Lundi 15 février, la Belgique a connu l’une de ses catastrophes ferroviaires les plus meurtrières avec la collision de deux trains près de Hal. Le bilan
est lourd : 18 décès et 162 blessés. L’accident aurait-il pu être évité ? Pourquoi les incidents se multiplient-ils sur le réseau belge ? La privatisation de la SNCB est-elle la solution
ou le problème? Les réponses par quelques extraits d’articles choisis et réunis par
Investig'Action - michelcollon.info
La catastrophe aurait pu être évitée
Depuis le drame de Pécrot en 2001 dans des circonstances analogues (un feu rouge probablement brûlé par un des deux trains impliqués dans la collision),
nous soutenons, à l’instar des cheminots, l’installation d’un système TBL1+ qui rendrait impossible de brûler un feu rouge.
Un tel système existe aux Pays-Bas, en France et en Allemagne sur la plupart des lignes. Or, ce système indispensable n’a été introduit aujourd’hui que
sur 1% des locomotives en Belgique. Et le comble est que l’Etat ne peut subsidier directement ces investissements pour la sécurité en raison des directives européennes de libéralisation
interdisant les aides publiques pour la filiale exploitation de la SNCB. Les partis au pouvoir portent donc une grande responsabilité.
Source : Drame ferroviaire de
Hal: pourquoi les moyens n'ont pas été mis en oeuvre pour éviter la catastrophe
Nos vies valent plus que leurs profits
Les cadences imposées aux conducteurs, accompagnateurs, aiguilleurs de la SNCB sont intolérables. Les conducteurs doivent prester 9 heures de travail sans
pauses, à part 6 min par changement de train, doivent combiner plusieurs prestations prolongées au cours de la même semaine et assumer des déplacements domicile/travail parfois très long.
Ces cadences imposées par la direction vont à l'encontre de la sécurité élémentaire nécessaire sur un réseau ferroviaire.
Depuis la scission de ses activités, la SNCB est mise sur les rails de sa privatisation complète, avec comme conséquence logique et directe une nouvelle
priorité: la rentabilité à tout prix. Or, le critère de rentabilité entre frontalement en contradiction avec celui de la sécurité. La rentabilité ne peut absolument pas assurer aux
travailleurs de bonnes conditions de travail et, par là, garantir un bon service, efficace et sécurisé, à la fois pour le personnel et pour les usagers.
La poursuite de la logique de rentabilité qui imprègne de plus en plus nos transports ferroviaires implique forcément de faire des économies drastiques sur
l'entretien du matériel (ce qui multiplie les "incidents", causant retards et accidents), et sur la réduction des “couts salariaux” par la réduction du personnel (à titre d'exemple; il
n'y a plus un annonceur par gare, dorénavant à peine une vingtaine de personnes assurent les annonces dans toutes les gares!), ce qui entraîne une dangereuse augmentation des cadences et
de l'intensité du travail sur les travailleurs restants, à commencer par le personnel roulant.
La scission des activités de la SNCB, qui, rappelons-le, s'est construite pendant 100 ans avec les finances publiques, préfigure sa vente au privée et son
entrée en Bourse. Cette réforme s'inscrit dans le cadre des directives européennes visant à la complète “libéralisation” du “marché ferroviaire” et son ouverture, y compris pour le
transport des passagers, à la concurrence privée.
Source : Accident ferroviaire de Hal: nos vies valent plus que leurs profits
Réduire les coûts de production, donc le personnel
«La suppression de personnel dans les gares de formation, la multiplication des tâches à effectuer et le déplacement des agents dans des gares qu'ils
connaissent peu va encore détériorer la sécurité, constate un responsable syndical. De plus, avec la libéralisation du trafic marchandises (déjà effective sur une partie du réseau), des
sociétés ferroviaires privées font leur apparition et on a déjà pu constater qu'elle ne respectaient pas les normes de sécurité.»
Un cheminot signale aussi que, dans sa région, certains sous-chefs des cabines de signalisation accumulent 50 à 100 jours de congés de retard. Pendant ces
grandes vacances, certains ne se sont vu accordé que 13 jours de vacances en continu... Ces agents, qui ont souvent plus de dix ans d'ancienneté, n'ont jamais vu une situation aussi
désastreuse. Elle entraîne une situation de fatigue aussi néfaste pour les travailleurs que dangereuse sur le plan de la sécurité.
Le manque de personnel peut prendre des aspects surprenants. Ainsi, un conducteur remarque que, normalement, des équipes retirent chaque année les
branchages, feuillages et broussailles qui peuvent cacher les panneaux de signalisation.
«Cette année, cela n'a presque pas été fait. Ces deux derniers mois, des dizaines de panneaux ne sont plus visibles. Il y a aussi des branches qui touchent
les câbles électriques. Avant, on élaguait les arbres préventivement. Maintenant, c'est seulement lorsqu'on signale un problème. Et encore : sur une certaine ligne, j'ai constaté et
signalé ces problèmes en mai et rien n'a été fait jusqu'ici.»
Le même conducteur pointe aussi l'état déplorable des locomotives, dû au manque de personnel dans les ateliers: «Depuis six mois, je n'ai pas eu une loco
dont je peux dire qu'elle était parfaitement en ordre.»
Source : Catastrophe de Pécrot: la SNCB condamnée (Extrait d’un article de 2004 suite
au procès où la SNCB avait été reconnu coupable dans la catastrophe de Pécrot. A l’époque, les cheminots redoutaient déjà de nouveaux incidents)
Faut-il prendre le modèle anglais comme exemple ?
Il n’existe aucun exemple réussi de privatisation des chemins de fer. Nulle part dans le monde entier. La Suisse a l’un des meilleurs réseaux ferroviaires.
Le chemin de fer y appartient entièrement à l’Etat. Il n’empêche que l’Etat Suisse paie moins pour ses chemins de fer que les subventions injectées par l’Etat dans son réseau ferroviaire
privatisé. L’idée que la privatisation diminue les dépenses publiques n’est qu’un leurre. Entre-temps, les opérateurs ferroviaires et les propriétaires du matériel roulant réalisent
de grands bénéfices. Et pourquoi les grands actionnaires seraient-ils plus intéressés par le confort de voyageurs ou par la sécurité que par les taux de leurs actions ? Les libéraux
préfèrent ne pas répondre à une question aussi simple. Et en matière d’investissements et de sécurité, les chasseurs de rendement n’ont aucun scrupule. Pendant dix ans, les voyageurs et
le personnel des chemins de fer britanniques ont réclamé le système ATP, qui actionne les freins lorsque le train brûle un feu. Celui-ci coûtait « trop cher » aux yeux des
actionnaires de Railtrack. Après la grande catastrophe ferroviaire de Paddington en 1999, qui n’était déjà pas la première... l’Etat qu’on avait tellement vilipendé a fini par
intervenir.
Les navetteurs britanniques voyagent dans des wagons pleins à craquer, serrés comme des sardines. S’ils ont de la chance. Car souvent, le train est annulé.
La Grande Bretagne détient le record européen du nombre d’annulations de trains. Les réclamations fusent concernant les retards, les trains supprimés à la dernière minute, la mauvaise
information, la sur-occupation, le chauffage défectueux, la saleté des wagons, des toilettes et des gares. Et le prix des billets ? Il a grimpé au point de compter parmi les plus élevés
d’Europe. Il n’est pas étonnant que trois quarts des Britanniques réclament la renationalisation du chemin de fer. Take back the track. (Littéralement, « rendez-nous le rail »)
L’Etat européen tire une toute autre conclusion de l’histoire de Railtrack. La phase suivante de la libéralisation du chemin de fer est annoncée pour 2010.
Sans vergogne, l’Europe veut continuer à attribuer les avantages au privé et les désavantages à l’Etat. Désormais, les entreprises privées ne se chargeront que de l’exploitation des
lignes ferroviaires, c’est-à-dire des parties rentables. Le développement coûteux et l’entretien du réseau seront à la charge de l’Etat.
Source : ptb-challe.over-blog.com (Extrait du livre Priorité de gauche de Peter Mertens et Raoul Hedebrouw)
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