Malgré des centaines d'arrestations, les militants et les villageois vivant non loin de la centrale de Kudankulam, dans l’Etat méridional du Tamil Nadu, s'organisent pour continuer à bloquer la mise en service des réacteurs. Reportage.
27.03.2012 | Shaju Philip | The Indian Express
Après l'annonce du gouvernement, la police a bloqué toutes les routes menant à Idinthakarai et procédé à quelques arrestations [500 selon The Times of India]. Pour les habitants, leur village est assiégé – mais ce n'est pas pour autant qu'ils vont se taire. Le jeudi 22 mars, environ 7 000 personnes, dont beaucoup de femmes et d'enfants, se sont rassemblées sous le toit de chaume du préau en face de l'église, à quelques mètres du presbytère. Le village est en alerte, redoutant que la police n'arrête S.P. Udayakumar, coordinateur du comité de lutte et figure de proue de la contestation. L'agitation s'est étendue aux villages voisins. Le 19 mars, Udayakumar et 14 autres personnes ont commencé un jeûne d'une durée illimitée [ils y ont mis fin le 27 mars au soir].
"Tout le village s'est rassemblé dans l'église quand la police a instauré le blocus des routes pour réprimer notre mouvement, raconte Raj Leon, un villageois chargé de la logistique. Tous les magasins du village sont fermés en signe de solidarité avec les pêcheurs en colère [à cause de l'eau chaude qui sera rejetée par la centrale, menaçant leur activité]. La police empêche les camions-citernes de venir, et le village n'est plus approvisionné en eau." Face à la crainte que le ravitaillement du village par la route ne soit bloqué par la police, quelques-uns des 300 bateaux de pêcheurs ont été mis à contribution et approvisionnent Idinthakarai par la mer.
M. Melred est venu avec sa mère Juliet et sa fille Risika. "Notre mouvement a pour objectif de permettre à nos enfants de vivre ici sans craindre une tragédie nucléaire. Et quoi que vous en disiez, ce n'est pas Udayakumar qui nous a monté la tête. Jayalalithaa avait promis qu'elle serait de notre côté, elle nous a abandonnés. Nous n'en voulons pas de ses cinq milliards de roupies [74 millions d'euros, un fonds spécial de développement débloqué pour apaiser les manifestants]", s'indigne M. Melred. Ronald, un pêcheur de 24 ans, assure que la centrale rendra inexploitable les eaux dans lesquelles ils pêchent. Et le poisson ne se vendra pas si les gens savent qu'il vient des abords de la centrale, ajoute-t-il.
A Idinthakarai, les cloches qui carillonnent n'invitent pas à la messe. Depuis une semaine, le tocsin retentit pour signaler l'approche de la police et inviter les manifestants à se rassembler sous le préau, devant l'église. S.P. Udayakumar et M. Pushparayan, les meneurs du mouvement, sont bien à Idinthakarai, mais, comme ils ont peur de se faire arrêter, ils viennent peu en ce moment sur le lieu de rassemblement. Sur l'estrade, des personnalités locales prononcent des discours enflammés. "Personne ne doit sortir du village, harangue Jesu Raju, un autre responsable du comité d'organisation. Tout peut arriver, à tout moment. Soyez vigilants."
A.P. Kishore n'est pas rentré à Idinthakarai depuis le début de la contestation. Il est l'un des deux habitants de ce village employés sur le site de la future centrale nucléaire de Kudankulam (le second est un pompier). Diplômé en génie mécanique, il y travaille depuis 2002 comme assistant scientifique. Kishore appartient à la paroisse catholique d'Idinthakarai, là où ont lieu les manifestations, et certains de ses proches et de ses amis font partie de ceux qui campent sur place. "Depuis 2006, je vis dans la cité ouvrière Anu Vijay de Kudankulam avec mon épouse et mes parents. Aujourd'hui, nous avons peur de retourner au village. Nous sommes convaincus que la centrale ne présente pas de danger et que les technologies utilisées ici sont très avancées, mais ils ne nous croient pas."
Ce que les villageois craignent, c'est l'eau chaude que rejette la centrale et qui élève la température de la mer. Selon les scientifiques de la centrale, les rejets d'eau à Kudankulam ne font que deux degrés de plus que l'océan. Or selon les analyses du ministère de l'Environnement et des Forêts, la différence de température peut aller jusqu'à sept degrés.
R.S. Sunder, le directeur de la centrale de Kudankulam, précise que le travail est interrompu depuis l'essai à chaud [test effectué sur les réacteurs avec du combustible d'essai] d'août 2011. "Depuis octobre, la centrale tourne uniquement avec le personnel nécessaire à la maintenance et à ce genre d'opérations. Pour rattraper le temps perdu, nous venons de faire appel à 25 ingénieurs et techniciens détachés d'autres centrales nucléaires indiennes. Nous en attendons d'autres dans les jours à venir."
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1997. Début des travaux sur le site.
2002. Début de la construction de deux réacteurs de 1 000 mégawatts chacun.
2004. Construction d'un port pour acheminer le matériel.
2007. Protocole d'accord entre l'Inde et la Russie pour la construction de 4 nouveaux réacteurs.
2011. Juillet - août. "Essai à chaud" (hot run, test effectué sur les réacteurs avec du combustible d'essai) sur le premier réacteur dont le démarrage est prévu en décembre. Le second doit être mis en service neuf mois plus tard. Septembre
. Mobilisation de la population, blocage des routes, grève de la faim illimitée. Jayalalithaa, ministre en chef du Tamil Nadu, accepte d'interrompre la mise
en service du premier réacteur "tant que les peurs de la population ne sont pas apaisées". Novembre. Après avoir visité la
centrale, l'ex-président indien A.P.J Abdul Kalam déclare que celle-ci est sécurisée. Décembre. L'Inde et la Russie se mettent
d'accord sur le financement de deux nouveaux réacteurs.
2012. Février. Un groupe d'expert visite la centrale et rend son rapport à Jayalalithaa.
Mars. Jayalalithaa donne son feu vert à la mise en service des deux réacteurs, l'un après l'autre. 15 militants se mettent en
grève de la faim illimitée. Quelque 500 manifestants sont arrêtés pour avoir voulu rejoindre le rassemblement antinucléaire. Le 29
mars, le Premier ministre indien doit rencontrer son homologue pour finaliser l'accord sur les deux prochains réacteurs.