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10 août 2010 2 10 /08 /août /2010 09:56

Par Ernest Mandel le Lundi, 09 Août 2010


 

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Ce texte est tiré d’un livre assez insolite, publié par Ernest Mandel en 1986. Cet intellectuel marxiste de renom, disparu il y a quinze ans, le 20 juillet 1995, a été sans doute l’un des penseurs qui ont le plus profondément influencé la génération de 68. Connu en particulier pour ses travaux économiques, notamment le Traité d’économie marxiste (1964) et Le capitalisme du troisième âge (1972), il s’est aussi intéressé à un grand nombre de questions dans de multiples domaines. Il aborde ici l’histoire sociale du roman policier, en particulier dans la France de l’après 68. De nombreuses idées de lecture pour l’été (LCR-Web)


Au cours des dix dernières années, un nouveau sous-genre de roman policier est apparu. Comme il se devait, il est né en France. C’est un pur produit de Mai 68 et de l’après Mai 68. On pourrait l’appeler «polar révolutionnaire », ou « nouveau roman noir », ou encore littérature néo-populiste.


Mais peu importe l’étiquette, il s’agit de saisir la tendance générale, la nature du genre, celle d’une mise en question radicale de la société dans son ensemble, de l’Etat et de ses appareils, y compris de la police, y compris des détectives privés. La violence, qui est toujours la caractéristique principale du genre, n’est plus avant tout criminelle et individuelle, ni exceptionnelle, comme dans le roman d’espionnage. C’est la violence institutionnelle quotidienne – ou, si l’on veut, le terrorisme d’Etat – qui est catégoriquement dénoncée, à laquelle s’oppose l’insignifiante mini-violence des laissés-pour-compte.


Contre la violence de l’Etat


(…) les romanciers appartenant a cette catégorie (…) prennent généralement conscience du fait que la révolte individuelle – ou de petits groupes – contre la violence institutionnelle n’a aucune chance. L’aspect romantico-donquichottesque encore présent chez les grands ancêtres du roman noir – Hammett, Chandler, Ross MacDonald – et qui revient chez Trevanian, Cook et les autres, a ici disparu. Si ce nouveau sous-genre est typiquement français, et ne pouvait être que français en fonction de ce qu’a été l’évolution (et la potentielle révolution) sociale des vingt dernières années, il possède néanmoins quelques antécédents anglo-saxons.

 

Un Américain du nom de Jim Thompson, qui après un moment de gloire fut quasiment oublié durant deux décennies, a écrit, avec Le Démon dans ma peau (1966) [Folio-Policier, 2002 ; titre original anglais : The Killer Inside Me], l’exemple le plus hallucinant du récit (de l’assassin) à la première personne. Le meurtrier est ici un flic psychopathe et sadique, qui essaie de détruire quelques-unes de ses victimes en les noyant sous un torrent de banalités. L’univers maudit de Jim Thompson ressemble à l’univers néo-populiste français, mais il n’en possède pas la dimension nettement politique.


Un ancêtre anglo-saxon plus engagé est l’écrivain Sam Greenlee (The Spook who sat by the Door, 1969) [Ivan Dixon en a tiré un film en 1973] (…). Mais si cet auteur partage les préoccupations politiques, clairement révolutionnaires de beaucoup d’auteurs néo-populistes français, il n’a pas leur lucidité. Il charrie l’illusion qu’une petite minorité résolue s’adonnant à la guérilla urbaine pourrait venir à bout de la bourgeoisie américaine, de son Etat et de son armée.

 

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Le « néo-polar » de Jean-Patrick Manchette


Le néo-populisme français est l’enfant littéraire légitime de Mai 68, mais sa filiation passe par l’école dite du «néo-polar », essentiellement représentée par John Amila, Francis Ryck, Jean-Patrick Manchette et Frédéric Fajardie. Le plus important de ces auteurs est incontestablement Jean-Patrick Manchette [1942-1995 – L’intégrale de Manchette a été rééditée par Gallimard en 2005, dans la collection Quatro], qui a écrit, avec L’Affaire N ‘Gustro (1971) [Folio-Policier 1999], calquée sur l’affaire Ben Barka, une féroce parodie du «néo-polar » à thèse. L’ambiguïté des personnages s’étend a ceux présumés de gauche (la gauche respectueuse, comme disait Sartre), avec leurs illusions mille fois contredites par l’histoire, avec leur impuissance devant la violence de l’Etat et de l’extrême droite. On aurait pourtant tort de faire croire, comme l’ont écrit certains critiques, que Manchette essaye de blanchir ou de présenter sous une lumière favorable les assassins de Ben Barka, leurs complices et leurs indics. II n’en est rien. Le caractère pleutre et falot de plusieurs d’entre eux rend ce crime d’autant plus ignoble lorsqu’on s’aperçoit de quels instruments somme toute pitoyables « la raison d’Etat » est amenée à se servir.


Les opinions gauchistes de Jean-Patrick Manchette sont indéniables. Dans Nada (1972) [Folio-Polar 1999], la férocité de la répression policière est dépeinte de manière cinglante. Mais le côté délibérément tordu et ambigu de ses récits permet qu’ils puissent être mal compris, voire même appréciés par des lecteurs apolitiques, sinon par des cinéastes et des critiques de droite. Une manière de présenter comme dérisoire toute action politique, parce qu’inefficace et condamnée à l’échec, rend finalement cette littérature moins « désintégratrice » par rapport au système qu’elle n’en donne l’impression de prime abord.


De ce point de vue, Jean-Patrick Manchette poursuit une certaine tradition anarchisante et gauchiste. En jetant dans le même sac les possédants et les révolutionnaires, tous caractérisés par la même prétendue absence de lucidité et d’humanité généreuse, cette tradition finit par faire gober au lecteur la vieille «sagesse » des classes dominantes – devenue le lieu commun véhiculé par une fraction des masses populaires –, celle du «Plus ça change, plus c’est la même chose » et du «Il y a toujours eu des riches et des pauvres, des dominants et des dominés ».

 

Conclusion au premier degré: ça ne sert à rien de se révolter. Conclusion au deuxième degré : que les choses restent comme elles sont, on ne peut tout de même rien y changer ; cultivons notre jardin, pour le plus grand bien des puissants s’entend. Comme quoi, révolte individuelle et révolution sociale ne s’épaulent pas automatiquement.


Il est vrai que Jean-Patrick Manchette restreint apparemment son rejet au seul révolté individuel: « Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à cons. (...) Le desperado est une marchandise, une valeur d’échange, un modèle de comportement comme le flic ou la sainte. (...) C’est le piège qui est tendu aux révoltés, et je suis tombé dedans. » Comme il ne fait guère de distinction entre « révolté » et « révolutionnaire » et que le révolutionnaire est pour lui inexistant et impossible (« le marxisme est une duperie »), cela revient finalement au même. Son succès est d’ailleurs dû en partie au fait qu’il exprime, à sa manière, l’immense désenchantement de l’après Mai 68, renforcé plus tard par la déception de l’après Mitterrand.


Un polar prolétarien ?


Autre chaînon intermédiaire entre le roman noir classique et le nouveau roman noir, Jean Amila [Jean Meckert, 1910-1995]. Après ses premières œuvres qui le rattachent a Léo Malet, père du roman noir français, il réalisera, dans Le Pigeon du faubourg (1981), ainsi que dans quelques autres romans, une sorte de synthèse entre le «  polar  » à proprement parler et le roman prolétarien qui s’efforce de faire comprendre au lecteur la réalité de la condition ouvrière, surtout artisanale d’ailleurs [Parmi ses romans réédités, on trouve Le Boucher des Hurlus (1982), Folio policier Gallimard, 2002].


En revanche, Francis Ryck [Yves Delville, 1920-2007], qui n’a rien d’un gauchiste, prendra en compte la plupart des thèmes d’après Mai 68 qui domineront la littérature néo-populiste. La Peau de Torpédo (1968) [Jean Delannoy en a tiré un film en 1970] et Drôle de pistolet (1969) [adapté au cinéma par Claude Pinoteau, 1973] mettent en scène des marginaux et des révoltés s’obstinant a porter des chiquenaudes à une société inhumaine qu’ils ne réussissent ni a comprendre ni a combattre avec un tant soit peu d’efficacité [Parmi ses derniers livres : La discipline du diable, L’Archipel, 2004 et La Casse, Scali, 2007].


Georges-Jean Arnaud, qui occupe une place à part dans cette transition, est le plus prolixe des écrivains français (plus de trois cents romans !). Il avait débuté en 1952 avec un polar traditionnel, Ne tirez pas sur l’inspecteur et, à partir des années soixante-dix, il débouche sur le « polar politique anticapitaliste » : dénonciation de l’establishment nucléaire dans Brûlez-les tous, aliénation de l’individu par le modèle de consommation bourgeois dans Le Coucou (1978), dénonciation de la CIA et de tous les scandales de « l’Amérique paranoïaque, celle de Nixon et du Ku-Klux-Klan, de la John Birch Society et des repus », dans la série Le Commander [Fleuve noir, 1961-1986].


Après Frédéric Fajardie [1947-2008] (Tueurs de flics, 1979), qui fit l’effet d’une bombe par sa rage violente, et dont les romans portent les traces d’une certaine fascination militariste chère à la Gauche prolétarienne défunte, le nouveau roman noir (ou roman néo-populiste) atteint toute sa lucidité politique de critique sociale avec des auteurs comme Jean-Francois Vilar, Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, Gerard Delteil et Pierre Marcelle.

 



Jean-François Vilar


Jean-François Vilar, ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), lié à la tradition surréaliste, met en scène avec C’est toujours les autres qui meurent (1982) [Actes Sud, 2008], Passage des singes (1984) [J’Ai Lu, 1998], Etat d’urgence (1985) [J’Ai Lu, 1998], Bastille Tango (1986) [Actes Sud, 1998], des personnages d’extrême gauche ou d’ex-extrême gauche (journalistes type Libération, exilés latino-américains, brigadistes rouges italiens) qui se heurtent à la toute-puissance meurtrière des flics. Comme chez nombre d’auteurs de romans noirs, ce n’est pas seulement « le système » qui tue, chez Jean-François Vilar, c’est aussi la police au sens littéral du terme qui est coupable de meurtre. Ainsi, dans C’est toujours les autres qui meurent, un commissaire de police vaguement social-démocrate déclenche une tuerie à Beaubourg... alors qu’un président de la République social-démocrate vient d’être élu.


Etat d’Urgence est un livre remarquable, l’un des meilleurs romans à suspense de ces dernières années. A Venise, dont l’atmosphère équivoque est bien évoquée, séjourne un cinéaste qui a sacrifié son talent au succès commercial pour pouvoir terminer un film sur le terrorisme. Il est accompagné d’un brigadiste repenti censé l’inspirer pour le scénario. Aux scènes du Carnaval, animées par la fine fleur intellectuelle vaguement décadente de toute l’Europe, se mêle une folle entreprise de chantage à la terreur menée par les Brigades rouges, qui finit par menacer de noyer la cité des Doges sous une marée noire. Flics et brigadistes s’affrontent, puis la mafia tranche le conflit a sa façon, guidée par un « parrain » lié à la fois aux milieux du cinéma, du terrorisme et aux forces de l’ordre, et qui s’offre en outre le luxe d’acheter le cinéaste. Tout se termine à nouveau par un massacre général perpétré par la police.


Jean-François Vilar prête au chef mafieux des propos résumant avec pertinence un certain après Mai 68 : « Cette histoire de terroristes est très bien. Le repenti est l’emblème tragique de notre époque. L’espoir, le reniement, les procès... » Quand les mafieux s’adonnent à la sociologie politique et se piquent de psychanalyse, il n’y a plus qu’a tirer l’échelle. Ou a écrire des romans noirs...


De Daenincks à Jonquet


Didier Daeninckx s’est surtout fait remarquer avec Meurtres pour mémoire [Gallimard, Série Noire 1984 ; folio policier, 1999], roman qui a le mérite de rappeler l’assassinat par la police, le 17 octobre 1961, à Paris, de centaines d’ouvriers algériens manifestant contre la guerre d’Algérie. Daeninckx est proche du PCF, et pourtant l’inspiration de ses livres, surtout de Meurtres pour mémoire, fait plus penser à l’extrême gauche, pour qui se souvient des positions que soutenaient à l’époque les uns et les autres. Tous ses livres, qui connaissent un succès considérable dans les pays de l’Est, sont marqués par le souci de l’histoire oubliée, ce que d’aucuns appellent les « cadavres dans le placard », c’est-à-dire par le désir de ressusciter les vaincus de l’histoire.


Thierry Jonquet, militant de la LCR, a écrit deux sortes d’ouvrages : d’une part des romans politiques et, d’autre part, des romans noirs se situant dans des milieux de marginaux, voire dans des asiles psychiatriques. La deuxième catégorie a peut-être été davantage appréciée par la critique et par un large public. La Bête et la Belle (1985) a été choisi comme n° 2000 de la fameuse Série noire.


Thierry Jonquet a publié ses polars politiques sous le pseudonyme provocateur de Ramon Mercader (2). Dans Du passé faisons table rase [folio policier, 2006], un secrétaire général du PCF visiblement calqué sur Georges Marchais, et présenté comme choisi et manipulé par le KGB, s’efforce de déjouer, au moyen de meurtres systématiques, des tentatives de chantage dont il pourrait faire l’objet. La manipulation réciproque des services d’espionnage impérialiste et stalinien, la grisaille et l’absence de convictions politiques profondes des appareils de toute sorte, la réification et l’instrumentalisation extrême des hommes et des femmes de ce milieu sont décrites de manière convaincante.


En fait, il y a un cordon ombilical qui relie les romans politiques aux romans noirs de Thierry Jonquet. La coupure quasi schizophrénique des personnages de La Bête et la Belle correspond à la coupure non moins nette des agents mis en scène dans Du passé faisons table rase. Ici, un instituteur propret et ponctuel à souhait qui entasse d‘innombrables sacs d’ordures dans son appartement. Là, des professionnels de la surveillance, de la délation, du chantage et de l’assassinat « pour la cause » (celle du « communisme » et de la « liberté »), qui mènent une vie quotidienne de petits-bourgeois médiocres, se délectant de pêche et d’aventures érotiques minables.


« C’était fou. Un exemple de comment les gens ne s’entendent pas, de la coupure de la sphère privée et de la sphère publique, du domestique et du public », affirme Thierry Jonquet dans une interview accordée au journal Le Monde (21·22 avril 1985). Et il poursuit : « Le regard du polar est outrancier, très scandalisé. Il ressemble tout à fait a un regard de militant. » Derrière l’effort de lucidité, il y a aussi son vécu, qui l’a extrêmement sensibilisé. Thierry Jonquet est marqué par une expérience professionnelle. Il a travaillé comme ergothérapeute dans un hospice de vieillards et dans des hôpitaux psychiatriques. « J’ai reçu ça dans la gueule, j’en ai bavé de cet hosto, cela m’était resté en travers de la gorge, je voulais le dire, et pour cela, le polar, ça collait. » De là son obsession pour le comportement « anormal » dans la « normalité » bourgeoise, voire pour les malades mentaux.


Jouir de la violence ?


Jean-Bernard Pouy (Suzanne et les ringards, 1985), moins politique dans ses romans que Jean-Francois Vilar, Didier Daeninckx ou Thierry Jonquet, est également moins amer et plus tendre dans son style, plus indulgent pour l’humanité telle qu’elle est [ses derniers titres : La récup’, Fayard noir, 2008 ; Mes soixante huîtres, Folie d’encre, 2008 ; Rosbif saignant, Coop-Breizh, 2009 ; Cinq bières, deux rhums, Baleine, 2009].


Gérard Delteil [Gérard Folio], auteur prolifique versant volontiers dans le pastiche, y compris dans Meurtre dans l’Orient-Express, narre dans Solidarmoche (1984) [épuisé] une sombre histoire d’infiltration, par plusieurs services secrets de l’Est et de l’Ouest, d’une activité de soutien aux syndicats clandestins en Pologne. Il a le mérite d’une prise de position claire en matière de culte de la violence : « Je n’aime pas non plus les polars complaisants, genre sado-maso, style SAS. On peut montrer l’horreur et la violence pour les dénoncer, pour exprimer sa révolte contre les atrocités, mais on peut aussi prendre un plaisir malsain à décrire des scènes de torture, de massacres de camps de concentration, de viols. Tout le problème est dans cette complaisance, à laquelle je vois mal comment on pourrait échapper dans des livres basés justement sur le principe de procurer au lecteur le maximum de délicieux frissons d’horreur à propos d’atrocités subies par d’autres. » (Interview publiée dans Cahiers pour la littérature populaire, n°6, été 1986) [son dernier roman, Speculator, L’Archipel, 2010, se déroule dans le monde de la finance].


Pierre Marcelle (Terrain lourd, [Fayard, 1981]) pratique lui aussi le pastiche dans Le Bourdon [écrit avec Hervé Prudon, Jean-Luc Lesfargues, 1982], une adaptation fort savoureuse du Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo.

René Belletto (L’enfer, 1985) doit sa force au passé révolutionnaire latino-américain de certains de ses protagonistes, qu’il évoque avec une grande efficacité [son dernier titre, Hors la loi, P.O.L., 2010, parle d’un type qui se trouve toujours au mauvais endroit au mauvais moment…].


Daniel Pennac est plutôt un gros calibre littéraire. Mais le thème d’Au bonheur des ogres [1985, rééd. Folio 1997] – une secte démoniaque qui opère dans le sillage des persécutions antijuives nazies – est assez invraisemblable.

Frédéric Krivine, un jeune espoir du suspense, s’est révélé grâce à son remarquable Arrêt 0bligatoire (Denoël, 1986) [autres titres : Un souvenir de Berlin, Denoël, 1990 et Des noires et une blanche, Mille Et Une Nuits, 1995].

Tous ces auteurs ont en commun, outre le rejet d’une société corrompue, corruptrice et inhumaine, une vue assez sévère sur les individus, tous plus ou moins tarés, qu’elle a produits. Avec eux, il n’y a ni héros ni héroïnes. On est aux antipodes du « héros positif » de feu le « réalisme socialiste », genre en voie de s’éteindre lentement également dans la littérature soviétique. Les personnages, y compris ceux ou celles avec lesquels les auteurs paraissent s’identifier, sont marques par le doute, l’hésitation, le sentiment d’impuissance, le remords, l’ambiguïté, la culpabilité, un tantinet de paranoïa sinon de haine de soi-même. Encore une fois, l’après Mai 68 est passé par là.

 

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Un réalisme du désespoir


C’est dans ce sens que le nouveau roman noir reprend en partie la tradition du populisme, voire du naturalisme d’antan. Si toute la littérature dite policière du dernier quart de siècle apparaît en quelque sorte comme la littérature réaliste par excellence de notre époque, si elle fournit un miroir dans lequel la réalité sociale est mieux reflétée que dans l’analyse minutieuse des états d’âme ou dans les sempiternelles images d’Epinal, de la gauche autant que de la droite, une dimension de la réalité humaine en est pourtant absente.


En effet, dans la vie de tous les jours, le sublime côtoie l’infâme, le courage se retrouve côte a côte avec la lâcheté, la constance et la fidélité sont autant présentes que la capitulation et la trahison, l’oppression sociale suscite toujours le rejet actif et la résistance, le mouvement d’émancipation n’a pas disparu, l’effort tenace et millénaire de changement social délibéré se poursuit, malgré les échecs et les déceptions. De cela, le nouveau roman noir ne s’en fait pas l’écho. C’est pourquoi il est en fin de compte moins réaliste qu’on ne le dit. Mais n’est-ce pas lié à la nature même d’une littérature centrée sur le crime et la violence et donc, par la force des choses, tournée davantage vers le sol que vers le soleil?


La société française ne serait pas ce qu’elle est si, à côté du « polar révolutionnaire », ne subsistait pas le polar traditionnel « intégriste » bourgeois, voire ouvertement contre-révolutionnaire. Quelques nouveaux talents y ont également surgi, avant tout Hugues Pagan, inspecteur de police et ancien philosophe. Ses personnages ambigus différent peu des prototypes « divisés » de Thierry Jonquet. Signalons notamment son Last Affair (1985).


En revanche, dans la série des SAS de Gérard de Villiers, dans les romans de Jean Bruce et chez leurs innombrables suiveurs triomphe un manichéisme facile et puéril, fait d’un anticommunisme viscéral, d’un racisme à peine déguisé, de sexisme, d’un rejet brutal de la décolonisation, d’une réhabilitation sans fard du nationalisme cocorico et du colonialisme français. Cette littérature, en général d’une pesante monotonie malgré ses prétentions à l’excitation et à l’exotisme, assure une fonction sociale précise au service de l’idéologie dominante. Autre chose est de savoir si elle remplit cette fonction de manière efficace. Là, le doute est heureusement de plus en plus permis.


En Amérique latine aussi…


Les mêmes causes ayant les mêmes effets, le Mexique – et dans une moindre mesure l’Argentine – ont vu, eux aussi, une vague de « neo-polars » ou de romans noirs progressistes déferler sur la scène littéraire, après la radicalisation prérévolutionnaire que connurent ces pays à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Contentons-nous de mentionner quatre auteurs argentins : Tizziani avec Noches sin Lunas ni Soles (1975) ; Alberto Speratti avec El Crimen de la Calle Legalidad (1983) ; Osvaldo Soriano avec une jolie parodie, Triste, solitario final (1973) [Trad. française : Je ne vous dis pas adieu, Grasset, 1999] ; Juan Carlos Martelli avec El Cabeza, considéré comme le chef-d’œuvre du roman policier argentin. (Les trois derniers écrivains se sont exilés loin de la dictature.)


Les auteurs mexicains sont mieux connus et plus appréciés au plan international. Ils le méritent certainement. Le plus ancien du groupe est Paco Ignacio Taibo II, qui a également rédigé un ouvrage érudit sur les origines du Parti communiste mexicain. Anarcho-syndicaliste de vocation bien que très ami du Parti communiste cubain, il est le créateur du détective prive Hector Belascoaran Shayne, qu’il « tue » dans No habra final feliz (1981) [Pas de fin heureuse, Rivages/Noir, 1997]. Ou, plus exactement, il le fait tuer par les flics, comme c’est le cas dans de nombreux romans noirs français. A cette différence près qu’il s’agit ici d’une police non officielle manipulée par la police « officielle » et par le gouvernement, les fameux « faucons », auteurs du massacre des étudiants de l’été 1968 sur la place Tlatelolco, à Mexico.


A côté de Paco Ignacio Taibo II, il faut signaler Rafael Ramirez Heredia, avec Trampa de métal ; Raul Hemandez Viveros ; Rafael Bernal, avec El complot mongol (1969) [Le complot mongol, Serpent noir, 2004], considéré par d’aucuns comme le meilleur polar mexicain, écrivain cependant moins engagé que les autres auteurs mentionnés. Il faut aussi accorder une place particulière au remarquable Morir en el golfo (1985) [La mort à Vera Cruz, Seuil, 2002], de Hector Aguilar Camin, ouvrage qui dénonce la complicité entre la bureaucratie syndicale dite des charros et l’appareil d‘Etat, y compris la police.


Comme ce fut le cas deux décennies plus tôt pour des auteurs comme Robbe·Grillet et Nabokov, la vogue récente du polar en Amérique latine a amené des romanciers célèbres comme Carlos Fuentes, Guillermo Thorndyke, Jorge Ibarguëngoitia, Mario Vargas Llosa, Cortazar et Gabriel Garcia Marquez, à flirter avec le roman policier.


Une société criminelle


La conclusion s’impose d’elle-même. L’histoire du roman policier est une histoire sociale, car elle apparaît comme inextricablement liée a l’histoire de la société bourgeoise – voire de la production marchande – et surdéterminée par elle. A la question de savoir pourquoi l’histoire de la bourgeoisie se reflète dans celle de ce genre littéraire bien particulier, la réponse est celle-ci : l’histoire de la société bourgeoise est aussi celle de la propriété ; l’histoire de la propriété implique celle de sa négation, c’est-à-dire l’histoire du crime. L’histoire de la société bourgeoise est aussi celle de la contradiction de plus en plus explosive entre, d’une part, des normes mécaniquement imposées de comportement et de conformisme social et, d’autre part, les passions, les désirs, les besoins des individus, contradiction qui se décharge dans des transgressions de plus en plus violentes des normes, y compris par des crimes. La société bourgeoise, née de la violence, la reproduit constamment et en est saturée. Elle provient du crime et elle conduit au crime, commis à une échelle de plus en plus industrielle. En définitive, l’essor du roman policier s’explique peut-être par le fait que la société bourgeoise, considérée dans son ensemble, est une société criminelle.


Ernest Mandel


Ce texte est tiré du dernier chapitre de l’ouvrage d’Ernest Mandel intitulé « Meurtres exquis. Histoire sociale du roman policier », préfacé par Jean-François Vilar, et publié aux éditions « La Brèche » à Paris, en 1986. Republié en Suisse dans le bimensuel « solidaritéS » n°171 (09/07/2010)

 

Jean-Patrick Manchette (1942-1995)
et l’Histoire

Elfriede Müller
Traduit de l’allemand par Céline Chanclud

 

Jean-Patrick Manchette © Jacques Robert

Manchette, surnommé le Chandler1 français ou bien encore le Rimbaud du polar2, est devenu avec le temps une icône culturelle. Il a renouvelé le roman noir français et a transformé en profondeur ou plutôt radicalisé le genre : "du point de vue de l’écriture, à travers la concentration linguistique du style, et du point de vue du contenu, à travers une politisation conséquente de la thématique"3. Jean-Patrick Manchette, sympathisant de la gauche radicale, a adhéré au syndicat étudiant l’UNEF en 1960, a commencé à militer pendant la guerre d’Algérie, puis s’est engagé aux côtés de La Voix communiste4 à Rouen, et enfin, a participé aux événements de 1968. A partir de 1965, il se rapproche des situationnistes. Manchette gagnait sa vie en travaillant comme professeur d’anglais. Parallèlement, il a commencé à traduire des romans ainsi que des essais et à écrire des scénarios et des dialogues pour le cinéma ou la télévision. Il a traduit 30 romans noirs de l’anglais, en partie avec sa femme. Manchette n’a pas commencé à écrire particulièrement plus tôt que ses confrères. Il fut cependant publié bien avant et, pour cette raison, peut-être considéré comme un précurseur et avant tout un auteur solitaire, qui a influencé le genre nouveau. Il a ouvert le chemin à une génération de nouveaux auteurs, qui ne sont pas toujours parvenus à égaler son talent littéraire ou qui ont abordé d’autres thématiques ou sujets de fiction : Frédéric H. Fajardie, Didier Daenninckx, Jean-François Vilar, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy, Dominique Manotti et beaucoup d’autres encore.

Manchette a ancré le roman noir dans la réalité et n’a jamais penché pour la nostalgie et le romantisme, contrairement à d’autres auteurs. Les descriptions pittoresques des milieux parisiens ou marseillais, comme on les trouve chez Le Breton ou Simonin, n’intéressaient plus Manchette. Fidèle à la révolte de 68, sa littérature est dirigée tout d’abord contre les autorités ("La première démarche d'un auteur de romans noirs est en fait de tuer (symboliquement) l'autorité et ses représentants : le père ou le patron"5). Ainsi, sa première oeuvre, L'Affaire N’Gustro6, parue en 1971, fit l’effet d’une bombe : "Le polar, pour moi, c'était – c'est toujours – le roman d'intervention sociale très violent"7). Manchette s’est inscrit dans la tradition du roman noir américain des années 20. Comme dans les années 20, la contre-révolution des années 70 triomphe dans le monde entier renouvelant ainsi le roman noir. Toutefois, cette forme de roman n’est que le substitut d’une révolution. Bien qu’il soit difficile de rivaliser avec le cynisme des romans de Manchette, ce dernier revient toujours implicitement aux tentatives d’émancipation de la gauche et défend, comme André Vanoncini l’a écrit, les certitudes morales de mai 688.

L’œuvre de Jean-Patrick Manchette n’est pas seulement constituée de fiction, mais aussi de nombreuses critiques littéraires, critiques de films et d’un essai de théorisation du genre. Manchette a écrit 10 romans noirs. Il a incarné la génération déçue des militants de 68 comme aucun autre. Ceci explique qu’une partie du lectorat traditionnel de romans policiers l’ait désavoué. Le journal d’extrême droite Minute a même reproché à Manchette, dans un article intitulé La Série Noire va-t-elle-disparaître ?, d’être responsable du déclin du roman noir : "un certain gauchisme de salon (représenté par des) auteurs français comme le médiocre et prétentieux Jean-Patrick Manchette...(...)". "Que ces messieurs se disent bien que le détective contestataire et hostile à la guerre du Vietnam, cela rase profondément les amateurs de romans noirs"9). Cependant, Manchette connaîtra très vite le succès, car il est parvenu à conquérir un nouveau public de romans noirs, comme le suggère un article du Monde de 1972 : "L'ultra-gauche à la Série Noire")10. On peut dire que Manchette était à partir de 1972 un auteur établi, qui pouvait vivre de sa plume.

Le Grand Prix de la littérature policière 1973 décerné à Manchette pour son roman O dingos, ô châteaux ! assoit définitivement sa reconnaissance. La revue spécialisée Polar lui a consacré un numéro spécial en 1980 et Claude Mesplède a comparé son originalité à celle de Simenon et bon nombre de ses romans ont été portés à l’écran11. En 1991, Manchette apprend qu’il est atteint d’un cancer. Il décède en 1995.

 

 

L’Affaire N'Gustro – L’Histoire pour narration

Son premier roman est qualifié par Jean-Paul Schweighaeuser12 du plus obsédant et accompli de ses ouvrages. Manchette y traite en détail d’un pan de l’histoire de façon moins impressionnante que d’autres auteurs de roman noir, qui ont commencé à écrire après 1968. Toutefois, ce premier roman porte sur un évènement historique concret, l’affaire Ben Barka.

Les évènements historiques : L’Affaire N'Gustro prend pour thème l’enlèvement du marocain Al Medhi Ben Barka, membre de l’opposition. Il s’était battu pour l’indépendance de son pays et avait été enlevé le 29 octobre 1965 à Paris par les services secrets marocains, vraisemblablement avec la complicité du gouvernement français, puis torturé et assassiné13. Après l’indépendance de 1956, le parti de Ben Barka, Istiqlal, s’est scindé en deux fractions. Une fraction acceptait de participer au pouvoir, mais la fraction démocratique Union des Forces Populaires du Maroc, quant à elle, refusait d’occuper les postes de ministres. Ben Barka appartenait à la seconde fraction politique. Il a très rapidement acquis une grande popularité, raison pour laquelle il fut accusé d’avoir organisé un complot contre le roi Hassan II. Il partit donc en exil. Pendant son absence, le gouvernement marocain condamna les exilés à mort. Son assassinat fut orchestré par l’ancien ministre de l’Intérieur, le général Oufkir, qui se trouvait à Paris le samedi 30 octobre 1965. Ahmed Dlimi, le directeur de la sûreté nationale marocaine, et un certain Chtouki, chef des services secrets marocains, se trouvaient également à Paris. Le commissaire Maurice Bouvier a conclu dans son enquête que Ben Barka avait été arrêté par deux policiers français, Louis Souchon et Roger Voitot. Ben Barka est monté dans un véhicule, où se trouvait également Antoine Lopez, un agent secret français. Ben Barka a été conduit à Fontenay-le-Vicomte (Essone) dans la villa d’une personne associée à l’affaire, Georges Boucheseiche. Puis on perd sa trace. Son corps n’a pas été retrouvé jusqu’aujourd’hui. Le 3 novembre, l’ambassade marocaine donne une réception officielle en l’honneur du ministre de l’Intérieur, Mohamed Oufkir, de son homologue français, Roger Frey et de l’ancien préfet de police, Maurice Papon, qui sera également le héros d’un autre roman noir (Meurtre pour mémoire de Didier Daeninckx). Parmi les suspects, on comptait un journaliste et un réalisateur de film. Figon, le réalisateur, a publié ses aveux dans le journal L'Express du 10 janvier 1966 : "J'ai vu tuer Ben Barka". Figon affirme avoir vu Oufkir assassiner le membre de l’opposition avec un poignard provenant de la collection d’armes de ladite villa. Avec cette représentation, Manchette balise également le genre en mutation du roman noir, car, comme son confrère Paco Ignacio Taiblo II l’a formulé : "Les assassins sont les ministres de l'intérieur, les chefs de la police. Ce sont eux"14. Figon sera retrouvé mort à son domicile peu de temps après, comme Butron, le héros de Manchette. La police conclura au suicide. La police française condamne Oufkir par contumace à la prison à perpétuité. Le juge Louis Zollinger condamne 12 autres personnes. La condamnation d’un ministre étranger par la justice française, fait jusqu’alors unique en matière de droit international, a gelé les relations franco-marocaines pendant 12 ans. En 1975, le fils de Medhi Ben Barka dépose une nouvelle plainte. En 1982 seulement, le gouvernement socialiste autorisera M. Pinsseau, le juge chargé de l’affaire, à consulter les documents de la SDECE (les anciens services secrets français) concernant Ben Barka. L’enquête est encore ouverte aujourd’hui. De nombreux acteurs associés à cette histoire ont entre temps disparus. Ainsi, Oufkir se donna la mort le 16 Août 1972. Il a été prévu en 2003 d’apposer une plaque commémorative à proximité de la brasserie Lipp, lieu de l’enlèvement. Le maire de Paris a reçu une demande à ce sujet. Les représentants des Verts et le maire socialiste, M. Delanoë, ont accueilli cette requête positivement15. Le 18 avril, le conseil municipal de Paris a décidé d’attribuer le nom de Mehdi-Ben-Barka à une place située à proximité de la brasserie Lipp. Les représentants de l’UMP gaulliste se sont abstenus.

La fiction : Mis à part les dénominations (le ministre de l’Intérieur se nomme Georges Clémenceau Oufiri) et le pays concerné (le Zimbabwe), Manchette s’en tient strictement aux faits historiques : "L'élément documentaire, sans lequel il n'est pas de bon polar"16. "Le dire vrai", expression de Michel Foucault, pousse également Jean-Patrick Manchette, puis d’autres auteurs après lui, à travailler sur des cas refoulés de l’histoire. Manchette travaille un peu à la façon d’un historien, avec les traces qu’il reste encore à sa disposition. Dans le roman de Manchette, le parti des opposants politiques se divise également en deux fractions. L’histoire est narrée par un jeune fasciste membre de l’OAS, Henri Butron. Il s’agit d’un monologue intérieur. Celui-ci enregistre ses aveux sur une cassette, qui sera finalement détruite par la police. Une grande partie de l’histoire se déroule à Rouen, où Manchette a commencé à militer contre la guerre d’Algérie. Butron sera assassiné par les services secrets du Zimbabwe. La police française maquille l’assassinat en un suicide puis détruit la cassette contenant l’aveu ainsi que les clichés pris par Butron pendant l’enlèvement.

Un fait particulièrement intéressant : tout comme le massacre de centaines d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961, qui a par ailleurs inspiré Didier Daenninck, l’affaire Ben Barka a longtemps été étouffée devenant même un sujet tabou. Dans L’Affaire N’Gustro, Manchette attaque ouvertement la presse, qu’il accuse de s’être rendue complice du pouvoir par son silence. Blasé et direct, il s’en prend au Nouvel Observateur, dans son roman intitulé Le Nouvel informateur.

Flashs : Ce roman inhabituel, dont l’actualité semble toujours aussi brûlante, contient déjà tous les éléments qui rendront le style de Manchette si direct : "Magouilles de la société capitaliste, police corrompue, journalistes et intellectuels de gauche nullissimes, ton volontairement agressif et provocateur, mélange d'argot et de style fleuri, références littéraires constantes"17). Toutefois, Manchette ne construira plus jamais la trame de ses romans à partir d’événements historiques. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne fera plus jamais aucune allusion dans ses 9 autres romans, mais il procèdera plutôt par flash ou référence.

L’historiographie, sujet prisé par d’autres auteurs de romans noirs après 1968, n’apparaîtrait chez Manchette plus que dans Que d'OS !18 et son roman fragmentaire La Princesse du sang19. A la fin de sa vie, Manchette remet de nouveau l’Histoire au centre de ses romans. Au début des années 90, il prévoyait d’écrire un cycle de romans sur les années 80 : Les Gens du mauvais temps. Il ne reste malheureusement qu’un fragment, que son fils achèvera d’écrire après sa mort : La Princesse du sang.

Dans Que d'Os !, Manchette prend pour thème la collaboration qu’il traite de manière burlesque. Un ancien collaborateur, aujourd’hui devenu trafiquant de drogue, fait enlever sa fille. Le journaliste juif Haymann aide Tarpon, un détective privé incompétent en lui apportant ses connaissances sur l’occupation allemande et le national-socialisme. A l’inverse de l’Affaire N'Gustro, il ne s’agit pas d’un incident historique concret mais de crimes commis de nos jours (enlèvement et trafic de drogue) qui conduisent à des crimes irrésolus du passé (la collaboration).

Dans La Princesse du Sang, le personnage principal est une jeune femme, la photographe Ivory Pearl, qui rend visite à l’agent secret anglais Samuel Farakhan, qui l’avait recueillit pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce roman incomplet est un tour de force, un voyage à travers l’histoire mondiale. L’anti-héros, Aaron Black, aujourd’hui marchand d’armes, a passé deux ans à Buchenwald. Il était membre du KPD (Parti communiste allemand), avait pris part à la révolte de Hambourg, où il était responsable de la distribution des munitions. Lors de la guerre d’Algérie, Black a fourni des armes aux rebelles, bien qu’il travaillait alors pour les services secrets. En voulant faire un reportage sur Black, la photographe, replonge ainsi dans son passé incandescent. A l’origine, cette intrigue met en scène un anti-héros survivant du national-socialisme, thème que Thierry Jonquet reprendra dans Les Orpailleurs20. Les événements historiques sont abordés dans leur dialectique. Ainsi évoque t-il la torture et la mise en esclavage d’anciens membres de la résistance dans la guerre d’Algérie, sans pour autant développer des évènements historiques concrets dans le détail comme pour L’Affaire N'Gustro.

Pourquoi devient-on plus intelligent à la lecture des romans de Manchette ? L’analyse de la société la plus pessimiste de Manchette repose sur la critique marxiste de la valeur et la critique situationniste de l’industrie culturelle qui menace aussi ceux qui combattent la société. Il se qualifiait lui-même comme un auteur de référence, dont les références ne sont pas toujours très évidentes. Manchette utilise des références théoriques (Debord, Trotzki, Hegel, Reich) et littéraires (Baudelaire, Leiris) sous forme de collage, un peu à la façon de Walter Benjamin dans Le Livre des Passages (Passagen-Werk). Manchette introduit la fragmentation de l’action pour soutenir l’attention du lecteur : "Le propos de Manchette est d'éveiller son lecteur, de le rendre plus lucide"21). L’action n’est pas traitée de façon linéaire chez Manchette : dans L’Affaire N'Gustro, le héros meurt au début sans que l’on sache pourquoi. Manchette veut décrire un milieu, un individu, qui milite dans l’extrême droite, et veut dénoncer la raison d’Etat : "D'ailleurs l'ensemble du roman est une histoire vraie à peine déguisée22".

Manchette écrit dans un style béhavioriste. Le béhaviorisme est un courant de recherche psychologique et sociale fondé par l’américain J. B. Watson23. Il étudie le comportement des êtres vivants et cherche à en cerner les caractéristiques psychiques et sociales. Le béhaviorisme s’appuie sur les sciences naturelles et se limite au comportement humain empirique et quantifiable. Le comportement sera ainsi interprété comme le résultat d’un processus d’apprentissage par le schéma "stimulus-réponse". Ce courant revendique l’objectivité et sera culturellement influencé par la journalisme et le cinéma. Dans l’interprétation de Manchette, le béhaviorisme s’élève contre un système de représentation irréaliste, contre la sentimentalité ou encore contre la rhétorique et la paresse du lecteur.

Les personnages de Manchette : Les personnages de Manchette sont des anti-héros brisés, comme Eugène Tarpon, ancien policier devenu détective. Il est incompétent, sans culture et a laissé tomber son métier après avoir tué un manifestant par mégarde. Dans L’Affaire N'Gustro, Butron, le narrateur à la première personne est issu d’une famille bourgeoise, une famille de médecins et il s’ennuie : "J'ai rien à foutre. J'ai une bagnole. J'ai du pognon"24. Il pense ainsi se sortir intact du jeu morbide auquel il a participé. Cependant, il n’est que le simple rouage d’une grande manipulation, dont les protagonistes l’utilisent. Ils se débarrasseront de lui sans pitié. Tout comme Gerfaut, l’anti-héros de Le Petit Bleu de la côté ouest, Butron est en proie à une crise existentielle. Tous les héros de Manchette ont, non seulement perdu leurs d’idéaux, mais aussi leur identité. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils sont tous voués à l’échec, sans exception. Dans les romans de Manchette, l’existence individuelle se limite surtout au bon fonctionnement de l’engrenage du système capitaliste.

En 1977 paraît Le Petit Bleu de la côté ouest, une attaque frontale contre la société capitaliste. Georges Gerfaut, un cadre supérieur marié, malheureux, car sans idéaux, est poursuivi par des tueurs. Dans ce texte, la critique de la valeur de Marx atteint son paroxysme, car le personnage du roman, Gerfaut, n’est rien d’autre qu’un jouet aux mains des rapports de production. Les adaptations cinématographiques de ses œuvres, réalisées en autre par Chabrol, ont toujours été critiquées et refusées par Manchette, fidèle à la tradition situationniste. Dans les années 80, Manchette connaît un passage à vide : "Il m'a semblé qu'on était battu en France, en Espagne, qu'on avait été battu au Portugal, battu en Italie et que le mouvement polonais était en train de se faire battre. En 80, en France, on venait d'élire un immonde président de gauche qui avait déjà essayé de prendre le pouvoir en 68, qui avait raté heureusement. Enfin ce coup-ci, il était arrivé. C'était terminé, on était entré dans les sales années 80 et je ne pouvais plus écrire."25

Pour résumer, nous pouvons constater que Manchette a abordé dans ses romans presque tous les thèmes historiques inhérents au XXième siècle. Il en fait des références. Ne prenons qu’un seul exemple : L'affaire N'Gustro. Il (re)construit ici un évènement historique, qui attend toujours d’être élucidé et investit par l’histoire. Les personnages de Manchette sont de purs anti-héros à la seule exception près de Tarpon.

Manchette, auteur phare de romans noirs des années 70, genre qu’il a su, à cette époque, renouvelé avec succès, et qu’il remet en question juste après son établissement, restant ainsi fidèle à la tradition situationniste. Manchette est également celui qui, chronologiquement, a été au plus près des événements de mai 68 et qui en 1976 croyait toujours à la possibilité d’une révolution sociale comme celle qui fut menée en 6826. Faute de révolution s’opère cependant une mutation fondamentale dans le roman noir français, mutation amorcée par Manchette. Enfin, force est de constater que c’est précisément Manchette, qui refusait ladite littérature établie, qui a rehaussé le niveau littéraire du roman noir, amorçant ainsi son intégration à la littérature générale.


1 Gérault, Jean-François: Jean-Patrick Manchette. Parcours d'une œuvre. Paris 2000. S. 6. | retour |
2 Gérault, S. 7. | retour |
3 Brenner, Rudolf: Die Entwicklung des modernen französischen Kriminalromans. In: Compart, Martin und Thomas Wörtche (Hrsg.): Krimijahrbuch 1990. Köln 1990. S. 102f. | retour |
4 Einer libertär-trotzkistisch geprägten Zeitschrift. | retour |
5 Gérault, S. 88. | retour |
6 Série Noire 1407 | retour |
7 Manchette, Jean-Patrick: Chroniques. Paris 1996. S. 12. | retour |
8 Vanoncini, André: Le Roman policier. Paris 2002. S. 104. | retour |
9 Minute, 20 mars 1974. | retour |
10 Le Monde, 7 décembre 1972. | retour |
11 Nada 1973 von Claude Chabrol, Folle à tuer 1975 von Yves Boisset, Trois hommes à abattre 1980 von Jacques Deray, Pour la peau d'un flic 1981 von Alain Delon, Le choc 1982 von Robin Davis und Polar 1983 von Jacques Bral. | retour |
12 Schweighaeuser, Jean-Paul: L'Affaire N'Gustro de Jean-Patrick Manchette. Fiche Roman n°54. In: Encrage n° 01/02/1986. S. 33f. | retour |
13 Vgl. Daoud, Zakya und Maâti Monjib: Ben Barka. Une vie, une mort. Mesnil-sur-l'Estrée 2000. 14 Derogy, Jacques und Frédéric Ploquin: Ils ont tué Ben Barka. Paris 1999. Guérin, Daniel: Les Assassins de Ben Barka. Dix ans d'enquête. Paris 1975 und 1982. Arnaud, Robert auf France Inter: L'affaire Ben Barka, Sonntag den 25. Oktober 2000. Perrault, Gilles: Notre ami le Roi. Paris 1990. Violet, Bernard: L'affaire Ben Barka. Paris 1995. Intervention de la famille de Medhi Ben Barka aux rassemblements du 29 octobre 2003. In: Yabiladi, 30.10.03. | retour |
14 Taibo II , Paco Ignacio. In: Du drapeau rouge au roman noir. S. 71. | retour |
15 En mai 2004, un ami, le journaliste Oliver Morel, était à la recherche de cette plaque commémorative. Il s’est rendu dans la brasserie Lipp et s’est renseigné. Les serveurs n’avaient jamais entendu le nom de Ben Barka mais ça rappelait toutefois quelque chose au gérant. Il demanda alors : « Ca n’aurait pas un rapport avec le terrorisme? » | retour |
16 Manchette, Jean-Patrick: Alive and kicking. "Polars", charlie mensuel n° 135, avril 1989. In: Chroniques, S. 122. | retour |
17 Gérault, S. 19. | retour |
18 Super Noire 51, 1976. | retour |
19 Rivages Thriller 1996. | retour |
20 Série Noire 2313, 1993. | retour |
21 Gérault, S. 57. | retour |
22 Gérault, S. 57. | retour |
23 J.B. Watson: Psychology from the standpoint of a behaviorist. New York 1919. | retour |
24 Manchette: L'affaire N'Gustro. S. 91. | retour |
25 Manchette, Jean-Patrick. In: Du drapeau rouge au roman noir. L'œuf 1997. S. 63. | retour |
26 Manchette, Jean-Patrick: Cinq remarques sur mon gagne-pain. In: Les Nouvelles littéraires, décembre 1976. | retour |
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10 août 2010 2 10 /08 /août /2010 09:48
Bien sûr sans oublier celle du NPA à  Port Leucate !

Université d'été des Objecteurs de Croissance

Plus d'infos : www.les-oc.info
Le monde a changé ? Le monde à changer !

49e Université de Peuple & Culture


27 > 31 Août - Brest


 

 

Plus que jamais l’expansion et l’accélération massives des violences sociales, économiques, culturelles et écologiques à travers le monde nous traversent et nous ramènent individuellement et collectivement à la ‘‘haute nécessité’’ de penser, d’agir et de penser notre agir. C’est ce que Peuple et Culture en tant que mouvement d’éducation populaire souhaite interroger par l’organisation, à partir de cette 49e Université et tout au long des 3 années à venir, d’un débat exigeant, permanent et ouvert largement à une diversité d’approches, de pensées et de pratiques.

Conférences plénières, ateliers, témoignages, rencontre d’écrivains, théâtre, cinéma documentaire…

Quatre jours ouverts à tous, mêlant échanges de pratiques, apports théoriques, activités de détente et soirées festives.

> ... voir le programme complet au format PDF

Trois problématiques au programme :

Vendredi 27 Août

17 h :

Accueil des participants

20 h :

La fin de la pauvreté ? de Philippe Diaz en projection libre

Samedi 28 Août

Richesse, pauvreté et inégalités :

Des riches de plus en plus en riches et des pauvres de plus en plus pauvres et nombreux...

9 h :

Ouverture de l’Université d’été

9 h 30 :

Séance plénière : La France inégale


> Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

11 h :

Séance plénière : Mécanismes et idéologies à l’œuvre dans la mondialisation


> Susan George, politologue, présidente d’honneur d’ATTAC-France

15 h :

Activités culturelles et de détente

17 h :

Ateliers

21 h :

Cinéma documentaire


Les hommes debout de Jérémy Gravayat

La mémoire de l’exploitation et celle de la misère, d’hier à aujourd’hui.

> En présence du réalisateur

Dimanche 29 Août

Relégations, migrations et entraves à la liberté de circulation des personnes :

Très diversifié, le phénomène des migrations et mobilités humaines, libres ou forcées, intérieures ou extérieures, se heurte aux ostracismes, barrières et persécutions qui à nouveau s’aggravent.

9 h :

Séance plénière


> Sara Prestianni, MIGREUROP

> Odile Schwertz-Favrat, FASTI

15 h :

Activités culturelles et de détente

17 h :

Ateliers

21 h :

L’imaginaire : entre poétique et politique


Rencontre avec :

> Gary Victor, écrivain

> et Malik Duranty, poète, slameur et militant du collectif Martinique-à-venir

Lundi 30 Août

Culture(s) en question(s) :

‘‘créolisation’’, cosmopolitisme, universalisme... Les conceptions de la culture, les imaginaires et les pratiques en débat dans les constructions de la vie démocratique.

9 h :

Séance plénière


Et tant pis pour les gens fatigués : émancipation et démocratie

> Jacques Rancière (sous réserve), philosophe, professeur émérite à l’Université de Paris VIII

11 h :

Séance plénière : table ronde


Art, culture et transformation de la société : les enjeux

> Malik Duranty, Gary Victor

> Majo Hansotte, chargée de mission ‘‘Citoyenneté’’ pour la Direction Générale de la Culture (Belgique)

> Jean Hurstel, président de Banlieues d’Europe

14 h 30 :

Séance plénière : table ronde


Art, culture et émancipation : engagements et pratiques

> Malik Duranty, Gary Victor, Majo Hansotte, Jean Hurstel

16 h 30 :

Table ronde de clôture

20 h :

Repas et soirée de clôture


> De ta parole offerte aux quatre vents par la compagnie du Tizal, d’après Ecrire en pays dominé de Patrick Chamoiseau

> ‘‘Musiques, danses et chants de toutes les couleurs’’ avec de multiples invités de Peuple et Culture Finistère

Renseignements / Inscriptions / Programme complet :

> ... Visualiser la version imprimable et complète du programme

(description des ateliers et des activités et bulletin d'inscription à renvoyer)

Union Peuple & Culture :

universite2010@peuple-et-culture.org - 01 49 29 42 80

Peuple & Culture Finistère :

pecfinistere@gmail.com - 02 98 42 40 70

_______________________________________________

Le capitalisme enlaidit le monde
11ème Rencontres d'été : penser l'actuel, avec Jean-Paul Dollé

Rencontres et débats autour du thème de "l'inhabitable", avec la participation de Jean-Paul Dollé, philosophe, enseignant à l'école d'architecture de Paris la Villette.

Crise mondiale et expropriation

« Nulle part mieux que dans l’˝immobilier˝ ne se montre cette transmutation métaphysique qui transforme la chose en ˝produit˝. En effet, pour que l’immobilier devienne une activité hautement rentable, il faut qu’au préalable se modif...ie radicalement la conception que les mortels se font de l’essence de l’espace et changent en conséquence leur manière d’habiter sur terre et de construire leur habitat. »

Le philosophe Jean-Paul Dollé, professeur à l’école d’architecture de Paris-la Villette, propose une approche originale de la crise économique mondiale survenue en 2009.

Ce n’est pas par hasard, que cette crise historique trouve son origine dans les conditions d’accès à la propriété foncière de la population pauvre de l’État le plus puissant du monde capitaliste. Ce n’est pas un hasard non plus si ce sont des familles noires, celles des descendants d’esclaves, qui ont les premières subi les effets des subprimes et ont dû, dans de très nombreux cas, abandonner leur logement. La question de la propriété, et en premier lieu celle de la maison cristallise en effet plusieurs déterminations très puissantes, spécifiques à la fois à l’histoire du capitalisme et à celle de son développement américain particulier : quand la réappropriation du corps permet historiquement de s’arracher au servage dans les sociétés traditionnelles d’Europe, la propriété de sa maison constitue quant à elle le premier rempart contre la violence de la société de la conquête américaine. Les esclaves, massivement « importés » d’Afrique pour les besoins de la culture et de l’industrie, ne disposent quant à eux ni de la propriété du corps ni, a fortiori, de celle du logement. C’est chez eux, et chez leurs descendants actuels, que l’idéal capitaliste de propriété trouve son expression la plus urgente. Seul le système à haut risque des subprimes, habilement déguisé, pouvait permettre à ces populations pauvres d’accéder à la propriété. Ils furent les premiers à pâtir de l’éclatement de la formidable « bulle » provoquée par lui.

Horaires :
Jeudi 26 août : 17h-20h
Vendredi 27 août : 10h30-19h
Samedi 28 août : 11h-13h


Lieu : Cloître de l'école régionale des Beaux-Arts
30, rue Hoche Rennes
(ENTREE LIBRE)
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8 août 2010 7 08 /08 /août /2010 10:53

une chanson

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8 août 2010 7 08 /08 /août /2010 10:45
Enregistré dans : bourgeoisie, anti capitalisme, usine — 7 août, 2010 @ 1:28

 Le capitalisme selon Jacques Prévert (1933)

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1 août 2010 7 01 /08 /août /2010 09:08
Enregistré dans : libertes, La Sarkozie — 1 août, 2010 @ 8:53

à faire écouter d'urgence à Sarko

Charlie Chaplin

discours dans “Le Dictateur ”

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28 juillet 2010 3 28 /07 /juillet /2010 10:01

culture-deux962.jpg

Comme chaque année durant la période estivale des festivals, les acteurs du milieu culturel et artistique se mobilisent contre la casse de l’accès à la culture.
Cette année, ces manifestations prennent une tournure particulière, tant les attaques contre les services publics artistiques et culturels sont violentes, entre les restrictions de budget et les statuts toujours plus précaires que subissent de nombreux salariés.
Par ailleurs, la volonté du gouvernement de contrôler toute forme de communication et de protestation, notamment sur Internet via la loi Hadopi, met en péril les libertés individuelles et la liberté d’expression.
Cet été encore, il faudra se mobiliser face au risque de se voir imposer par les capitalistes une forme de culture dénuée de tout sens critique.


Le secteur artistique et culturel se mobilise

Le secteur artistique et culturel se mobilise depuis plusieurs mois. En effet, ce secteur déjà fragile est clairement menacé par les coupes budgétaires et les réformes en cours.
Le budget du ministère de la Culture va être réduit de 10 % en trois ans. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) ne l’épargne bien sûr pas et s’attaque à la fois à l’organisation du ministère, à ses missions et aux financements. Des économies sont exigées aux grands opérateurs institutionnels (scènes nationales, etc.).
Mais l’une des plus grosses menaces est indirecte, et nous arrive par le biais de la réforme des collectivités territoriales. En effet, le financement public de la culture est assuré environ à 70 % par les collectivités locales. Face au désengagement de l’État (gel des dotations) et à la baisse de leurs ressources (suppression de la taxe professionnelle), certaines collectivités territoriales ont commencé à faire des coupes drastiques dans leurs budgets. Le secteur artistique et culturel commence déjà à en ressentir les conséquences (baisse des subventions, annulations de festivals, fermetures de lieux, annulations de spectacles), et les perspectives à court terme sont inquiétantes.
Dans un secteur qui comprend déjà beaucoup de travailleurs précaires, qu’ils soient salariés permanents ou intermittents du spectacle, on risque d’assister à la disparition de nombreuses structures et compagnies, et à une vague de licenciements…
Ce constat est grave pour tous les professionnels. Mais c’est aussi une conception de la culture et de son rôle dans la société qui est menacée. En effet, la culture est l’affaire de tous et participe au développement de chacun en permettant d’accéder à un système d’éducation, à un esprit critique, un mode de vie et de pensée, et de s’insérer dans des espaces publics en se rassemblant autour de valeurs démocratiques communes. La culture n’est pas un luxe individuel, c’est un lien collectif et une nécessité sociale. Le financement public doit garantir un accès à la culture pour tous, sur tout le territoire. L’État devrait également être le garant d’une création qui puisse se développer librement et dans la diversité, sans être soumis à la standardisation et la marchandisation imposées par les industries culturelles.
Si les politiques publiques mise en place depuis 50 ans doivent aujourd’hui être questionnées, c’est pour développer le secteur, réfléchir au statut des artistes, développer les initiatives locales, refonder la gestion de certaines commissions, etc. Mais il est urgent de réaffirmer que l’art et la culture ne sont pas des produits comme les autres mais un bien social, auquel tout le monde devrait pouvoir accéder, comme à la santé ou à l’éducation.
Depuis mars 2010, plusieurs journées de grève et de manifestation ont eu lieu. Une nouvelle manifestation a rassemblé 1 500 personnes au festival d’Avignon le 15 juillet. Si l’on est encore loin de l’ampleur du mouvement des intermittents en 2003, qui avait paralysé de nombreux festivals en France, c’est aujourd’hui toute la profession qui est rassemblée pour interpeller l’État et exiger une loi d’orientation et de programmation pour la culture et la création accompagnée d’un plan de relance et de développement pour l’art et la culture, des garanties dans le domaine social, avec entre autres le maintien et l’amélioration du statut des intermittents du spectacle, l’arrêt de la RGPP, la dissolution du Conseil de la création artistique, véritable contre-ministère présidé par Nicolas Sarkozy et animé par Marin Karmitz (patron de MK2)…
Il faut maintenant que cette mobilisation se développe dans les semaines et les mois à venir et soit portée partout et par tous, artistes, professionnels et publics.

Les artistes défilent à Avignon

Plus de 1 500 personnes ont manifesté le 15 juillet lors de l’ouverture du festival d’Avignon, contre la mort annoncée du spectacle vivant. Appelée par le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), la CGT spectacle, la CFE-CGC, le syndicat national des scènes publiques... cette manifestation voulait protester contre les coupes budgétaires annoncées, la RGPP et la réforme des collectivités territoriales qui auront pour conséquences de précariser encore davantage le spectacle vivant.
Des artistes comme Jane Birkin ou Jean-Michel Ribes et des politiques du PS et du PCF ont participé à cette manifestation. Partis du Palais des papes, les manifestants ont occupé symboliquement le Cloître Saint-Louis où se trouvent les bureaux du festival d’Avignon et ont obtenu un entretien avec Pierre Hanotaux, directeur de cabinet du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Celui-ci, fidèle aux principes du gouvernement, a manié le bluff en assurant qu’il n’y aurait pas de baisse dans les budgets. Mais ainsi que le déclarait à l’issue de l’entrevue François le Pillouër, président du Syndeac et directeur du Théâtre national de Bretagne, « La réforme des collectivités territoriales et le désengagement de l’État vont causer des dégâts irrémédiables, remettant en question des dispositifs, des aventures artistiques, le travail de nombreux élus, de responsables culturels, tout cela pour détruire purement et simplement ce qu’ils avaient mis une cinquantaine d’années à élaborer pour le bien public. »
La réforme des collectivités territoriales signifie une levée d’impôts de 9 % pour les régions et de 15 % pour les départements, tandis qu’en parallèle, les charges grimpent en flèches.
Nul doute que ce genre d’initiatives et de manifestations se multiplieront tout l’été pour que chacun comprenne que cette fois ci, la culture est en danger mortel.

Intermittents toujours en lutte

Cela fait près d’une décennie que les intermittents du spectacle se battent pour défendre leur régime d’assurance-chômage, en particulier le principe de mutualisation des ressources qui, à travers les annexes 8 et 10 de l’Unedic, a formalisé un système d’indemnisation prenant en compte les caractéristiques spécifiques de l’intermittence. Ce mouvement de lutte connaît son apogée en 2003 : grèves impactant de nombreux festivals, manifestations, occupations (ministères, Medef, Unedic et… siège de la CFDT). La mairie de Paris accorde alors aux intermittents en lutte un lieu de rencontre.
Très vite, le « 14 quai de Charente » devient un point d’appui pour diverses formes d’action, de pensée, d’accueil, ainsi qu’un lieu de lutte et de convivialité, hors du circuit marchand. S’y tiennent des permanences sociales d’information et de défense des droits auxquelles se sont adressés pour l’heure plus de 3 000 intermittents, chômeurs et précaires. Il abrite également une université ouverte centrée sur l’analyse du néolibéralisme, une cantine, des cours de sport, une bibliothèque, des concerts, des projections, des lectures...
Une expérience qui renoue avec la tradition des Bourses du travail… jusqu’à ce que, cette année, la mairie de Paris se mette en tête d’expulser la coordination des intermittents, pour cause de projet immobilier de prestige et sans proposer de relogement permettant le maintien des activités. C’est pour dénoncer cette situation que, fin juin, les intermittents ont occupé le toit de la Samaritaine : l’ancien grand magasin doit être réaménagé en hôtel de luxe, grâce aux bons soins du groupe LVMH… dont le directeur de la stratégie, Christophe Girard, est également maire-adjoint de Paris, chargé de la culture !
Pour manifester sa solidarité, une pétition déjà signée par de nombreux artistes et créateurs – « Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde » – est en ligne sur le site de la Coordination : www.cip-idf.org

Danger au ministère

La culture, ce sont les artistes, intermittents du spectacle, comédiens, poètes, peintres… C’est aussi les musées, les monuments historiques, les bibliothèques, les Archives, le Patrimoine écrit et architectural, l’archéologie, et ses 25 000 salariés, fonctionnaires titulaires, contractuels ou vacataires employés par le ministère de la Culture. Dans ce ministère, comme dans tous, le gouvernement applique la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette réforme se traduit depuis un an par des privatisations, des suppressions de postes et de services entiers, l’accentuation de la précarité, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le désengagement de l’État dans le domaine culturel.
Et qui a commencé l’application de la RGPP il y a un an ? Un certain Éric Woerth, alors ministre du Budget et de la Fonction publique dont on connaît le goût personnel pour l’austérité…
La première phase de la RGPP a porté sur les missions et l’organisation de l’administration. Les décisions prises ont conduit à la suppression de 100 000 postes entre 2007 et 2010 au titre de la RGPP 1. Au total, près de 1 000 emplois seront supprimés à l’horizon 2011 dans l’ensemble des services et établissements du ministère de la Culture. Et combien en plus avec la RGPP 2 ? Le chiffre évoqué est au moins 350 de plus avant fin 2013, ce qui est énorme pour un petit ministère.
Et comme si cela ne suffisait pas, ils veulent mettre le paquet sur les emplois d’accueil, surveillance, magasinage, maintenance mais aussi sur la filière administrative. La solution « miracle » trouvée par Mitterrand, zélé applicateur des consignes gouvernementales, est de privatiser la filière de la surveillance et magasinage, (musées, bibliothèques, archives…) pour le gouvernement. Ainsi, il y a deux semaines, le directeur du Domaine et musée de Fontainebleau, un proche du pouvoir, n’a pas trouvé mieux que d’ouvrir une nouvelle salle du musée, ce qui serait bien en soi, mais d’en confier la surveillance à une boîte privée.
Du coup, pas besoin de créer des postes de fonctionnaires et de leur payer des retraites ! D’une pierre deux coups. On le voit, ils franchissent là un ultime palier dans la liquidation du ministère, de ses moyens et de ses emplois... mais aussi dans la provocation. Notre riposte doit être générale et à la hauteur. Dans l’unité, arrêtons le bras des casseurs.

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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 14:28
Dancing in the rain
Enregistré dans : USA, culture — 24 juillet, 2010 @ 10:25

oackland

Dancing in the rain

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:12

 



Manifeste surréaliste
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18 mai 2010 2 18 /05 /mai /2010 09:13



Le prochain rendez-vous se tiendra donc Dimanche prochain, le 23 mai à 18 heures à Run Ar Puñs sur le thème :

Qu’est ce qu’une AMAP ?


Une AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) est destinée à favoriser l’agriculture paysanne et biologique face à l’agro-industrie.


L’objectif du réseau des AMAP est de construire ensemble une alternative économique pour une agriculture nourricière, respectueuse de l’environnement et de la santé, à taille humaine, selon les 3 axes du développement durable : écologiquement sain, socialement équitable et économiquement viable.

 

L’AMAP se donne notamment une mission d’éducation populaire aboutissant à une démarche citoyenne de réappropriation collective de l’avenir du monde rural et de l’alimentation.


Le principe est de créer un lien direct entre le paysan-producteur et le consommateur. Ensemble, ils définissent la diversité et la quantité des denrées qui peuvent être des légumes et des fruits de saison, des produits laitiers, des œufs, de la viande, du pain… Tout au long de l’année, et ce de manière périodique (par exemple, une fois par semaine), le producteur met les produits frais à disposition des consommateurs.

Avec la présence d’usagers et de producteurs.


www.reseau-amap.org

www.amapreseau-mp.org (réseau AMAP an Midi-Pyrénées)

www.urgenci.net (réseau AMAP et autres initiatives similaires à travers le monde)


Les infos des voisins :


Le repaire là-bas si j'y suis de Berrien qui se réunit à l'Autre Rive organise le dimanche 13 juin, en réponse à l'appel du Conseil National de la Résistance, un pique-nique résistant à Trédudon le moine (commune de Berrien).


Pour en savoir plus : http://autrerive.hautetfort.com .Vous pourrez, en particulier, y trouver le tract que nous avons pondu (le mot n'est pas trop fort) pour cette occasion. A imprimer si vous vous y retrouver un peu et à diffuser largement...


Un nouveau repaire vient de se créer à Douarnenez.


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17 mai 2010 1 17 /05 /mai /2010 09:06

17 mai 2010 Le Télégramme


La Terre les sépare mais le monde des Inuits et celui des Aborigènes se confondent sur les chemins de l'art. L'exposition «Grand nord, grand sud», à l'abbaye de Daoulas, en propose une captivante démonstration.


«Il faut arrêter de dissocier art primitif et art contemporain. C'est un faux débat. Sans le moindre intérêt scientifique», s'emporte Michel Côté. Contre le courant des grands manitous de l'art qui décrètent les époques et les styles à la mode, le directeur du bien nommé musée des Confluences, de Lyon, trouve de l'eau à son moulin à l'abbaye de Daoulas: «Ici, nous retrouvons des oeuvres de personnes qui expriment leur tradition de manière contemporaine. De l'art avant tout».

Combat contre l'assimilation


De fait, il est difficile de donner un âge à la plupart des160 oeuvres exposées jusqu'au 28 novembre à Daoulas. Ni même, parfois, de déterminer s'il s'agit d'une pièce inuit ou aborigène. À quoi bon, finalement? Pourquoi vouloir absolument tout classer, tout séparer? «Gardons-nous de comparer les cultures et voyons plutôt ce qui les rapproche», conseille plutôt Michel Côté.

 

D'autant qu'entre un peuple des glaces et un autre du désert, il existe bien plus de points communs que l'on imagine. Notamment: «Il s'agit de deux communautés confrontées à la problématique de la conservation d'une culture dans un Monde mondialisé où elles sont très minoritaires. Comment rester soi-même dans une culture internationale? Pour les sociétés inuits et aborigènes, l'art sert à raconter leur Histoire, à s'affirmer politiquement et socialementdans un combat contre l'assimilation». Voilà qui trouve une résonance particulière dans la culture bretonne.

Créations d'artistes du XXIe siècle

Les oeuvres rassemblées par l'expo «Grand nord, grand sud», débordent toutefois de la simple fonction d'exercice de la mémoire collective: «Elles mettent en lumière les travaux de véritables créateurs qui ont réinterprété les formes et les matériaux». Avec le brio d'artistes aborigènes du XXIe siècle s'exprimant dans des poteaux funéraires, des tapis géométriques où s'entrecroisent les mondes réel et imaginaire, des tableaux aux pointes mouvantes.

 

Même réappropriation de la tradition chez leurs homologues inuits dont certaines pièces comme La création du Monde (agglomérat de visages et d'animaux d'inspirations chamaniques dans un os de baleine) et autres sculptures dans des crânes de morse ou des dents de narval possèdent une valeur exceptionnelle.  

 

Pratique «Grand nord grand sud», à l'abbaye de Daoulas, jusqu'au 28 novembre.

 

Exposition visible tous les jours (sauf fermetures le samedi et le lundi) de 13h30 à 18h30 (de 10h30 à 18h30 en juillet et août).

 

Entrées: 6 EUR, 4 EUR (18-25 ans), 1EUR (7-17 ans), gratuit moins de 7 ans. Visites de groupes possibles.

Renseignements au 02.98.25.84.39.

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