Pourquoi construire un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes ? Les promoteurs de ce projet contesté avancent plusieurs arguments pour en justifier la mise en œuvre. Des arguments qui méritent un examen approfondi, car ils s’avèrent souvent infondés. C’est notamment le cas de la saturation annoncée de l’aéroport actuel, Nantes-Atlantique. Tout démontre au contraire que sa capacité et sa sécurité sont assurées pour longtemps. Il vient même de recevoir un prix international, décerné par les compagnies aériennes.
Certes, en 1970, les organismes officiels promettaient à Nantes-Atlantique 10 millions de passagers à l’horizon 2000. On était alors dans les « Trente Glorieuses », période faste du capitalisme, avec des prévisions de trafic aérien très optimistes. Le sénateur gaulliste Chauty, futur maire de Nantes, promettait d’ailleurs pour son aéroport un trafic de fret digne d’un véritable « Rotterdam aérien »… Sauf qu’en 2011, seuls 3,2 millions de passagers ont été enregistrés à Nantes-Atlantique. Et le fret aérien y est toujours inexistant.
Les prévisions plus récentes sont plus sérieuses. Mais elles sont en trompe-l’œil : l’augmentation constante du nombre de passagers constatée cache une quasi-stabilité des mouvements d’avion. Le remplissage de ces derniers est simplement meilleur… Avec 75 passagers par avion, Nantes-Atlantique est cependant encore loin de la moyenne française : 90 passagers par avion. Et ce n’est pas un nouvel aéroport qui augmentera par miracle le trafic. Celui d’Angers, à 100 km de Nantes, reste désespérément vide, à 10 % de sa capacité. La plupart des autres aéroports en France sont largement sous-utilisés et subventionnés. « Un aéroport répond toujours à un besoin, mais ne génère pas ce besoin », avertit un pilote de Nantes-Atlantique [1].
Les perspectives de développement du trafic conduisent les pouvoirs publics à l’hypothèse haute de 9 millions de passagers… en 2065. Quand bien même ce serait le cas, cela ne condamnerait pas l’aéroport actuel. Ce dernier pourrait absorber ce trafic, en augmentant sa capacité. Un aménagement qui ne coûterait que 65 millions d’euros, à comparer aux 3 milliards d’euros que va coûter la construction du nouvel aéroport. Sans écarter pour ce dernier un déficit annoncé entre 90 et 600 millions par an.
La création d’emplois est l’autre grand argument avancé par les pouvoirs locaux. C’est aussi le plus scandaleux :
non seulement il n’est pas sûr que le nouvel aéroport crée le moindre emploi, mais il en supprimera certainement ! C’est le cas dans le secteur agricole, avec 600 emplois, directs et indirects, compromis par la construction de l’aéroport sur une zone cultivée. Les petits éleveurs de Notre-Dame-des-Landes ont été et restent les premiers mobilisés. Petits producteurs de lait, ils souffrent des conditions imposées par la Politique agricole commune (Pac) européenne, l’industrie agroalimentaire et la grande distribution. Leurs revenus tournent souvent autour du Smic et la réquisition des terres leur ôtera leur outil de travail.
Quant à la création annoncée de 3 500 emplois par le nouvel aéroport... Le site de Nantes-Atlantique accueille aujourd’hui 650 emplois directs et 1 000 emplois indirects. Comment croire que, par un simple transfert de l’aéroport, on puisse passer de 1 650 à 3 500 emplois ? En revanche, l’avenir des 2 300 travailleurs de l’usine Airbus de Bouguenais, située près de l’aéroport actuel de Nantes, pourrait être menacé. Cette usine en utilise en effet les pistes et sa direction a d’ores et déjà annoncé qu’elle refuserait de les entretenir seule.
Le développement du trafic aérien, si tant qu’il soit au rendez-vous, ne s’accompagnera pas non plus forcément d’emplois en nombre. Dans le secteur aérien, la création d’emploi dépend des lignes régulières et du fret. Or, ce secteur est en crise, les lignes régulières ferment et les grosses compagnies licencient. Et le fret est toujours resté inexistant à Nantes-Atlantique. En fait, le trafic augmente principalement grâce aux compagnies « low-cost », très peu créatrices d’emplois. « Low-cost » signifie « à bas coût »… Soit des salarié-e-s précaires, surexploités, trop peu nombreux, sans protection sociale, avec de bas salaires. Qui plus est, ces compagnies sont réputées pour extorquer des subventions publiques, en jouant sur la concurrence entre métropoles.
Restent enfin les emplois créés par la construction elle-même de l’aéroport.
Ils ne dureront hélas que le temps des travaux. S’il s’agit d’investir pour l’avenir ou de financer des emplois dans le BTP, autant privilégier la construction de lignes de train et de bus, d’écoles et d’hôpitaux, ou de logements accessibles, dont la population a vraiment besoin.
Face à la contestation, les pouvoirs publics et promoteurs du projet affirment qu’il sera neutre d’un point de vue écologique. C’est bien sûr faux. Le transport aérien est le plus coûteux qui soit du point de vue écologique : il bat tous les autres modes de transport en termes de pollution et de production de CO2 par kilomètre et voyageur. Quant au fret, seuls certains usages (courrier, médicaments…) devraient être autorisés. Car acheminer par avion les civelles de l’estuaire de la Loire ou les aromates de Chine relève d’un gaspillage de ressources éhonté. Ironie de l’histoire, la zone d’aménagement différée (Zad), promise au saccage, a été préservée de l’artificialisation, qui grignote allègrement l’équivalent d’un département tous les sept ans. Dans l’attente du lancement des travaux, les 850 hectares de terres acquis jusqu’en 1988 par le Conseil général sur le site du futur aéroport ont en effet échappé au bétonnage. Jusqu’à aujourd’hui.
Cette zone naturellement humide de landes, bois et bocages abrite un remarquable écosystème et nombre d’espèces végétales et animales devenue rares. C’est ainsi que le très protégé triton crêté est devenu l’emblème du mouvement de contestation. Ce ne sont pas les mares creusées autour du futur aéroport qui compenseront la disparition de ce milieu naturel : le gouvernement a même dû contourner sa propre loi sur l’eau pour les faire accepter.
Enfin, la réduction des nuisances sonores est le dernier argument utilisé par les promoteurs du projet, notamment depuis que Jean-Marc Ayrault, alors député-maire de Nantes et patron du PS local, a décidé en 2000 le gouvernement « gauche plurielle » de Jospin à reprendre le projet d’aéroport alors en sommeil. L’actuel aéroport est en effet proche de l’agglomération en extension, et le plan d’exposition au bruit (PEB) limite l’urbanisation sur la trajectoire des avions. Passons sur le fait que les plans de vols, selon les contrôleurs et pilotes, auraient pu depuis longtemps être modifiés pour limiter les nuisances sonores. Passons aussi sur l’argument ridicule du bruit qui dérangerait… les oiseaux. En réalité, le périphérique fait plus de bruit que l’aéroport, et les oiseaux profitent des restrictions d’urbanisation.
Mais ce faux argument a le mérite de pointer le véritable mobile du projet, jamais mis en avant : permettre l’urbanisation des zones proches de l’ancien aéroport. Il s’agit du « grand projet de ville ». L’équipe Ayrault a entrepris de faire de Nantes le cœur d’une métropole Nantes-Saint-Nazaire-Rennes et il lui faut du terrain à bâtir, que le déménagement partiel de l’aéroport fournirait. Il faut pour cela libérer les permis de construire sur l’Ile de Nantes, à Rezé, à Bouguenais. Ce n’est pas pour autant un projet pour loger les pauvres : ces terrains et ces logements se vendront à prix d’or. Il correspond à une volonté politique de faire de Nantes une ville attractive pour les classes aisées : les friches industrielles deviennent des centres culturels, on transforme le palais de justice en hôtel de luxe et les friches aéroportuaires abriteront de beaux logements pour ceux qui en ont les moyens. Quitte à renvoyer les populations plus défavorisées à la périphérie de cette mégapole.
L’objectif est d’attirer les sièges sociaux des entreprises : la « gauche plurielle » et la droite locales semblent avoir pour seul projet de répondre à la logique de concurrence entre villes et régions européennes. A coups de subventions pour remplir l’aéroport et aménager les espaces publics. Quitte à vider les aéroports voisins et dépecer le tissu d’emploi des zones hors de son influence directe. Les écoles, les hôpitaux et les emplois attendront. « Moi, ce dont j’ai besoin, c’est d’une ligne de car qui emmène mes petits-enfants à l’école, témoigne cette habitante de Notre-Dame-des-Landes, pas d’un aéroport. » A qui profitera donc le nouvel aéroport ? Pas à la population de la région, qui paierait la note d’un équipement dont elle n’a pas l’usage. Restent quelques patrons d’entreprises qui gagneront peut-être quelques heures pour leurs voyages d’affaires, en promettant que cet investissement d’aujourd’hui sera la croissance de demain… Et les groupes bétonneurs, gros consommateurs d’argent public.
Bertrand Achel et Claudine Jégourel
1963. L’État décide d’un aéroport pour la région Ouest.
1968. Choix du site de Notre-Dame-des-Landes, à 20 kilomètres de Nantes.
1974-88. Le conseil général acquiert
850 hectares de terres agricoles sur la zone d’aménagement différé (Zad). Mise en sommeil du projet.
2000. Relance du projet par Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes.
2008. Déclaration d’utilité publique.
2010. Choix du concessionnaire Vinci, travaux prévus pour janvier 2013.
16 octobre 2012. Opération « César » visant à expulser les opposants présents sur la Zad