Dans une interview accordée à Marianne, Jean-Luc Mélenchon a commenté la candidature aux régionales d’Ilham Moussaïd. Cette jeune femme voilée est candidate sur la liste NPA du Vaucluse. Pour le sénateur, cette candidature, ce « n’est franchement pas une bonne idée » et « tout ça est régressif ». Bloggeur sur Rue89 et militant au NPA, Philippe Marlière, lui répond.
Cher Jean-Luc,
Nous avons eu droit à la grand messe sur l’identité nationale des sécuritaires Besson-Hortefeux (un « débat » pour attrape-nigauds ou pour fachos de tout poil). Puis, ce fut au tour du couple Gérin-Raoult, les pieds-nickelés de l’ordre républicain (et « éradicateurs » de burqas). Aujourd’hui, nous enchaînons avec la chasse à la candidate « islamiste » du NPA. Manque de pot, cette fois-ci, c’est toi qui lance la meute contre Ilham Moussaïd. Que tu le fasses à partir d’une feuille réactionnaire (la mal-nommée Marianne) ajoute encore au trouble.
Tu dis que cette candidature est « régressive ». Qu’en sais-tu ? Connais-tu la candidate ? As-tu discuté avec elle de ses opinions politiques ? Qu’est-ce qui te permet de douter de son engagement féministe, laïque et de gauche ?
Tu affirmes que cette candidature est « immature ». Pourquoi ? En quoi le choix d’une femme dont les parents sont issus de l’immigration serait « immature » ? Cette initiative que tu qualifies subtilement de « racoleuse » vise en réalité à présenter une jeune femme d’origine populaire et qui est politiquement active dans sa région. Où est le mal ?
On peut opposer cet acte pleinement politique à la pitoyable drague des « minorités visibles » par les partis de gauche (un terme hypocrite et impropre, car on sait bien que l’on s’intéresse ici au caractère ethnique des personnes). Dans ce cas, contre la mise en scène de la couleur sur une liste, des partis de la gauche laïque cèdent quelques strapontins à des minorités normalement invisibles. Qu’as-tu à dire de cette tartufferie électorale ?
Plus fort encore : tu affirmes que le NPA « entraîne le débat sur le terrain religieux ». En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ? Rien dans son discours public de militante ne te permet d’étayer cette accusation gratuite.
Allons, cessons de tourner autour du pot : ce qui te pose problème, ce n’est ni la candidate, ni ses origines ethniques ou sociales, mais le fait qu’elle porte un foulard. Un foulard ! Quelle horreur ! Et te voilà déclinant le prêt-à-penser soi-disant laïque : le foulard, c’est mal, ce n’est pas républicain, ce n’est pas progressiste, etc.
Tu es l’un des rares hommes politiques français qui lit, réfléchit, débat, tente de comprendre et d’interpréter le monde tel qu’il est. Quelle déception de te retrouver attablé au café du communautarisme laïcard. Le foulard est un « signe de soumission patriarcale » assènes-tu. Qu’en sais-tu ?
Le foulard n’a intrinsèquement rien à voir avec cela. Dans certaines situations, une femme voilée peut en effet être soumise à la domination masculine, mais c’est loin d’être une règle générale. Inversement, nombre de femmes en apparence « libérées » et « modernes » vivent sous le joug tyrannique de conjoints.
La domination patriarcale s’inscrit avant tout dans les rapports hommes-femmes au quotidien. Une femme qui a librement décidé de porter le voile et qui mène une existence autonome sera toujours plus libre que celle sans voile qui, du foyer au bureau, sera cantonnée à des rôles mineurs, parce que femme.
Nous avons toi et moi longtemps appartenu au Parti socialiste, où il est de bon ton de stigmatiser les « voilées ». C’est dans ce parti que j’ai pu observer les manifestations les plus machistes et misogynes, sans que cela ne suscite aucun tollé chez les éléments masculins : blagues sexistes, intimidations physiques et, last but not least, infractions délibérées à la loi sur la parité. C’est drôle, dans ces cas-là, personne ne s’élève contre la « domination patriarcale ».
Tu affirmes enfin qu’Ilham Moussaïd « divise » et qu’il lui faut « tirer les leçons de l’Histoire de France (…) parce que nous avons connu trois siècles de guerre de religion ». Si ce n’est pas un dérapage de ta part, cela y ressemble de près.
En quoi le foulard d’Ilham serait-il comparable à nos guerre de religions, à la déportation des juifs par la police française ou encore à la « mission émancipatrice » laïco-chrétienne en Algérie ? Il faut garder le sens de la mesure, Jean-Luc !
La laïcité qui décide comment il faut s’habiller sur la voie publique, qui prétend interpréter le sens que l’on donne à son apparence physique et qui exclut les têtes (et les voiles ! ) qui dépassent, ce n’est pas la laïcité : c’est l’intolérance et le refus de la différence. Jean-Luc, laisse cela aux Besson, Hortefeux, Gérin et Raoult.
Avec mes salutations amicales et navrées.
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Foulard et laïcité
par Raoul Marc Jennar - jeudi 4 février 2010
Je suis aux côtés des femmes qui ont lutté et luttent encore âprement pour la libre disposition de leur corps et de leur vie. Mais cela ne me paraît pas incompatible avec les réponses qu’elles se donnent personnellement aux grandes questions fondamentales.
Une femme qu’elle soit de confession musulmane, de confession chrétienne ou de confession hébraïque, peut très bien défendre le droit des femmes à l’IVG et, éventuellement, le refuser pour elle-même.
On se bat pour des libertés — même celles dont on n’entend pas user - pas pour des interdits. On se bat pour refuser que les interdits des religions deviennent (ou demeurent) des interdits de toute la société.
Les motivations à l’origine du port d’un signe désignant une opinion (la croix des chrétiens, le foulard des musulmanes, la kippa des hébreux) ou une adhésion ( la branche d’acacias des francs-maçons) sont multiples. J’observe que cette motivation va du simple signe de reconnaissance à la manifestation délibérée d’une solidarité entre opprimés. A l’image du keffieh, signe de solidarité avec le peuple palestinien.
Des femmes du NPA s’insurgent parce qu’une militante de ce parti, Ilham, porte le foulard alors qu’elle est candidate dans le Vaucluse pour les élections régionales. Pourtant, à ce qu’il me revient, Ilham défend avec beaucoup de détermination les objectifs de son parti tels qu’ils sont formulés dans les principes fondateurs du NPA. Sans la moindre restriction.
Il me semble qu’il y a, chez ces militantes hostiles à la candidature d’Ilham, une confusion. Un amalgame entre croyance et église. Nul ne peut nier que ceux qui ne sont pas croyants ont été victimes pendant des siècles de la tyrannie de l’Eglise catholique. Mais des chrétiens l’ont été également : les Cathares, les Protestants et tous ceux qui, croyants, ne croyaient pas selon les dogmes et les rites convenus par l’église dominante du moment.
C’est le cléricalisme, c’est-à-dire le pouvoir de l’institution qui prétend détenir la juste interprétation de la croyance et — logique monothéiste — l’imposer à toutes et tous, qui a infligé des souffrances immenses à telle enseigne qu’on peut qualifier de crimes contre l’humanité les maux infligés par l’Eglise catholique et son clergé. Comme d’autres églises d’ailleurs, puisque le monothéisme porte en lui l’intolérance, l’arbitraire et le totalitarisme.
Le combat contre le pouvoir des églises n’est d’ailleurs pas terminé loin s’en faut. Les exemples abondent dans la République française proclamée laïque des avantages concédés par les pouvoirs publics à des institutions relevant d’une église. Autre exemple, lors de la conférence de l’ONU sur les droits de la femme, on a vu l’alliance des clergés des grandes religions monothéistes s’opposer au droit fondamental de la femme à disposer d’elle-même. Une alliance qui se reforme chaque fois que les droits des femmes sont en débat dans les enceintes internationales.
Croire ou ne pas croire est une liberté individuelle fondamentale. Sauf à brimer la liberté de pensée, ce n’est pas la religion qu’il faut combattre, ce sont les institutions qui veulent l’imposer. Ce n’est pas l’opium qu’il faut combattre, c’est celui qui le vend.
C’est le rôle des églises et non les croyances individuelles qu’il faut combattre. Ce qui peut, ce qui doit unir toutes les femmes et tous les hommes qui se réclament de la laïcité, c’est le combat contre le pouvoir des églises sur la société. Pas la négation des opinions personnelles.
Etre laïque, c’est être anticlérical ; ce n’est pas imposer l’athéisme. La laïcité ce n’est pas la négation des religions, ni davantage la promotion de l’athéisme. La laïcité, c’est le refus de donner à quelque clergé que ce soit une emprise sur les choix de la société. Léon Gambetta le rappelait : “le cléricalisme, voilà l’ennemi !”
Que la présence d’Ilham, courageuse révélatrice d’un débat essentiel, sur une liste pour les élections régionales pose problème à des membres de son parti témoigne des limites de ceux-ci quand ils prétendent lutter pour l’émancipation. L’émancipation ne signifie pas l’alignement des opinions personnelles sur un mode de pensée unique. “La liberté, c’est d’abord la liberté de celui qui pense autrement” (Rosa Luxemburg).