Yannick Chénet, 45 ans, viticulteur à Saujon (Charente-Maritime) s’est éteint samedi soir des suites d’une leucémie reconnue comme maladie professionnelle par
la Mutualité sociale agricole. Il avait notamment témoigné dans le film « Severn » de Jean-Paul Jaud sur le danger des pesticides.
Dans ce long métrage, Yannick Chénet livrait un témoignage poignant sur sa maladie : « Les produits qui m’ont empoisonné et ceux qu’on me donne pour
me guérir sont fabriqués par une seule et unique firme. »
* Sud Ouest, 17 janvier 2011 :
http://www.sudouest.fr/2011/01/17/u...
« Severn », l’ode à la vie en guerre contre l’agriculture intensive
Par PATRICK GUILLOTON
Le cinéaste Jean-Paul Jaud est parti en guerre contre l’agriculture intensive. Son second film sur ce sujet, tourné en partie dans notre région,
tape juste. Et fort.
Tous les amateurs de football connaissent Jean-Paul Jaud, l’homme qui, aux débuts de Canal+, a apporté une vraie révolution dans l’art et la manière de
retransmettre les matches.
Par contre, beaucoup d’entre eux ignorent que cet individu entier a toujours refusé de devenir salarié de la chaîne, tenant trop à sa liberté. Une liberté lui
ayant permis de mener à sa guise son métier de cinéaste et de réaliser nombre de documentaires basés sur la même trame, celle des saisons. Sa série des « Quatre saisons » l’a
conduit dans maints univers : le bassin de Marennes-Oléron, pays de son enfance, les cuisines du chef étoilé Guy Savoy, les vignes et les chais de Château d’Yquem.
Il s’est également penché avec délice sur les variations de la vie d’un berger pyrénéen, selon que le soleil brille ou que tombe la neige. Le berger de Jaud,
devenu son ami, avait une drôle d’habitude. À longueur de temps, il se régalait d’oignons crus cultivés dans son propre jardin, sans autre ajout qu’un compost naturel. Le cinéaste, séduit par
ce régime, a pris l’habitude, dès son retour à Paris, de faire provision d’oignons au supermarché du coin.
Le jour où il a appris qu’il souffrait d’un cancer, il a hurlé à l’injustice. Comment un homme comme lui, incapable du moindre excès de table, sobre comme un
chameau, non-fumeur, sportif, avait-il pu être ciblé par la maladie ? Au fil de ses discussions avec les médecins, il s’est persuadé - et on ne lui a pas dit le contraire - que les
produits chimiques de l’agriculture intensive déversés sur sa plante potagère préférée étaient la cause de son malheur. Il s’est soigné. On lui a assuré qu’il était guéri. Il a alors pu
entamer sa croisade. Avec son arme de destruction massive : sa caméra.
Succès inespéré
C’est ainsi que, voilà deux ans, est sorti « Nos enfants nous accuseront », terrible réquisitoire contre les pesticides, les herbicides et autres
saloperies du même tonneau. En fait, un film d’espoir, puisque son fil rouge racontait l’arrivée tranquille des produits bio à la table de la cantine scolaire de Barjac, petit village du
Gard. Quel contraste avec les images d’agriculteurs déversant des tonnes de produits toxiques sur leurs arbres fruitiers et venant confier en pleurant qu’après chaque épandage, ils étaient
victimes de saignements de nez des semaines durant. Ce documentaire a réalisé une performance formidable. Un succès inespéré : 300 000 entrées pour une sortie avec seulement vingt copies
dans toute la France ! Preuve que lorsque le bouche-à-oreille s’y met…
Le 10 novembre prochain, une nouvelle attaque virulente est programmée avec la sortie du second étage de la fusée, un film titré « Severn, la voix de nos
enfants ». Mais, déjà, Jean-Paul Jaud a repris son bâton de pèlerin, sillonnant le pays pour des projections en avant-première suivies de débats. La Rochelle, Saintes, Marmande (1) ont
constitué quelques-unes de ses étapes dans notre région.
Autant le dire tout de suite, « Severn » tape encore plus fort que la réalisation précédente. Il est construit de la même façon. Critiques virulentes
des pratiques d’un monde marchant sur la tête avec en face des messages d’espoir venant de partout sur notre planète et montrant qu’il est possible d’envisager les choses autrement.
Yannick, poignant
Là aussi, il y a un fil rouge. Particulièrement émouvant. Celle qui revient sans cesse, fabuleux leitmotiv, s’appelle Severn Cullis-Suzuki. Elle avait 12 ans,
en 1992, lorsqu’elle s’est adressée aux puissants, aux chefs d’État et de gouvernement réunis à Rio pour le Sommet de la Terre. Elle les a copieusement enguirlandés à cause de la couche
d’ozone, des animaux et des plantes s’éteignant tous les jours, disparus à jamais. « Ce que vous faites me fait pleurer la nuit ! » s’était alors exclamée cette gamine que
Jean-Paul Jaud a retrouvée dans son île canadienne. Elle est devenue une femme ayant donné la vie à un petit garçon durant le tournage…
Espoir. Jaud montre quantité de raisons d’espérer dans « Severn ». Depuis le Japon, le Canada, la France. Avec des images superbes. Mais partout,
crûment, il filme des désastres, des catastrophes. On n’en retiendra que deux, parce que proches. La première victime s’appelle Paul François. C’est un agriculteur de Charente touché par une
grave intoxication après avoir respiré le solvant d’un herbicide produit par Monsanto.
Seconde victime, Yannick Chénet, viticulteur de Charente-Maritime, frappé par une leucémie causée par les produits liés au traitement de la vigne - cela a fini
par être prouvé. Yannick a été guéri après une greffe de moelle osseuse. Aujourd’hui, le rejet de cette greffe est cause de multiples malheurs.
Et soudain, dans le film, il lâche cette phrase terrible : « Les produits qui m’ont empoisonné et ceux qu’on me donne pour me guérir sont fabriqués
par une seule et unique firme. »
« Severn », c’est le 10 novembre…
(1) Avant-première en présence du réalisateur, le 22 octobre, à Saint-Pierre-d’Oléron (17) et le lendemain à Ruffec (16).
* Paru dans Sud Oueszt, 17 octobre 2010 09h06 :
http://www.sudouest.fr/2010/10/17/s...