« Nous entrons dans l'année 1941 avec un sentiment de joie et de confiance complète dans l'avenir radieux de notre pays », écrivait la Pravda le 31 décembre 1940. « Le Parti et le
gouvernement ont énormément travaillé à accroître la puissance militaire de l'URSS, la force défensive et la préparation militaire du peuple. »
Or six mois plus tard, lorsque les armées hitlériennes envahirent l'Union Soviétique le 22 juin 1941 au matin, ce fut un désastre pour la population russe, non préparée à cette
éventualité.
En une demi-journée, 1 200 avions soviétiques furent détruits, dont 800 qui étaient restés cloués au sol, parmi les plus modernes de la flotte soviétique. En deux semaines, les troupes
allemandes pénétrèrent sur cinq cents kilomètres à l'intérieur de l'URSS. À la fin de l'été elles atteignaient Leningrad, dont elles firent le siège durant tout l'hiver, s'approchaient de Moscou
et occupaient la presque totalité de l'Ukraine.
Une politique d'alliances et de compromissions qui isola l'URSS face à l'Allemagne nazie
Si l'Armée rouge se révéla incapable de s'opposer à cette avance, ce fut avant tout pour des raisons politiques. L'offensive allemande marquait la rupture de l'alliance entre le gouvernement de
Hitler et celui de Staline, conclue deux ans plus tôt, le 23 août 1939, lors de la signature du Pacte germano-soviétique, accueillie avec stupeur par de nombreux travailleurs et militants
communistes.
Ce pacte était symptomatique de la politique de la bureaucratie russe, qui avait tourné le dos à toute politique révolutionnaire, privant ainsi l'URSS du soutien des classes ouvrières et de la
crainte qu'une révolution prolétarienne éclate dans leur pays suscitait parmi les dirigeants impérialistes. Staline se tourna vers un jeu diplomatique hasardeux en direction des grandes
puissances impérialistes, en essayant de jouer sur leurs rivalités.
Après l'arrivée au pouvoir des nazis en janvier 1933, Staline tenta un rapprochement avec l'Allemagne qui ne déboucha pas. La victoire de Hitler marquait le début du compte à rebours vers une
nouvelle guerre mondiale où l'existence même de l'URSS pouvait être remise en cause. Staline opéra alors un tournant et se rapprocha de la France et de la Grande-Bretagne. Tel fut le sens des
accords Laval-Staline de 1935, dont le but affirmé était de défendre la « démocratie » contre le fascisme. Cette alliance se traduisit en 1936 par le soutien aux gouvernements de Front populaire
en France et en Espagne.
Mais on put vite mesurer le peu de fiabilité de ces alliés impérialistes de l'URSS. En septembre 1938, les dirigeants anglais et français signèrent avec Hitler les Accords de Munich, qui
acceptaient l'annexion de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne. Sentant que l'expansionnisme allemand s'orientait vers l'est, avec la complicité des Franco-Anglais, Staline fit une nouvelle
volte-face et chercha en 1939 l'alliance de son adversaire d'hier, en signant le Pacte germano-soviétique.
Ce pacte permit à l'Allemagne et à l'URSS de se partager la Pologne. Mais les appétits de conquête vers l'est de Hitler n'étaient que provisoirement calmés. Car, loin de garantir sa sécurité à
l'URSS, le dépeçage de la Pologne laissait à Hitler les mains libres pour entamer, dans un premier temps, l'offensive à l'ouest. Trotsky écrivait : « Ses victoires (de Hitler) à l'Ouest ne sont
qu'une gigantesque préparation pour un gigantesque mouvement vers l'Est ».
Cette politique de compromission avec les États impérialistes, jusque dans leur pire incarnation avec le régime nazi, n'épargna à l'URSS ni la guerre, ni les ravages qu'elle produisit sur le
territoire.
L'incurie de la bureaucratie stalinienne
Jusqu'à la veille de l'invasion de l'URSS par les troupes hitlériennes, Staline voulut faire croire à la solidité de son alliance avec Hitler. Une semaine avant l'offensive allemande l'agence
soviétique Tass affirmait : « Les rumeurs n'ont cessé de se multiplier quant à une guerre prochaine entre l'Union soviétique et l'Allemagne... Il n'y a rien là qu'une vaste tentative des
puissances hostiles à l'Allemagne, qui souhaitent une extension du conflit... Les milieux soviétiques considèrent comme dénuées de tout fondement les rumeurs selon lesquelles l'Allemagne aurait
l'intention de rompre le pacte et d'attaquer l'URSS. Quant au transfert des troupes allemandes vers les zones septentrionales et orientales de l'Allemagne durant cette dernière semaine, on peut
penser qu'il s'agit de mener à bien des tâches militaires dans les Balkans et que ces mouvements ont été dictés par des motifs qui sont étrangers aux relations germano-soviétiques ! »
Et pourtant, dans la partie de Pologne occupée par l'Allemagne, les armées hitlériennes construisaient de vastes réseaux de communication en prévision d'une attaque de l'URSS dont Hitler n'avait
jamais fait mystère. Il était clair qu'après avoir stabilisé ses conquêtes à l'ouest du continent européen, l'Allemagne nazie se retournerait vers l'est. Même la bureaucratie russe le
pressentait, malgré son aveuglement. Sauf qu'elle ne la prévoyait pas si proche, malgré les rapports qui lui parvenaient, malgré les mouvements de la Wehrmacht dans les Balkans et en Roumanie,
qui resserraient l'étau autour de l'URSS, malgré les 500 vols de reconnaissance effectués par l'aviation allemande pendant les six mois précédant l'invasion. Pire, selon les clauses définies
par le Pacte germano-soviétique, l'URSS continua jusqu'au bout à fournir les matières premières dont l'Allemagne avait besoin pour son industrie de guerre, cuivre, chrome, manganèse, etc., dans
un but « d'apaisement », dans le fol espoir que cette servilité devant l'État nazi écarterait le danger !
Après l'invasion de l'URSS en juin 1941, Staline et la clique au pouvoir rejetèrent toute la responsabilité de l'avancée fulgurante de l'armée nazie sur l'impréparation de l'Armée rouge et
l'incompétence des officiers. C'était passer sous silence le fait que, pendant les purges de 1937-1938, Staline avait décapité l'Armée rouge, éliminant physiquement, selon les évaluations de
Trotsky, quelque 30 000 officiers et sous-officiers.
Si finalement, après trois ans de guerre sur son territoire, l'URSS parvint à se libérer de l'occupation nazie, au prix de millions de morts, ce ne fut pas grâce à la politique de Staline et de
sa coterie de bureaucrates au pouvoir, mais grâce aux sacrifices et à l'héroïsme de la population.
Marianne LAMIRAL
http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=2244&id=33
Commentaire:
C'est étonnant, mais dans cet article on ne mentionne pas les tentatives "désespérées" des agents secrets soviétiques pour avertir Staline pendant des mois. Celui-ci se méfiait de ces derniers, et du responsable des services secrets, le général Berzine (fusillé). Ces agents, pas russes mais internationalistes, juif polonais ( Léopold Trepper) ou allemand (Richard Sorge), se considéraient avant tout comme des militants, contrairement aux "professionnels" russes et donc sentaient le souffre pour les dirigeants nationalistes russes qui n'avaient aucune confiance dans ces "trotskistes".
Pour en savoir plus:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Leopold_Trepper
http://fr.wikipedia.org/wiki/Orchestre_rouge
http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Sorge
Et bien sur lire l'admirable "L'Orchestre Rouge" de Gilles Perrault et le non moins passionnant "Le grand Jeu" de Léopold Trepper.