13 mai 2010 - Le Télégramme
Les trois chaînes locales bretonnes vont diffuser «Des pierres contre des fusils», réalisé par Nicole et FélixLe Garrec. Ce long métrage sur la lutte contre l'implantation d'une centrale nucléaire à Plogoff a longtemps été boudé par les télés.
Nicole et Félix Le Garrec n'en reviennent toujours pas de la place qu'a pris le film «Des pierres contre des fusils» dans leur vie. En 1980, le couple de cinéastes, qui avait travaillé avec René Vautier sur « Avoir 20 ans dans les Aurès», était loin de penser que les premiers coups de manivelles donnés dans le Cap, allaient marquer à jamais sa carrière. À l'époque, il avait axé son activité sur la production de diaporamas d'inspiration ethno et socio.
«On avait réalisé une série sur la langue bretonne qui marchait très bien, explique Nicole. On s'était intéressé également à la marée noire de l'Amoco Cadiz ou
encore au remembrement». Plogoff, le couple s'y était intéressé en tant que voisins et militants. «On a assisté aux premières tensions. C'est quand on a vu des grands-mères molestées par les CRS
qu'on a décidé de filmer.De témoigner». Cet engagement n'est pas anodin. Car à l'époque où la vidéo n'en est qu'à ses balbutiements, tourner un film coûte extrêmement cher. «On s'est endetté, on
prenait vraiment des risques», poursuit Félix Le Garrec qui suivra pendant six semaines, caméra à l'épaule, les événements. À ses côtés, se trouvait Jakez Bernard qui deviendra, quelques années
plus tard, un des principaux producteurs audiovisuels bretons.
Une poignée de journalistes sur place
«On dormait sur place, à la ferme de Kerstrad, chez Marie Carval, une farouche opposante au projet de centrale. Sur le terrain, ça n'était pas évident. Il fallait éviter les grenades offensives
lancées par les CRS. Je pense que je n'avais pas conscience du danger». Les journalistes n'étaient qu'une poignée sur le site. Les télévisions, sous la coupe de l'Élysée, restaient on ne peut
plus discrètes sur la lutte antinucléaire menée dans le Cap Sizun. En face des manifestants, se trouvaient des CRS puis des paras qui ne faisaient pas dans la dentelle. «Beaucoup ont été
extrêmement marqués par ces affrontements. C'était pire qu'en 68. Car jamais ils ne s'étaient retrouvés nez à nez avec des femmes et des vieillards», poursuit Nicole. Pour travailler correctement
de part et d'autre de la ligne de front, Félix n'hésite pas à engager la conversation avec les policiers chargés de filmer les affrontements. «On parlait objectif, cadrage. Ces quelques mots
échangés faisaient croire aux autres militaires que j'étais habilité à filmer. Ces ruses m'ont permis de travailler correctement».
Des CRS commandent le film
Depuis trente ans, le couple n'a cessé d'écumer les salles obscures de la France entière. «Le film a dû être vu par 400 000 personnes. Il ne se passe pas une semaine sans qu'on intervienne. On
est invité dans des festivals. Des événements militants où l'on côtoie beaucoup de jeunes», se réjouit Félix qui affiche 80 vigoureux printemps. Avec le temps, «Des pierres contre des fusils» est
devenu un film symbole. Dans les milieux militants bien entendu, mais aussi dans les rangs des CRS qui, parfois, passent commande de DVD. Nostalgie quand tu nous tiens.
Note: Selon nos souvenirs, le CRS étaient en fait des Gendarmes mobiles, parachutistes, militaires de retour du Liban.