Martin Luther King et Malcom X
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Ataulfo Riera Le 4 avril 1968, Martin
Luther King, leader du mouvement pour l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis, était assassiné à Memphis. 45 ans plus tard il reste, tout comme Malcolm X, l’un des principaux symboles d’une lutte
toujours actuelle.
Le 1er décembre 1955, dans l’Alabama, une femme noire refuse, comme le règlement l’y oblige, de céder sa place à un Blanc dans un autobus bondé. Elle est
immédiatement arrêtée. Le 5 décembre, un dirigeant syndical noir décide d’organiser le boycott des transports en commun : un long combat s’engage qui, malgré la terreur exercée par le
Ku-Klux-Klan, se soldera par la victoire.
Au cours de ce combat, une personnalité se dégage : le pasteur Martin Luther King, alors âgé de 26 ans. C’est lui qui imprimera désormais sa marque au
mouvement pour les droits civiques.
D’origine bourgeoise, brillant intellectuel ayant lu Gandhi, Hegel et Marx ainsi que des auteurs libertaires, doté d’un charisme, d’une force oratoire et d’un
caractère qui en font bien vite un leader des masses, il généralisera l’expérience de l’Alabama : la résistance active non-violente. Un vaste mouvement de lutte contre toutes les formes de
ségrégation s’étend dans tout le pays : boycott de magasins et de restaurants refusant de servir les Noirs, sit-in dans les écoles, universités, bibliothèques, parcs et piscines non-mixtes,
marches de masse, pétitions, etc. L’écho de King ne cesse de croître dans une communauté où il s’oppose au courant petit-bourgeois (aux méthodes strictement légalistes et aux objectifs
gradualistes).
Victoires
Loin de l’image d’Epinal traditionnellement véhiculée, King n’était pas pour autant un pacifiste : « Sa non-violence n’est pas une méthode de lâcheté,
mais de militantisme. Elle est au plus haut degré active et non passive (...). Ce qui le détermine à être ’non-violent’, c’est, avant tout, un mobile d’ordre tactique.
(...) » [1]. Pour lui, la lutte violente est non rentable car la minorité noire (19 millions)
est désarmée face à la violence officielle et privée. De plus, la violence risque de retourner une grande partie de l’opinion publique blanche indignée par la violence raciste. En mobilisant de
larges masses, en prônant l’action collective et immédiate et en obtenant le soutien d’une part de plus en plus large de l’opinion publique blanche, King obtient des résultats, notamment après la
Marche des Noirs sur Washington avec 250.000 participants. En 1964, le Congrès supprime toute forme de ségrégation dans les lieux publics et protège le droit de vote des Noirs. Les
discriminations à l’embauche sont abolies. En 1965, de nouvelles lois abrogent les derniers vestiges de la ségrégation raciale légale : 100 ans après l’abolition de l’esclavage !
Oppression et exploitation
C’est la fin d’une étape dans la lutte pour l’émancipation. Car, si dans la loi l’inégalité est supprimée, dans la réalité sociale, les Noirs, majoritairement
prolétaires, sont la catégorie nationale la plus opprimée et exploitée du capitalisme américain. En 1963, 5 fois plus de Noirs que de Blancs logent dans des taudis. En moyenne, leur espérance de
vie est inférieure de 7 ans à celle des Blancs. Les écarts de revenus s’accroissent : si, en 1952, le salaire moyen d’un travailleur noir était de 62% par rapport à celui d’un blanc, 10 ans
plus tard, il est de 55% ! Le chômage fait des ravages : l’accélération du progrès technique a massivement éliminé les emplois manuels peu qualifiés dans l’industrie et l’agriculture et
ce alors que les travailleurs noirs sont à 80% des ouvriers non spécialisés. Le chômage touche ainsi 14% des Noirs alors qu’il n’atteint pas 6% chez les Blancs. [2]
Face à une situation sociale désastreuse et qui empire, la tactique de King et son aura perdent alors de leur force attraction, surtout dans la jeunesse noire des
ghettos urbains. S’il est conscient des bases sociales et économiques de l’oppression des Noirs, il ne saura pas apporter de nouvelles réponses, de nouvelles formes de lutte, plus radicales, à la
jeune génération. Cette dernière n’attend d’ailleurs pas et se révolte à partir de 1965. Cette année-là, une véritable insurrection éclate dans le quartier de Watt à Los Angeles : incendies,
barricades... Bilan : 34 morts, 1.071 blessés, 400 arrestations. En 1966 40 villes sont touchées par ces révoltes et le chiffre passe à 164 en 1967. A Détroit, il aura fallu l’intervention
de 4.700 parachutistes pour rétablir « l’ordre ». [3]
Malcolm X
L’année 1965 est également celle de l’assassinat du leader Malcolm X. Issu du mouvement séparatiste noir des Black Muslims, il avait rompu avec ces derniers et
s’orientait de plus en plus vers une ligne de classe anticapitaliste et internationaliste. X s’opposait sur de nombreux points à King, notamment sur la violence, qu’il jugeait légitime en tant
qu’acte de nécessaire défense. Il devenait ainsi rapidement, au détriment de King, la nouvelle figure emblématique de la communauté noire radicalisée. Ce qui explique sans aucun doute son
élimination. [4]
Dans ce contexte, Luther King va alors réorienter son discours sur la contestation sociale. Il dénonce publiquement la coûteuse et sanglante guerre du Vietnam, où
les jeunes conscrits noirs sont en nombre proportionnellement plus élevé que les Blancs. Avant sa mort, il projette une nouvelle marche sur Washington sur le thème de la pauvreté. Le 28 mars
1968, il défile à la tête d’une manifestation d’éboueurs noirs en grève.
Le 4 avril, à l’âge de 39 ans, il est assassiné. Sa mort provoque une nouvelle vague de révolte qui touche 150 villes dans tout le pays. Comme l’écrit l’historien
Michael Honey : « Partout les Afro-américains considérèrent la mort de King comme un moment critique qui exigeait une réponse massive. Les émeutes détruisirent avant tout les
communautés noires, mais les émeutes frappèrent également les propriétaires blancs de capital bien plus que n’importe quel boycott ou manifestation non-violente. La mort de King fit éclater le
barrage de tout ce qui retenait la rage de l’Amérique noire à des niveaux de chômage semblables à ceux de la Grande dépression ; travail, logement et discrimination scolaire ; brutalité
policière omniprésente ; morts sans signification de soldats noirs au Vietnam ; et la pléthore de maux qui régnait dans les ghettos. » [5]
Pour tenter de calmer la situation, le gouvernement décrète un deuil national le 9 avril pour l’enterrement du pasteur : plus de 100.000 personnes y
participent. Tout comme pour Malcolm X, son assassinat n’a jamais été élucidé. Rapidement arrêté, le meurtrier passe aux aveux et plaide coupable ce qui empêche, selon la procédure nord
américaine, la tenue d’un procès. Les autorités ne chercheront donc pas à connaître les motivations du criminel, ni s’il s’agissait d’un complot ou d’un acte isolé. Aujourd’hui, le meurtrier
clame son innocence. Le rôle du FBI, tout comme dans le meurtre de Malcolm X, est pourtant plus que suspect. De 1963 à 1968, King est sous surveillance constante, des pressions s’exercent, dont
une lettre « anonyme », fabriquée par le FBI, et qui tente de le pousser au suicide [6]. Une fois de plus, la question est : à qui profite le crime ?
Aujourd’hui, la situation des Noirs américains reste désastreuse : 30% des familles noires vivent sous le seuil de pauvreté, l’espérance de vie est inférieure
de 6 ans à celle des Blancs [7]. Le taux de
mortalité infantile, qui n’est que de 8 pour 1000 chez les Blancs, atteint les 19 pour mille chez les Noirs. Le taux de chômage des jeunes noirs s’élève au double (28%) de celui des jeunes
blancs ! [8]
Comme le soulignait le marxiste libertaire Daniel Guérin en 1963, l’auto-organisation des Noirs est une condition clé de leur émancipation, mais « Ni
l’intégrationnisme, ni le séparatisme (...) ne détiennent la solution définitive du problème noir américain. Il y faudrait rien moins qu’une mutation révolutionnaire totale de la société
américaine, c’est-à-dire tout à la fois raciale, sociale, économique, politique et internationale. Cette mutation, les hommes de couleur, livrés à leurs seules forces, pourraient, sans aucun
doute, l’amorcer. Mais pour la mener à terme, il leur faudrait réussir à entraîner les travailleurs blancs » [9].
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