir des salariés est suspendu au bon vouloir de la direction de PSA. Et
depuis le début de la grève, celle-ci crée une ambiance propice à l’affrontement.
En recrutant dans l’usine et dans ses autres usines des cadres chargés de surveiller les grévistes et des troupes de vigiles, qui occupent l’espace de façon très
visible, dans une forme de contrôle permanent, la direction exerce une pression sur les salariés ; sans compter la présence d’huissiers censés constater les débordements. Il est certain que
l’objectif est de casser la grève, de pousser les grévistes à la faute ou d’inventer des fautes. PSA, anciennement Citroën, comme d’autres entreprises, a toujours eu du mal à accepter la moindre
lutte sociale, grève, occupation de l’usine. Que des ouvriers se réapproprient un espace normalement délégué à la production lui est insupportable.
En réponse à cette tribune, le délégué central CFTC PSA, Franck Don, vous accuse de manquer d’objectivité en tant que « militants d’extrême gauche
expérimentés ». C’est d’ailleurs le reproche de la direction et de certains salariés à l’encontre de la CGT dont le combat serait politique et non syndical.
En tant que chercheurs et étudiants, nous ne nous réfugions pas dans une certaine neutralité. Nous assumons la part d’engagement de notre regard sur les événements.
Engagement ne veut pas dire manque de rigueur. Si on étudie l’histoire des grèves du monde ouvrier, les actes qualifiés de violents, les tensions, les pressions entretenues par les différents
protagonistes sont chose fréquente.
Mais aujourd’hui s’est construit tout un discours, un vocabulaire, qui laisse penser à une pacification des relations sociales. Or, la situation socio-économique des
salariés n’incite pas nécessairement à un tel apaisement. Bien sûr, la grève à Aulnay n’est pas partagée par tous les salariés. Quelle grève dans l’histoire a été suivie à 100 % ? Mais
elle nous semble correspondre à un moment où aucune des réponses de PSA ou du gouvernement ne respecte les droits des salariés, et en premier lieu le droit à l’emploi.
La tribune du syndicaliste de la CFTC, par ailleurs très minoritaire à PSA-Aulnay, est cependant surprenante, puisqu’il consacre un texte dans un grand quotidien à
la dénonciation d’une grève et d’une révolte ouvrière, ce qui est assez éloigné d’une position syndicale classique. On peut être en désaccord sur la modalité d’action, cependant, il me semblerait
assez naturel que des attaques publiques d’organisations syndicales soient d’abord tournées contre un patronat qui s’apprête à se débarrasser de plusieurs centaines de ses salariés.
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